Le Covid a fourni un prétexte à Israël pour durcir le blocus de Gaza

Depuis mars, le coronavirus a donné aux autorités israéliennes un prétexte pour durcir davantage le blocus de Gaza et pour éviter d’accorder ne serait-ce que les très rares permis que l’on donnait dans le passé.

Le corridor d'un km entre le checkpoint Erez en Israël et Beit Hanoun à Gaza  (Photo : Anne Paq/Activestills.org)

Le corridor d’un km entre le checkpoint Erez en Israël et Beit Hanoun à Gaza (Photo : Anne Paq/Activestills.org)

Amira Hass, 28 décembre 2020

« Je travaille au marché du Carmel à Tel-Aviv depuis que je suis enfant », m’a expliqué Issam Barakeh au téléphone et je me le suis imaginé sous les traits d’un jeune garçon trimballant des caisses, décortiquant du maïs, cueillant des tomates bien mûres, balayant la boutique à la fin de la journée et apprenant l’hébreu pendant tout ce temps.

Dans les années 1970 et 1980, Israël respectait le droit des Palestiniens à la liberté de mouvement. À quelques exceptions près et pendant les périodes de couvre-feu, ils pouvaient se déplacer librement entre la bande de Gaza et la Cisjordanie et faire l’aller et retour entre les Territoires occupés et Israël. Israël avait ses propres incitatifs économiques et politiques à autoriser la liberté de mouvement mais un grand nombre de jeunes de Gaza, comme Barakeh (qui a aujourd’hui 56 ans), pouvaient utiliser leurs vacances scolaires afin de contribuer à l’entretien de leurs familles. Bien des familles israéliennes doivent leur prospérité aux travailleurs palestiniens et aux bas salaires que ces derniers recevaient.

Barakeh a épousé une Israélienne et vit à Jaffa depuis 1991 ; finalement, il a également obtenu la citoyenneté israélienne. Aujourd’hui, il travaille comme fournisseur dans un magasin de fruits et légumes. Le 1er décembre, sa mère de 89 ans est décédée à Bani Suheila, dans le sud de Gaza, à quelque 85 kilomètres de chez lui. Il ne l’avait plus vue depuis treize ans.

« Peu avant son décès, j’ai écrit un post disant à quel point pouvoir embrasser ma mère me manquait »,

dit Barakeh.

« Quand je me suis marié, je n’aurais jamais imaginé que ce genre de séparation avec ma famille serait le prix que j’aurais à payer. »

L’administration de coordination et de liaison entre les districts – qui dépend de l’unité du ministère de la Défense pour la Coordination des activités gouvernementales dans les Territoires (COGAT) – n’a pas autorisé Barakeh à se rendre aux funérailles.

L’organisation non marchande Gisha a bataillé dur afin qu’il soit en mesure de porter le deuil en compagnie de ses frères et sœurs. Quand son père était décédé, voici quatre ans, il n’avait pas eu non plus l’autorisation de rejoindre sa famille pour le pleurer.

Cette fois, pour le compte de Barakeh, les trois semaines d’efforts consentis par Gisha comprenaient, comme d’habitude, d’interminables coups de fil et courriels adressés à l’administration de liaison entre les districts, une requête à la Haute Cour de Justice, une comparution au tribunal et une mise à jour écrite destinée par la suite aux juges.

Finalement, la Haute Cour a décidé que l’État devait permettre à Barakeh de se rendre à Gaza. Mais, à ce jour, il n’a toujours pas eu l’occasion de rendre visite à sa famille et aux tombes de ses parents.

Ce qui est incroyable, à propos de cette saga assez typique, c’est la quantité de bureaucratie, de temps, de zèle et d’indifférence qu’ont dû investir les émissaires du gouvernement – les militaires et les agents de rangs divers de l’administration des liaisons et du COGAT – et un avocat du bureau du Ministère public, appelé Ilanit Bitau – pour empêcher Barakeh de pouvoir aller manifester son chagrin en compagnie de ses parents les plus proches, qu’il n’avait plus vus depuis plus d’une décennie.

Tous les individus mentionnés ci-dessus ont jonglé avec deux balles en expliquant leur décision : la pandémie de coronavirus, d’une part, et, d’autre part, la politique israélienne d’interdiction d’entrer à Gaza ou d’en sortir sauf dans des cas humanitaires exceptionnels.

Assister au mariage ou aux funérailles d’un membre immédiat de la famille est défini comme « cas humanitaire exceptionnel » permettant d’entrer dans la bande de Gaza ou d’en sortir, selon les critères du COGAT, qui sont pourtant très stricts. Mais, depuis mars, le coronavirus a donné aux autorités israéliennes un prétexte pour durcir le blocus de Gaza et pour éviter d’accorder ne serait-ce que les très rares permis que l’on donnait dans le passé.

En Israël, les réglementations relatives au coronavirus ont changé de nombreuses fois et, chaque fois, en s’accompagnant d’un vaste débat public. Mais la fermeture de plus en plus hermétique de la bande de Gaza par les geôliers du ministère de la Défense a lieu sans contrôle ni discussion.

La requête formulée par Gisha au nom des « familles divisées » (c’est-à-dire des résidents israéliens qui sont mariés à des résidents de Gaza et qui partagent leur temps entre Gaza et Israël) a permis à la muraille d’acier de se fissurer un tantinet. Les juges ont décidé que ces Israéliens qui se trouvaient « bloqués » en Israël devaient avoir le droit de retourner dans leurs foyers dans la bande de Gaza.

Suite aux activités juridiques de Gisha au cours de l’été, le gouvernement a dû annoncer qu’en cas de décès d’un parent au premer degré, un résident de Gaza serait autorisé à entrer en Israël pour exprimer son deuil en compagnie de sa famille, alors qu’un résident de Cisjordanie aurait lui aussi l’autorisation de pénétrer dans la bande de Gaza. Mais pourquoi interdire à un citoyen d’Israël, en outre natif de Gaza, de se rendre dans la maison de sa famille, dans de semblables circonstances ?

Selon les minutes de la session du 9 décembre de la Haute Cour, les juges Daphne Barak-Erez, Anat Baron et Ofer Grosskopf ont reproché à Bitau, le procureur représentant le Ministère public, son raisonnement sous-tendant le refus de permettre à Barakeh d’aller exprimer son deuil en compagnie de sa famille.

« La question ici est-elle une question de santé publique ? », a demandé Barak-Erez. Bitau a répondu oui. « Si [Barakeh] est disposé à s’isoler (dès son retour en Israël), quel est le problème ? », a poursuivi la juge, tout en ajoutant : « Il doit y avoir une connexion rationnelle entre les moyens et la fin. »

Bitau a expliqué qu’Israël ne pouvait contrôler à quel point les restrictions relatives au coronavirus étaient appliquées dans la bande de Gaza. Ce à quoi Barak-Erez a répondu : « C’est vrai pour tout Israélien n’importe où dans le monde. Quid d’un Israélien qui se rend à Dubaï ? »

Les juges ont critiqué l’absence de transparence de la part du COGAT quand il s’agissait d’annuler ou de modifier les instructions concernant la sortie et l’entrée à Gaza. Malgré les commentaires des juges, Bitau informait le tribunal, dès le lendemain, de ce que le COGAT s’obstinait dans son refus. Ensuite, après une injonction de la cour, Bitau était forcé d’annoncer, le 20 décembre, que Barakeh aurait l’autorisation d’entrer à Gaza.

Mardi 22 décembre, Barakeh était informé de ce qu’une autorisation d’accès de trois jours à la bande de Gaza l’attendait au check-point d’Erez. Avec excitation, il s’y est donc rendu – mais uniquement pour apprendre qu’il lui était interdit de quitter Israël en raison d’une dette qu’il était toujours occupé à rembourser via des paiements à tempérament.


Publié le 28 décembre 2020 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal

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