Parler de « dégâts collatéraux », c’est insulter les morts de Gaza

Le plus célèbre poète de la Palestine, Mahmoud Darwich, a décrit un jour Gaza comme un endroit d’« enfants sans enfance, de vieillards sans grand âge ».

Un enfant se tient près des ruines d’un immeuble frappé cette semaine par Israël à Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza.

Un enfant se tient près des ruines d’un immeuble frappé cette semaine par Israël à Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza. (Photo : Atia Darwish / APA images)

Majed Abusalama, 12 mai 2023

 Ces mots ont rebondi dans mon esprit lors de l’opération Plomb durci, une importante offensive israélienne, fin 2008 et début 2009. Comme bien d’autres à Gaza, je m’étais attendu à être tué, à l’époque.

Je travaillais comme journaliste. En voyant les bombes pleuvoir autour de moi, je pensais que bientôt j’allais faire partie des « dégâts collatéraux », pour utiliser l’expression sans âme des armées occidentales.

Il allait y avoir d’autres attaques encore après Plomb durci.

La suivante était venue en novembre 2012. À l’époque, je travaillais comme intermédiaire pour Al Jazeera English.

Quand les avions de combat israéliens ont bombardé la zone toute proche d’al-Jawazat, à Gaza, les fenêtres du bureau d’Al Jazeera et celles des autres agences médiatiques ont été mises en pièces. Nombre de mes collègues ont été blessés.

Le même bâtiment allait être entièrement détruit par Israël, il y a deux ans. La destruction fut diffusée en direct à la TV.

Toute personne n’ayant ne serait-ce qu’une once de compréhension des lois internationales savait que cette destruction était un crime de guerre. Pour Israël, il ne s’agissait que de dégâts collatéraux.

La plus longue des attaques israéliennes a eu lieu en 2014. Au cours de cet été, Gaza a été bombardé pendant sept semaines consécutives.

Je faisais partie d’une organisation appelée Beats for Gaza. Nous faisions de notre mieux pour rallier les maisons de gens qui avaient besoin de denrées de première nécessité.

Je vivais dans la crainte constante d’apprendre que l’un ou l’autre membre de notre groupe avait été tué.

Miraculeusement, nous avons tous survécu mais quelques-unes des maisons des volontaires ont été endommagées. L’attaque avait eu un effet certain sur la santé mentale de certains membres de notre groupe.

Cela avait été pire pour d’autres. Quelque 140 familles avaient soit été anéanties, soit perdu plusieurs de leurs membres, lors de cette attaque.

Davantage de dégâts collatéraux encore.

Ce mardi, Israël lançait une nouvelle attaque contre Gaza.

Selon les apologistes d’Israël, l’opération ciblait le Djihad islamique.

Quand il a été rapporté que des civils avaient été tués dans les stades initiaux de l’attaque, un porte-parole de l’armée israélienne avait dit :

« Nous sommes conscients de certains dégâts collatéraux et nous en saurons plus dans le courant de la journée. »

 

Vivre avec les conséquences

Une fois de plus, des Palestiniens ont vu leurs proches et leurs amis tués, leurs maisons et leurs rêves détruits par Israël. Tous les Palestiniens peuvent vous parler de pertes qu’ils ont subies dans leur vie.

Pour le régime d’apartheid israélien, ces pertes ne sont que de simples dégâts collatéraux.

Dès sa création en 1948, l’État d’Israël n’a jamais cessé d’infliger des dégâts collatéraux et n’a jamais réduit la quantité de dégâts qu’il infligeait.

Israël n’a jamais cessé de construire et d’étendre des colonies de peuplement en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est. Il n’a jamais levé le siège total qu’il a imposé à Gaza en 2007.

Il n’a jamais cessé de violer les droits humains et les lois internationales. Malgré toute la mort et la destruction qu’il a causées, Israël n’a jamais modifié sa politique.

Alors qu’Israël nie ses crimes en prétendant qu’il s’agit de dégâts collatéraux, les Palestiniens vivent avec leurs conséquences. Énorme est le nombre d’entre eux qui présentent des blessures et des handicaps imputables aux tactiques militaires israéliennes.

Les gens de Gaza paient le prix le plus lourd de tous. La pauvreté et le chômage sans cesse croissants résultant du siège ne devraient pas être niés comme des dégâts collatéraux.

Pourtant, le siège de Gaza et l’oppression au sens plus large des Palestiniens se poursuivent, facilités par la « communauté internationale » et, en particulier, par les États-Unis et l’Union européenne. En fournissant directement des armes à Israël – et en achetant des armes à Israël – ils se moquent des droits de l’homme et des autres valeurs qu’ils sont censés défendre.

Même quand elle se prétend préoccupée par le « nombre excessif » de victimes palestiniennes, le plus que fait la « communauté internationale » consiste à sortir un rapport. Un rapport que l’on peut rapidement ranger dans un tiroir avant de l’ignorer.

Israël a tué environ 4 800 personnes à Gaza depuis décembre 2008. Des centaines de ces victimes étaient des enfants.

Quand nous regardons au-delà des chiffres, nous voyons des enfants en bas âge, des jeunes, des pères, des mères, des familles. Nous voyons des étudiants, des infirmières, des enseignants et plus encore.

Toutes ces personnes ont été qualifiées de dommages collatéraux. C’est une insulte à toutes ces belles personnes qui ont été tuées.

Et c’est aussi une insulte à la lutte palestinienne pour la libération et la justice.

 

Digne d’être aimée

Combien de personnes faudra-t-il tuer et combien de maisons faudra-t-il réduire à l’état de ruines avant que le blocus de Gaza ne soit levé ? Quand sera-t-il permis à mon peuple de comprendre la signification d’une existence non militarisée ?

En sus des offensives majeures d’Israël contre Gaza, il y en a eu quelques-unes qui furent plus brèves.

En novembre 2019, Israël a organisé l’« assassinat ciblé » de Baha Abu al-Ata, un commandant du Djihad islamique.

Son épouse Asma faisait partie des Palestiniens tués durant cette période de temps. Huit des morts étaient des enfants.

Cette attaque de 2019 peut avoir été relativement courte, mais elle a tout de même été terrifiante. J’étais extrêmement préoccupé au sujet de ma nièce, qui n’avait qu’un an à l’époque.

En août dernier, Israël a de nouveau frappé Gaza.

Au moins 22 civils palestiniens ont été tués, dont quatre femmes et 17 enfants. Bien que certains des décès aient été provoqués par des roquettes défectueuses en provenance des organisations de la résistance et qui sont retombées en deçà de la frontière, Israël doit être tenu entièrement responsable de l’attaque et de ses retombées.

Les dégâts collatéraux contre les Palestiniens sont traités comme un phénomène normal par les médias occidentaux.

Les médias adoptent la terminologie israélienne – et plus particulièrement la terminologie de l’armée israélienne – pour nous décrire. Cela doit cesser.

La Russie a été sanctionnée et boycottée pour son invasion de l’Ukraine. Pourtant, on n’a pas entrepris ce genre d’action contre Israël.

Les Palestiniens résistent seuls à l’apartheid israélien et à la colonisation israélienne.

Je suis soulagé de voir que mes parents, mon frère, ma belle-sœur, ma nièce (aujourd’hui âgée de 4 ans) et mes amis de Gaza ne font pas partie des derniers dégâts collatéraux.

Ils y ont échappé de justesse, toutefois, dans un passé récent. La maison de notre famille a été endommagée par le bombardement israélien de Gaza en 2021.

Aujourd’hui encore, j’ai peur pour eux. Une fois terminé le dernier acte d’agression d’Israël, il est inévitable qu’il y en ait un autre avant longtemps.

Mahmoud Darwich disait de Gaza que c’était « la plus belle, la plus pure et la plus riche de nous tous et celle qui était la plus digne d’être aimée ».

Les Palestiniens méritent d’être traités en êtres humains, avec les mêmes droits que n’importe qui d’autre. Quand les estimera-t-on dignes de l’amour du monde ?

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Majed Abusalama est écrivain, activiste et chercheur. Twitter : @MajedAbusalama

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Publié le 12 mai 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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