Les protestations en faveur de la « démocratie » en Israël soutiennent en fait un système d’apartheid

Toutes les institutions en Israël, y compris la cour suprême, font progresser l’objectif de la colonisation de la Palestine. L’épine dorsale du système que défendent les protestataires israéliens est un système d’apartheid qui n’est que plus flagrant de jour en jour

 

Israël, Tel-Aviv. Des Israéliens brandissent des banderoles et des écriteaux au cours d’une manifestation contre les propositions de réformes judiciaires.

Tel-Aviv. Des Israéliens brandissent des banderoles et des écriteaux au cours d’une manifestation contre les propositions de réformes judiciaires. (Photo : Ilia Yefimovich / DPA via ZUMA Press)

 

Amjad Alqasis, 5 septembre 2023

Depuis des mois, des centaines de milliers d’Israéliens manifestent contre les réformes judiciaires proposées par leur gouvernement.

Toutefois, leurs protestations ne font nullement état du traitement inhumain des Palestiniens, de l’expansion des colonies ou du fait qu’ils vivent dans un État d’apartheid. Les Israéliens protestent par crainte de perdre leur propre statut politique et leurs privilèges.

L’incongruité de la situation est la clé qui permet de comprendre la nature de l’idéologie d’État sioniste d’Israël. Les protestataires craignent de perdre leurs droits démocratiques, mais gardent le silence sur la répression continuelle des Palestiniens par l’État.

Au beau milieu de ces protestations, l’armée israélienne continue d’attaquer les quartiers et camps de réfugiés palestiniens. Et les groupes de colons israéliens incendient maisons et boutiques dans les villages palestiniens, tout en hurlant « mort aux Arabes », comme à Huwwara ou à Turmus Aya.

Mais les protestataires israéliens ne s’indignent pas de ces incidents ; il n’en est même pas fait état. Les protestataires ne reconnaissent pas le paradoxe de leurs rassemblements : comment ils défendent leurs propres principes démocratiques dans le même temps que leur État occupe et colonise la Palestine.

Cela n’a rien de surprenant. En fait, c’est la base même de l’État d’Israël.


Le transfert forcé de la population

Le mouvement sioniste s’est révélé brutal dès le début quand il a cherché à coloniser une étendue maximale de terre habitée par un nombre minimal de résidents palestiniens autochtones.

Il a réalisé ce but en recourant au transfert forcé de la population, c’est-à-dire via un crime contre l’humanité qui a toujours constitué un principe du sionisme politique. Yosef Weitz, le directeur du département foncier de l’Agence nationale juive, écrivait en 1940 :

« On ne peut faire autrement que de transférer les Arabes [palestiniens] d’ici vers les pays voisins, et de les y transférer tous. »

Le penseur sioniste des débuts, Israël Zangwill, disait en 1916 :

« Si nous souhaitons donner un pays à un peuple sans pays, il est extrêmement insensé de lui permettre d’être le pays de deux peuples. »

Malgré ces principes fondateurs, le mouvement sioniste et le gouvernement israélien ont tenté de paraître modernes et démocratiques. Pourtant, leur but a toujours été de créer un pays exclusivement destiné au peuple juif.

À cette fin, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées de force entre 1948 et 1967, et l’État a ensuite appliqué une stratégie que Badil, une organisation palestinienne de défense des droits, qualifie de « transfert silencieux ». Silencieux en ce sens qu’Israël évite grandement d’attirer l’attention internationale et déplace des personnes sur base hebdomadaire en créant des conditions de vie intenables pour les Palestiniens.

On le voit à Jérusalem-Est occupée, où la plupart des demandes palestiniennes de permis de bâtir sont rejetées par les autorités israéliennes.

La population palestinienne de Jérusalem a dû s’étendre dans des quartiers non destinés par l’État d’Israël à accueillir des résidents palestiniens. En forçant les Palestiniens à construire sans permis de bâtir adéquat, le système israélien d’aménagement du territoire et de zonage expose les habitations palestiniennes à une menace constante de démolition.

La politique israélienne de transfert silencieux est incarnée dans chaque aspect de l’État : la gouvernance et l’application des droits de résidence, la régulation des ressources naturelles et l’application de la justice. Israël se sert de son pouvoir pour pratiquer la discrimination à l’égard des Palestiniens et, finalement, pour exclure de la Palestine la population autochtone non juive.


La « légalisation » du déplacement

Le déplacement des Palestiniens se poursuit de jour en jour et il n’est pas toujours silencieux.

Une version plus agressive de la politique israélienne du déplacement se rencontre dans la discussion ouverte des hommes politiques à propos de la reprise des sites sacrés. En mai, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a déclaré qu’Israël était « en charge » de Haram al-Sharif (le mont du Temple, pour les Israéliens, NdT).

C’était l’un des nombreux cas où des hommes politiques israéliens ont soutenu, voire encouragé la violence contre les Palestiniens.

De son côté, le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, déclarait :

« Je pense que le village de Huwwara devrait être rasé. »

Et les officiels de l’État ont longtemps discuté de la déportation de parties importantes de la population palestinienne vers le Sinaï, en Égypte.

Il semble que la création de l’État d’Israël ne soit pas encore complète, puisqu’Israël adopte des lois censées court-circuiter davantage encore les libertés publiques et diaboliser la résistance palestinienne en la qualifiant de terroriste.

La Loi sur l’État nation de 2018, par exemple, a codifié des pratiques israéliennes qui existaient depuis longtemps. Elle déclarait ouvertement que le droit d’

« exercer l’autodétermination nationale dans l’Etat d’Israël est réservé au seul peuple juif ».

La loi permettait au monde de voir le déséquilibre fondamental d’être à la fois un État démocratique et un État juif. En essence, la loi déclare que, s’il y a opposition entre les caractères juif et démocratique de l’État, le caractère juif prévaut sur l’autre.

Une restriction aussi grave des principes démocratiques est en contradiction directe avec la rengaine israélienne, vieille de plusieurs décennies, disant qu’Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient.

La loi constituait un moyen pour les dirigeants israéliens de prouver leur engagement envers la cause sioniste. La loi de 2011 sur les comités d’admission est un autre exemple de loi utilisée pour appliquer l’apartheid israélien. La loi permet à des villages du Néguev de rejeter des résidents palestiniens sur base qu’ils ne « conviennent pas » pour des villes juives.

En 2023, un amendement de cette loi étendait sa portée en permettant à un plus grand nombre de villages de pratiquer des discriminations à l’égard des Palestiniens, montrant un peu plus encore qu’Israël se moque pas mal de dissimuler ses mesures ségrégationnistes.

Toutes les institutions israéliennes, y compris la cour suprême, font progresser l’objectif de la colonisation de la Palestine. L’épine dorsale du système que défendent les protestataires israéliens est un système d’apartheid qui n’est que plus flagrant de jour en jour.

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Amjad Alqasis est chercheur juridique et membre du réseau NAS de soutien au Centre de ressource Badil en faveur de la résidence palestinienne et des droits des réfugiés.

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Publié le 5 septembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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