Les Palestiniens sont dans le collimateur d’Israël parce qu’ils ne sont pas juifs
Si Israël devait être dépouillé de tout son discours élaboré à l’infini, tout ce qui resterait serait le remplacement d’une population autochtone par une « tribu » juive importée.
Thomas Suárez, 30 juin 2023
Voilà, en supprimant toute forme de mascarade, le solde réglé que les partisans d’Israël devraient avoir sous les yeux. Une chose est certaine, des millions d’évangélistes de la fin des temps pourraient dire « Amen ! » à cela, mais tout le faux semblant serait parti, en révélant ce que signifie réellement « le droit à l’existence » revendiqué par Israël.
Ce qui barre la route de ce compte soldé, c’est le langage – le contrôle des mots utilisés pour expliquer ce qu’on appelle le conflit en Israël-Palestine, et le mot « conflit » lui-même n’est pas le moindre. La manipulation du langage est la clé de l’impunité d’Israël, c’est ce qui lui permet de s’assurer la complicité du public occidental dans ses crimes et c’est ainsi qu’une critique du langage est si manifeste chez ceux qui luttent pour la justice.
Mais la construction linguistique la plus élémentaire servant à embrouiller la compréhension publique des crimes d’Israël a échappé à tout examen adéquat : le terme même, les « Palestiniens », en tant que cibles des crimes d’Israël. Oui, bien sûr, ils sont tous des Palestiniens mais, bien que le fait d’« être palestinien » ait longtemps été synonyme de ce qui les met dans le collimateur d’Israël, cette équation obscurcit une vérité plus profonde : leur « crime » n’est pas d’être palestiniens, mais de n’être pas juifs. Cacher ce fait est essentiel pour la propagande d’Israël.
Le but du sionisme, un État « juif » dans toute la Palestine historique, a toujours requis de chasser la population autochtone de la terre, à l’exception des juifs natifs de la Palestine. Quand les premiers colonisateurs sionistes ont débarqué en Palestine, ils ont découvert une population palestinienne comprenant une petite minorité de juifs, le reste étant constitué de musulmans et de chrétiens. Tout ce qui comptait, c’était que le reste n’était pas des juifs et qu’il constituait ainsi un empêchement à la réalisation du but du sionisme : la « pureté » ethnique ».
Les Juifs palestiniens, qui plus est, n’étaient pas des convertis volontaires – comme l’a indiqué l’éminent historien Ilan Pappé. Ils étaient aussi méfiants du sionisme que ne l’étaient leurs compatriotes musulmans et chrétiens. Au fil du temps, toutefois, les sionistes les ont incorporés avec succès dans leur projet messianique, bien que, aussi tardivement qu’en novembre 1945, les Britanniques aient encore fait savoir que les Juifs natifs des États du Levant « s’inquiétaient du sionisme » et « témoignaient de la solidarité avec la population arabe locale ».
Un faux cadrage
Le terme « Palestinien » suggère une association géographique – des personnes dont l’héritage et l’identité culturelle dérivent de la Palestine historique, qu’elles soient nées autochtones ou dans la diaspora. Quand un public déjà endoctriné par le discours israélien entend qu’il y a des problèmes entre Israël et « les Palestiniens », cela crée un faux sentiment de tergiversations territoriales traditionnelles, renforcé par le fantôme d’une Autorité « nationale » palestinienne.
Le faux cadrage disparaît, toutefois, quand « Palestiniens » est remplacé par « non-juifs » ou « Palestiniens non juifs ».
Les Juifs palestiniens n’étaient pas les seuls Juifs arabes que les sionistes ont incorporés dans leur projet colonial. Les sionistes se sont employés énergiquement, avec violence en effet, à transplanter les Juifs arabes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord vers la Palestine, bénéficiant ainsi au sionisme en sus de leur valeur en tant que colons. Durant la période du Mandat, les Juifs moyen-orientaux sionisés (par exemple, les Yéménites) allaient être particulièrement efficaces dans les campagnes de terreur du sionisme du fait même qu’ils se mélangeaient aux populations autochtones et que, de la sorte, ils pouvaient opérer partout sans créer de soupçons.
Une fois que le mouvement sioniste fut parvenu à créer son fameux « État juif » en 1948, l’identité palestinienne elle-même devint un fardeau, une preuve embarrassante qu’il fallait oblitérer. Aujourd’hui, la déshumanisation des Palestiniens par l’Occident au nom d’Israël est telle que la réponse du Congrès américain aux massacres commis par Israël, comme l’assassinat de masse de 2014, l’opération « Bordure protectrice », a été d’accroître le financement prévu pour Israël.
C’est dans l’effort en vue de réveiller le public occidental face au lent génocide qu’il facilite docilement, qu’il est important de dénoncer le fonctionnement interne de la façon dont ce même public a été rendu complice et pourquoi.
Israël se targue d’être « l’État juif » et d’avoir en tant que tel concrétisé ses prétentions messianiques et opéré un détournement de l’identité juive – et, en effet, d’avoir fait en sorte que proférer des mots contre l’État équivaut à être contre les juifs. Comme Bel-Gourion lui-même l’avait dit en 1941 au cours d’une réunion prévoyant la reprise de la Palestine par les sionistes, cela tourne autour du fait « d’être un juif ».
C’est pour faire de la Palestine historique le foyer de cette « race » juive – une « nationalité » mondiale marquée par le lien du sang, avec des paramètres qu’Israël est seul à dicter et pour laquelle l’intermariage entre juifs et non-juifs est mis hors la loi – qu’Israël a condamné des millions d’êtres humains à divers niveaux d’apartheid, les a confinés dans des bantoustans et des camps de réfugiés.
C’est pourquoi il tue si facilement, c’est pourquoi les milices sionistes ont dépeuplé quelque 500 villages en 1948 et c’est pourquoi, aujourd’hui, des millions de personnes languissent dans des camps. Si elles avaient été juives – qu’elles eussent été palestiniennes, arabes ou quoi que ce soit – on leur aurait donné en lieu et place une maison dont le propriétaire avait été nettoyé ethniquement parce qu’il n’était pas juif.
Une relation correcte des faits
Par conséquent, identifier correctement les victimes du sionisme ne dénonce pas que le fascisme racial d’Israël à l’égard des Palestiniens, mais aussi son racisme racial en tant que crime profond contre les juifs, détournant l’identité juive pour servir son culte de la suprématie ethnique.
Selon moi, rien de ce qui se passe entre le Jourdain et la Méditerranée, ou dans les camps d’internement (dit camps de réfugiés) parsemés dans la région, ne peut être compris sans garder la chose au tout premier plan. L’État israélien va exploiter le terme « juif » (comme substantif et adjectif) – par exemple, en forçant les médias de l’information à faire référence aux colonies d’apartheid en Cisjordanie comme s’il s’agissait de « quartiers juifs » afin de faire naître l’idée que, si vous y êtes opposés, c’est parce qu’ils sont juifs. Mais le public est délibérément laissé inconscient de ce que les gens réels du « quartier » sont ces enfants qui jettent des pierres et qui sont éloignés de force parce qu’ils ne sont pas juifs.
Si le public n’était pas gardé dans l’ignorance, l’effet serait rapide et profond. Imaginez que l’on parle de la Grande Marche du Retour d’il y a quelques années, quand les gens de Gaza y allaient d’un déploiement essentiellement symbolique du retour vers leurs propres foyers légaux dont ils avaient été nettoyés ethniquement. On lirait alors quelque chose dans ce genre : Des personnes tentant de rentrer chez elles continuent d’être abattues et tuées par des snipers israéliens parce qu’elles sont des non-juifs.
Ou, quand l’armée israélienne fait irruption dans un camp de réfugiés à 3 heures du matin et tue un adolescent de 15 ans, nous pourrions en avoir une description correcte qui dirait ceci : Des soldats israéliens sont entrés dans le camp d’al-Arroub, l’un des camps d’internement dans lesquels Israël confine les non-juifs, et ils ont exécuté un adolescent qui contestait leur présence.
Ou encore sur les bantoustans et les contrôles des déplacements : Ce matin, la mère de trois enfants a perdu son combat contre le cancer après qu’Israël l’a empêchée à plusieurs reprises de se rendre aux soins médicaux, et ce, du fait qu’elle était une non-juive.
Ou tout simplement le nettoyage ethnique routinier : Les forces israéliennes ont poursuivi leur traque de tous les non-juifs restants dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée, forçant aujourd’hui deux de ces familles à quitter leurs maisons afin de les remplacer par des juifs.
Il n’y a rien d’interprétatif, dans cette façon de rapporter les faits. Ce sont des résumés directs, factuels de ce qui se passe et pourquoi.
Si les médias devaient informer sur la Palestine avec une telle exactitude, le projet sioniste tout entier ne tarderait pas à s’écrouler. Ce ne sera pas le cas – pas tout de suite, pas avant que nous ne soyons assez nombreux pour agir de la sorte.
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Thomas Suarez est un violoniste professionnel, formé au Conservatoire National de Musique Palestinien, et chercheur en histoire. Il vit aujourd’hui à Londres.
Parmi ses livres, on trouve trois ouvrages sur l’histoire de la cartographie et quatre sur la Palestine, dont le tout récent Palestine Hijacked – How Zionism forged an apartheid state from river to sea (La Palestine détournée – Comment le sionisme a bâti un État d’apartheid du fleuve à la mer).
Le livre « Comment le terrorisme a créé Israël » a d’abord été publié en anglais sous le titre « State of Terror » et a été traduit pour Investig’Action par Jean-Marie Flémal, traducteur également pour ce site.
Le livre est dédié « Aux jeunes Palestiniens en résistance qui, à partir de la lutte résolue de leurs parents, bâtiront un avenir qu’ils se seront choisis. »
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Publié le 30 juin 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine