Comment Mandl, député européen, a tenté de blanchir le rôle d’Israël dans le scandale des logiciels espions

Alors qu’un rapport d’enquête européen sur Pegasus reste critique à l’égard d’Israël – en dépit des efforts de Mandl –, aucune sanction n’est exigée.

 

Lukas Mandl a prétendu que les fabricants israéliens de logiciels espions n’avaient pas de connexion avec leur gouvernement. (Photo : site internet de Lukas Mandl)

Lukas Mandl a prétendu que les fabricants israéliens de logiciels espions n’avaient pas de connexion avec leur gouvernement. (Photo : site internet de Lukas Mandl)

 

David Cronin, 12 juin 2023

Peu de firmes ont déployé autant de sans-gêne que NSO Group ces quelques dernières années.

Quand le fabricant de logiciels espions a été repris par le magazine Time sur sa liste des « entreprises les plus influentes de 2022 », il s’est hâté de fêter la « grande nouvelle ».

Être « influent » n’est pas nécessairement positif. Après avoir fait remarquer que le logiciel espion – connu sous le nom de Pegasus – pouvait « s’emparer de données personnelles » figurant sur des applications de téléphones mobiles, Time a ajouté que

« certains gouvernements l’auraient paraît-il utilisé pour cibler des dissidents politiques, des activistes et même la femme du journaliste assassiné Jamal Khashoggi ».

Bien qu’il soit lié à un assassinat répugnant, NSO Group s’est targué de sa « fierté » d’être l’une des deux seules entreprises israéliennes de la liste. La firme promettait de continuer de développer ses « technologies permettant de sauver des vies ».

Le Parlement européen devrait garder Pegasus au centre de l’information cette semaine en approuvant officiellement le rapport de son enquête sur le scandale.

Le rapport cite un témoignage qui dit que « l’empressement d’Israël à tester de nouveaux systèmes de surveillance sur les Palestiniens » procure des « incitatifs en faveur d’un modèle d’entreprise » dont NSO a tiré profit.

Les acheteurs de Pegasus – dont au moins 14 pays de l’Union européenne – « contribuent aux violations des droits humains », affirme le rapport.

Ces conclusions ne livrent toutefois pas toute l’histoire de l’enquête. L’un de ses aspects qui a échappé aux examens implique une tentative en vue de mettre Israël à l’abri de la critique.

Cette tentative est l’œuvre de Lukas Mandl, un membre autrichien du Parlement européen.

 

Protéger Netanyahou

Mandl a contesté la façon dont le rapport implique Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien.

Le rapport affirme que la Hongrie et la Pologne ont acheté Pegasus en 2017 après que leurs dirigeants avaient rencontré Netanyahou. Mandl proposait des amendements visant à retirer le nom de Netanyahou.

De même, Mandl a essayé de tirer d’embarras l’armée israélienne.

L’un des entrepreneurs du logiciel espion dont le nom a fait surface pendant l’enquête était Tal Dilian, qui dirige le consortium Intellexa.

Mandl a requis qu’un certain détail biographique concernant Dilian soit retiré du rapport – il était dit qu’il avait fait « précédemment carrière » dans l’armée israélienne.

Chypre, fait remarquer le rapport, est devenue la base de près de 30 sociétés israéliennes, qui utilisent le pays afin de prendre pied sur le marché européen.

Le rapport suggère qu’il y a une « connexion étroite entre le commerce des logiciels espions et les relations diplomatiques ». Chypre aurait reçu Pegasus et d’autres produits en échange de l’accueil des firmes israéliennes.

Mandl a cherché à faire retirer la remarque concernant les rapports cordiaux entre Israël et Chypre – la chose avait été bien étudiée et avait même été promue par Netanyahou. Au lieu de cette remarque, Mandl voulait voir insérer une phrase indiquant que les firmes israéliennes à Chypre « n’étaient pas liées au gouvernement israélien ».

Un autre amendement proposé par Mandl impliquait que les firmes israéliennes allaient s’installer à Chypre par hasard. Mandl aurait aimé que l’on biffe un commentaire du rapport sur la façon dont plusieurs firmes s’étaient relocalisées en Europe – et plus particulièrement à Chypre – « chaque fois que le régime des licences d’exportation avait été renforcé en Israël ».

Ce renforcement, et il convient d’insister sur la chose, avait eu lieu en réponse à la controverse autour de Pegasus. Il nous dit néanmoins que les firmes de logiciels espions sentent désormais qu’elles peuvent opérer plus librement au sein de l’UE – où les barrières pouvant entraver leurs activités sont aisément contournées – qu’en Israël.


Une entreprise malhonnête ?

Les efforts de Mandl en vue d’établir quelque distance entre les firmes de logiciels espions et Israël sont malhonnêtes.

NSO fait en fait partie des firmes aujourd’hui installées en Europe. Plutôt que Chypre, elle a choisi le Luxembourg comme nouveau foyer.

Comme le disait récemment Antony Loewenstein – auteur de The Palestine Laboratory (Le laboratoire palestinien), les médias qui ont parlé de Pegasus sont généralement passés à côté de leur sujet en présentant presque NSO comme une entreprise malhonnête. Loin d’être malhonnête, pour reprendre les termes de Loewenstein, NSO est « un bras de l’État israélien ».

Lukas Mandl ne peut pas être transparent sur ses activités concernant Pegasus.

Suite au scandale de corruption du « Qatargate », des appels ont été adressés aux députés européens à Bruxelles afin qu’ils fassent état de toutes leurs relations avec les gouvernements et groupes de pression.

Depuis que l’actuelle législature européenne a débuté en 2019, Mandl a divulgué qu’il avait participé à un voyage « toutes dépenses payées » au Moyen-Orient. En dehors de cela, il n’a pas renseigné sur le site du Parlement européen la moindre rencontre avec Israël ou ses organisations partisanes.

Son manque manifeste de transparence contredit son empressement à vouloir se faire tirer en portrait quand il traînaille en compagnie de lobbyistes pro-israéliens.

Pendant quelque temps, il a été un acteur clé au sein de Transatlantic Friends of Israel, une organisation réunissant des représentants élus aussi bien d’Europe que des EU.

Alors que le rapport d’enquête sur Pegasus reste critique à l’égard d’Israël – en dépit des efforts de Mandl –, il ne frappe pas aussi fort qu’il le devrait.

Aucune sanction n’est exigée contre Israël – uniquement des entretiens en vue d’« instaurer un cadre pour le marketing des logiciels espions et pour les licences d’exportation ».

En exprimant des exigences aussi faibles, le Parlement européen accepte que les firmes israéliennes continuent de saisir les opportunités offertes par l’oppression des Palestiniens. Le « cadre pour le marketing des logiciels espions » qu’il convoite peut signifier en fin de compte qu’Israël va continuer à transformer une occupation brutale à son avantage commercial.

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 12 juin sur 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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