Les héros non célébrés de Gaza : la classe ouvrière
Même si Gaza a été démolie de tant de façons, elle se construit et se reconstruit invariablement après chaque vague de destruction qui la frappe.
Mahmoud Nasser, 5 juillet 2023
Gaza compte 2,1 millions d’habitants. Et sa population croît rapidement.
Ces 2,1 millions de personnes ont besoin d’un espace vital, lequel, d’année en année, ne cesse de s’amenuiser.
Les gens de Gaza ne peuvent aller nulle part ailleurs, leurs possibilités ou occasions d’émigrer sont pratiquement nulles, et ils ne peuvent le faire non plus en Palestine occupée en raison du blocus israélien qui dure depuis 16 ans.
Pourtant, même si Gaza a été démolie de tant de façons, elle se construit et se reconstruit invariablement après chaque vague de destruction qui la frappe. Les nations détruites et assiégées ne sont pas censées se développer de quelque façon que ce soit mais, à Gaza, il en va tout autrement.
En déambulant dans les environs, on découvre de nouveaux travaux de construction à chaque coin de rue, et on ne peut qu’admirer la rapidité avec laquelle il est possible d’ériger un bâtiment et d’en assurer la finition.
L’impression que Gaza s’effondre de toutes parts, une impression qu’on pourrait ressentir de l’extérieur, n’est pas si apparente sur le terrain même. Ces bâtiments représentent une nation qui se développe, une tentative concertée en vue de combattre la crise de la densité de population de toutes les façons possibles.
Gaza ne devrait plus être perçue comme un endroit de destruction.
Bien sûr, il y a eu toute une série d’attaques de grande envergure depuis décembre 2008 et de nombreuses petites escalades depuis lors qui auraient pu facilement mettre à genoux n’importe quelle nation.
Mais pas Gaza, pas le peuple palestinien.
Un rayon d’espoir
En janvier dernier, le gouvernement de Gaza dirigé par le Hamas a lancé son projet « Bottleneck » (étranglement, embouteillage) au camp de réfugiés Al-Shati (Beachcamp). Le projet consiste à élargir les rues encombrées et très étroites du camp qui fait la jonction entre les gouvernorats du sud et du nord.
Le projet n’échappe pas à la critique. Le fait de devoir déménager une fois de plus des logements qu’ils ont fini par considérer comme leur maison, même dans un camp de réfugiés, a suscité la colère chez certains résidents.
Permettre à Gaza de mieux fonctionner est un but important, mais ces résidents prient pour que ce soit la dernière fois qu’on les oblige à déménager.
Quoi qu’il en soit, les gens de Gaza forment une foule inébranlable et, en opposant à la crise de densité démographique un boum de la construction, de nouveaux héros ont fait leur apparition.
Ces héros non célébrés travaillent avec leurs mains. Ils posent les briques qui feront en sorte que chacun aura un endroit où vivre.
Ces travailleurs sont malheureusement invisibles. Personne n’y regarde à deux fois quand il les croise ni ne leur accorde le respect qu’ils méritent, puisqu’ils le gagnent au prix de leur sueur et de leurs efforts.
Leur salaire varie entre 300 et 500 USD par mois et suffit à peine à mettre du pain sur la table de leur famille mais il est en ligne avec le salaire moyen de Gaza, qui tourne autour de 350 USD par mois.
J’ai passé plusieurs mois à photographier un groupe d’ouvriers de la construction. Il m’a été donné d’entendre leurs histoires et leurs luttes lorsqu’ils combattent pour la vie à Gaza.
Dans la ville de Beit Hanoun, située à l’extrême nord de la bande de Gaza, les maisons poussent très vite. Là-bas, j’ai suivi un groupe d’ouvriers avec lesquels j’ai partagé d’innombrables tasses de café.
Le plus étonnant, c’était la vitesse à laquelle ils passaient d’une maison à l’autre. Dans le même mois, ils construisaient une maison depuis les fondations jusqu’au toit et le mois d’après, ils étaient déjà en train d’en bâtir une autre.
Le sujet le plus souvent abordé dans nos conversations était la façon dont les choses ont changé en pire à Gaza. Les salaires n’étaient qu’une fraction de ce que leur valaient les conditions économiques pénibles à Gaza.
Le chômage tourne autour de 50 pour 100.
La pauvreté afflige plus de 50 pour 100 de la population de Gaza.
Ces travailleurs, accueillants à l’excès et toujours amicaux, passent toutes leurs journées à l’extérieur, cherchant du répit vis-à-vis de la réalité de Gaza.
Telle est la lutte de la classe ouvrière à Gaza, une lutte qu’on peut voir sur les visages, les vêtements, et les callosités des mains.
*****
Mahmoud Nasser est un photographe et un écrivain qui vit à Gaza.
*****
Publié le 5 juillet 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
Trouvez une vingtaine d’autres photos de l’auteur et photographe sur l’article original.