Walid Daqqah : une conscience opiniâtre qu’on ne peut brûler
L’ancien prisonnier palestinien Wisam Rafeedie parle de la lutte et de la résistance opiniâtre de Walid Daqqah, au moment où, en juin 2023, s’intensifiaient les campagnes en faveur de sa libération.
Wisam Rafeedie, 26 juin 2023
Walid Daqqah est un prisonnier politique palestinien âgé de 61 ans. L’écrivain, l’intellectuel et l’organisateur est détenu dans les geôles israéliennes depuis 1986, soit depuis près de 37 ans. Après un diagnostic récent selon lequel sa vie était menacée et suite à la détérioration de sa santé, des organisations palestiniennes ont lancé une campagne exigeant que les autorités israéliennes le libèrent et lui fournissent les soins médicaux nécessaires et urgents, ce qu’elles ont refusé.
Le célèbre écrivain et ancien prisonnier politique Wisam Rafeedie a rédigé l’article que voici à propos de la lutte et de la résistance opiniâtre de Daqqah.
Dans la conclusion de sa très remarquable étude intitulée « Brûler la conscience ou redéfinir la torture » (1) (2010), Walid Daqqah prouve que les ambitions sionistes de contrôler les prisonniers palestiniens indiquent surtout le désir de brûler complètement la concience des prisonniers palestiniens et de contrôler leur formation. Il rappelle une conversation de 2006 entre Ya’akov Ganot, à l’époque commandant du service des prisons, et le ministre de la sécurité nationale Gideon Ezra lors de la visite de ce dernier à la prison de Gilboa qui avait eu lieu à portée d’oreille des prisonniers. Ganot avait dit :
« Soyez rassuré (…) Vous pouvez savoir en toute confiance que je leur [aux prisonniers] ferai hisser le drapeau israélien et chanter Hatikva (l’hymne national israélien). »
Peut-être Ganot ou les agents de renseignement de la prison avaient-ils lu Michel Foucault ou Zygmunt Bauman ou encore d’autres théoriciens sociaux et étudié les méthodologies de la domination, de l’hégémonie et du contrôle des individus et des groupes. Ou peut-être pas. Toutefois, une chose est claire, c’est que les calculs des diverses institutions sionistes responsables du processus décisionnel concernant les prisonniers palestiniens ont engendré les résultats opposés à ceux qu’elles escomptaient. Les prisonniers palestiniens n’ont jamais chanté Hatikva et n’ont jamais brandi le drapeau sioniste. Au contraire, leur lutte collective et individuelle n’a fait que se renforcer et elle a atteint des niveaux sans précédent depuis 2006.
Comme d’habitude, la vie ne se déroule pas selon les affirmations des chercheurs académiques ou l’analyse des agents de renseignement. Ce qu’ils ne sont pas à même de comprendre et que leurs sacro-saintes mesures méthodiques ne peuvent saisir, c’est la volonté militante, armée d’une conscience idéologique nationale profondément enracinée. Il est vrai que la crédibilité de notre analyse exige que nous admettions certains revers particuliers et graves, surtout dans la façon dont on a mis l’accent effet sur l’image du recul de l’unité parmi le mouvement des prisonniers. Cela s’est traduit par la rupture de certaines de ses attaches via la création et le développement du système des « Kapos » (2) que Daqqah n’oublie pas dans son étude. N’empêche que la résistance collective et individuelle des prisonniers se poursuit, s’approfondit et s’accroît. C’est indéniable et c’est une réalité on ne peut plus positive.
Tout au long de ses 37 années de prison durant lesquelles sa détermination n’a jamais faibli, Walid Daqqah a produit des contributions intellectuelles scientifiques qui dénoncent les mesures administratives dans les prisons ainsi que des ouvrages littéraires fidèles aux principes et destinés aux jeunes, tout en luttant contre sa maladie mortelle avec une force et un esprit humain qui inclut l’humanité de sa femme Sana et de sa fille Milad – il est devenu un modèle exemplaire de cette conscience idéologique nationale profondément enracinée. En effet, le fait de se marier et d’avoir un enfant tout en étant emprisonné fait montre d’un symbolisme significatif. Sa fille Milad a été conçue via du sperme « libéré » et c’est un symbole de la détermination de Daqqah à mener une existence digne comme tous les autres, à avoir des enfants et à jouer avec eux, en dépit de la surveillance intrusive des sionistes et des limitations dans les visites familiales. Ceux qui comptaient voir les prisonniers palestiniens chanter Hatikva et hisser le drapeau sioniste sont témoins aujourd’hui du compagnonnage d’un camarade de part et d’autre de la barrière qui sépare les visiteurs et ce, par-delà les longues années d’incarcération.
Le prisonnier qui résiste n’a nul besoin de prouver son humanité. C’est un point discutable – cette humanité, ils en sont dignes. C’est le gardien de prison sioniste qui manque d’humanité face au prisonnier qui résiste. Walid a non seulement affirmé son humanité mais a également prouvé que sa conscience, comme celle de milliers d’autres prisonniers, n’avait pas été brûlée. Il a dénoncé la politique et la pratique d’Israël ciblant les prisonniers et consistant à leur brûler la conscience.
À travers toutes les étapes de sa vie en prison, Walid n’a jamais renoncé au rôle prépondérant qu’il tenait au sein du mouvement des prisonniers, et j’ai eu l’honneur d’être témoin de ce rôle à la prison d’Askalan, en 1997. (3) Il a toujours été fidèle à son rôle dans la lutte nationale en tant qu’activiste à la conscience élevée, au contraire de la poignée de dirigeants qui ont choisi de jouer le rôle de « kapo ». Walid n’a jamais arrêté sa production intellectuelle pointue, ni sa production littéraire à l’usage des adolescents ni la mise sur pied de la fraternité et de la camaraderie parmi ses compagnons prisonniers qui, tous, peuvent témoigner de son caractère.
Telle est une conscience désobéissante qui ne peut être brûlée, c’est la conscience mythique exprimée de façon poétique par Muthaffar al-Nawab. Walid doit affronter la politique du meurtre quotidien, permanent, de la même façon que l’ont fait les martyrs Nasir Abu Hamid, Khader Adnan et d’autres encore avant eux. Et l’expression « meurtre quotidien » n’est pas une figure de rhétorique mais la réalité objective qui affirme les ambitions du système carcéral sioniste de brûler la conscience et les aspirations des prisonniers. Qu’est Walid Daqqah, sinon un modèle exemplaire d’une conscience opiniâtre que rien ne pourra brûler ?
Notes
(1) Dans le titre, Rafeedie joue sur le choix du terme que Daqqah a fait dans le titre même de son étude « Brûler la conscience ou redéfinir la torture » qui, en arabe, évoque le processus de soudure du métal. Cela fait allusion à la force avec laquelle le système carcéral sioniste instrumentalise la guerre psychologique et physique, tangible et intangible en cherchant à brûler la conscience des prisonniers palestiniens.
(2) Le système des « kapos » est une tactique de gouvernance dans les prisons qui coopte les prisonniers dans la surveillance de leurs compagnons prisonniers moyennant la promesse de certains privilèges. Le terme a été utilisé à l’origine dans le contexte des camps nazis en Europe pour désigner le « fonctionnaire prisonnier » choisi par les SS pour superviser les autres prisonniers. C’est un terme particulièrement péjoratif désignant ceux qui trahissent leurs compagnons prisonniers en assumant un rôle dans la gouvernance de la prison.
[3] Rafeedie a été emprisonné dans le cadre de la politique sioniste de l’arrestation administrative, et ce, entre août 1994 et mai 1997.
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Wisam Rafeedie est un ancien prisonnier politique palestinien, il est chercheur à plein temps et professeur au département des sciences sociales de l’Université de Bethléem, en Palestine. Avant cela, il a travaillé comme professeur à temps partiel de sociologie et d’études culturelles à l’Université de Birzeit. Il est titulaire de deux masters de l’Université de Birzeit, l’un en sociologie pour sa thèse sur les changements de statut des femmes dans la littérature palestinienne contemporaine avant et après Oslo, et l’autre en études arabes contemporaines.
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Publié le 26 juin 2023 sur Peoples Dispatch
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine