Plaintes douteuses autour d’une prétendue agression « arabe » contre un Israélien à Berlin

Dimanche, d’importants diplomates allemands et israéliens sont intervenus sur Twitter pour dénoncer ce qui ressemblait ce week-end à une horrible agression contre un touriste israélien à Berlin, agression imputée à des Arabes non identifiés.

 

Le citoyen israélien Yonatan Yisraeli, en visite à Berlin, affirme qu’il a été brutalement agressé par des Arabes parce qu’il parlait hébreu et qu’il est juif.

Le citoyen israélien Yonatan Yisraeli, en visite à Berlin, affirme qu’il a été brutalement agressé par des Arabes parce qu’il parlait hébreu et qu’il est juif. (Photo : via Twitter)

 

Ali Abunimah, 9 août 2023

Mais, jusqu’à présent, bien des choses ne s’accordent pas.

« C’est dégoûtant ; espérons que ces voyous soient pris »,

a écrit Steffen Seibert, l’ambassadeur d’Allemagne à Tel-Aviv.

« C’est insupportable que quelque chose de ce genre puisse arriver à un jeune juif à Berlin. »

 

« Un autre Israélien a été brutalement agressé dans la capitale allemande. C’est inadmissible ! »

a tonné Ron Prosor, l’ambassadeur d’Israël à Berlin.

« Les Israéliens et les juifs ne devraient pas se sentir mal à l’aise quand ils déambulent dans les rues de Berlin ou de toute autre ville allemande »,

a ajouté le haut fonctionnaire israélien.

« Les autorités allemandes doivent tout mettre en œuvre pour faire cesser ces agressions et ces incitations contre Israël et les juifs avant qu’il ne soit trop tard. »

 

On ne sera pas étonné que l’envoyé d’Israël ait décrit l’incident supposé comme faisant partie d’un plan plus large d’agressions contre les juifs et les Israéliens, suggérant peut-être par-là que l’Allemagne glissait à nouveau vers une période nazie.

Josef Schuster, le président du Conseil central des juifs en Allemagne, a dénoncé l’agression supposée comme

« honteuse pour une capitale européenne cosmopolite ».

 

Sawsan Chebli, une députée allemande pro-israélienne d’origine palestinienne en provenance du Parti social-démocrate, a sauté sur l’occasion pour réitérer sa demande que les Palestiniens et les Arabes soient envoyés en visite obligatoire dans les anciens camps allemands de la mort afin de les débarrasser de la haine des juifs et d’Israël dans laquelle ils ont été prétendument élevés.

 

L’incident a rapidement fait son chemin dans les médias communautaires allemands, israéliens et juifs, avec toute une série de comptes rendus mettant l’accent sur une motivation antisémite supposée dans cette prétendue agression.

L’Associated Press a même parlé de cette agression supposée, ajoutant en guise de contexte que les incidents antisémites « sont monnaie courante en Allemagne ».

Le fait d’imputer ce prétendu incident aux Arabes – même si aucun suspect n’a été appréhendé – est potentiellement susceptible d’alimenter le racisme déjà envahissant en Allemagne à l’égard des communautés de réfugiés et d’immigrés, surtout musulmans.

L’Allemagne en effet est confrontée à un grave problème de sectarisme antijuif mais, selon sa propre police, une recrudescence des incidents antisémites ces dernières années provient presque exclusivement de l’extrême droite et non des communautés musulmanes et immigrées.

On estime que 10 000 Israéliens vivent à Berlin – un grand nombre y ont convergé ces dernières années – et pourtant les agressions qu’ils subissent sont suffisamment rares pour que celle-ci ait fait les gros titres au niveau international, bien que peu de chose, en fait, puisse la corroborer, jusqu’à présent.

Un examen des circonstances soulève des questions et suggère qu’il faille être prudent.

Le scepticisme est particulièrement justifié vu toute une série de fausses plaintes pour agressions antisémites en Allemagne et en Europe au cours de ces dernières années.

À tout le moins, les réactions de surchauffe de la part d’importants diplomates sont prématurées et opportunistes – et sentent l’effort de dépeindre Israël et les Israéliens comme les toutes dernières victimes à une époque où la violence coloniale barbare et sans cesse croissante d’Israël à l’égard des Palestiniens autochtones engendre plus d’horreur encore au niveau international.


« Quand donc ce cauchemar va-t-il finir ? »

Voici ce que nous savons, jusqu’à présent.

Dimanche, la police de Berlin a publié une déclaration à propos d’un incident supposé avoir eu lieu le soir précédent.

La déclaration s’appuie sur le propre compte rendu de la victime. Le touriste de 19 ans a prétendu qu’il déambulait avec son amie de 18 ans dans la Hedemannstrasse, dans la section branchée de Keuzberg, à Berlin, et ce vers 22 h 15, samedi soir.

 

Le touriste, identifié dans les médias israéliens comme Yonatan Yisraeli, « parlait au téléphone en hébreu » quand, « brusquement, une voiture occupée par quatre hommes s’est prétendument arrêtée à hauteur du couple », a poursuivi la police.

Ensuite, trois hommes seraient sortis de la voiture et

« l’un des hommes se serait adressé au jeune homme de 19 ans, qui ne l’aurait pas compris, vu sa méconnaissance de l’allemand ».

Soudain, l’un des hommes aurait frappé Yisraeli, l’envoyant au sol.

« Les trois hommes auraient continué de frapper le jeune homme au sol à coups de poing et de pied »,

selon la police berlinoise.

Puis ils seraient remontés dans la voiture et partis vers une « direction inconnue ».

Yisraeli et son amie, qui n’a pas pris le moindre coup, se sont rendus dans un hôpital

« où des blessures mineures au bras et au visage ont été traitées en ambulatoire »,

selon la déclaration de la police.

De façon significative, la police berlinoise déclare qu’elle enquête sur cette prétendue agression comme s’il s’agissait d’un incident potentiellement antisémite.

 

Lors d’interviews pour des médias allemands et israéliens, Yisraeli a fourni de plus amples détails sur sa prétendue agression.

Il a expliqué au tabloïd Bild qu’au moment où il se faisait tabasser, il se serait dit en lui-même :

« Quand donc ce cauchemar va-t-il finir ? »

Alors qu’il était agressé, sa compagne – identifiée uniquement sous le prénom d’Avia – « a crié et hurlé », selon Bild.

« Quand ils en ont eu fini avec moi, ils sont partis avec leur voiture et ont écouté de la musique arabe, très fort, et ils ont vraiment célébré la chose »,

a ajouté Yisraeli.

« J’ai été tabassé par des Arabes parce que je suis juif ! »

 

Une photo publiée par le journal allemand Bild montre les blessures subies par l'Israélien Yonatan Yisraeli. (Photo : Bild)

Une photo publiée par le journal allemand Bild montre les blessures subies par Yonatan Yisraeli. (Photo : Bild)

 

Bild prétend également qu’on a « diagnostiqué une commotion cérébrale », chez Yisraeli, même si la police berlinoise ne fait nullement mention d’une blessure à la tête potentiellement aussi grave.

Une photo du coude de Yisraeli, publiée par Bild se propose de montrer les contusions qu’il a reçues lors de ce qu’il décrit comme une agression cauchemardesque. Il est malaisé de voir grand-chose sur la photo, en matière de blessures.

Bild a intitulé son article à sensation : « Ils sont repartis en voiture en écoutant de la musique arabe. »

 

« Je pense qu’ils étaient arabes »

Yisraeli a également pris la parole sur la chaîne de diffusion Kan de l’État israélien.

 

« Mon amie et moi avons quitté l’appart pour acheter quelque chose au supermarché », dit Yisraeli à Kan.

« Et nous sommes dans la rue, sur le chemin du retour. Soudain, une voiture rouge s’arrête près de nous, ils nous demandent quelque chose en allemand, comment se rendre à – je n’en ai aucune idée. »

« Nous leur disons en anglais que nous ne sommes pas d’ici, que nous ne comprenons pas », ajoute Yisraeli.

« Nous continuons de marcher, de nous parler entre nous et, brusquement, deux secondes plus tard, ils commencent à nous taper dessus. Sur moi, en fait. En principe, il s’avère qu’ils ne cognent pas sur les femmes. Mais, sur moi, c’est OK. »

Quand on lui demande si ses agresseurs étaient « allemands », Yisraeli répond : « Je pense qu’ils étaient arabes. Je ne puis le dire avec certitude. »

« Après qu’ils eurent terminé ce qu’ils avaient fait, ils sont remontés dans la voiture et ont mis la musique à fond et ils sont partis. À mon avis, c’était de la musique arabe. Je ne sais pas. »

L’interviewer de Kan demande alors à Yisraeli :

« Pensez-vous qu’il y ait vraiment un rapport avec le fait que vous parliez là en hébreu ? Que vous venez d’Israël ? »

Yisraeli répond :

« Je le pense, parce que nous parlions au téléphone et que mon nom est Yonatan Yisraeli et que tout le monde m’appelle Yisra. Ainsi donc, nous parlions beaucoup en disant : ‘Yisra, Yisra, Yisra’. Parce que c’est comme ça qu’ils m’appellent. Et je pense donc qu’il y a un rapport. Nous parlions également en hébreu. Et ce n’était pas en chuchotant. Et ils m’appelaient par mon nom, Yisra. »

Au moment où il s’adressait à Kan, Yisraeli peut avoir compris que cela n’avait que peu de sens : Des personnes roulant en auto auraient généralement du mal à entendre clairement la conversation de deux personnes sur un trottoir.

Il est également malaisé de croire que ces hommes auraient imaginé à partir d’une conversation que le surnom « Yisra » de Yisraeli puisse indiquer la moindre connexion avec Israël.

Si on présume qu’ils étaient arabes et qu’ils ont en effet entendu « Yisra », ils pourraient bien avoir pensé que c’était un prénom féminin courant chez les filles arabes, Israa.

Mais Yisraeli fournit à Kan des détails supplémentaires, peut-être pour tenir compte de ces problèmes potentiels soulevés par son histoire.

« Pendant un bout de temps, ils ont roulé à côté de nous avec une porte ouverte, enfin, je veux dire, une fenêtre ouverte »,

affirme Yisraeli.

Yisraeli prétend-il ici que lui et son amie étaient suivis ? Si c’est le cas, cela contredit ce qu’il affirme en disant que la voiture s’est arrêtée « brusquement ».

Dans l’interview accordée à Kan, Yisraeli fournit également des détails inconsistants sur des prétendues blessures, suggérant même avoir souffert de blessures traumatisantes à la tête, assez graves pour provoquer une perte de mémoire – une fois encore, c’est quelque chose que ne mentionne aucunement la déclaration de la police allemande.

« Et ma mémoire… On craignait une commotion cérébrale. Je ne me rappelle pas exactement ce qui s’est passé après le premier coup »,

dit Yisraeli, ajoutant :

« Ils m’ont fait un scanner cérébral, à l’hôpital. »

 

« Apparemment, des musulmans »

Il convient de remarquer que Yisraeli ne prétend pas que ses présumés agresseurs aient jamais dit quelque chose pour indiquer qu’ils savaient spécifiquement qu’il était israélien ou juif. Il ne prétend pas non plus les avoir entendu proférer quoi que ce soit contre les juifs ni sortir le moindre commentaire à propos d’Israël.

Dans les photos et la vidéo qui ont été publiées sur Yisraeli, il n’est pas visiblement identifiable comme juif ou israélien, pas plus qu’il ne fait allusion au moindre signe distinctif visible qu’il aurait pu arborer le soir de l’agression supposée.

Il prétend simplement que les hommes qui roulaient dans une voiture les ont entendus d’une façon ou d’une autre, lui et son amie, parler hébreu, ont reconnu que c’était de l’hébreu et, sur cette base, ont décidé d’arrêter leur voiture et de s’en prendre à lui.

Alors que Yisraeli doit toujours fournir des preuves que ses agresseurs supposés étaient motivés par la connaissance de ce qu’il était israélien ou juif, il semble en fait vouloir faire des allégations à leur propos.

Dans une deuxième interview accordée à Kan, on demande à Yisraeli si ses agresseurs étaient musulmans.

« Apparemment, c’étaient des musulmans », répond Yisraeli.

« Et, après qu’ils sont remontés dans la voiture, ils se sont mis à être joviaux et ils ont mis de la musique arabe à fond. Et aussi après que nous leur avons dit que nous n’étions pas d’Allemagne, ç’a été le déclencheur – « Mmm, tabassons-les » – quelque chose comme ça… »

 

 

Ni vidéo, ni suspect, ni mobile

Mardi, Patricia Brämer, la porte-parole de la police berlinoise, a confirmé par courriel à The Electronic Intifada qu’il n’y avait pas de vidéo de surveillance de l’agression supposée et qu’aucun témoin indépendant ni suspect n’avaient été identifiés à ce moment-là.

À ce point, la police berlinoise n’attribue pas le moindre mobile à l’agression présumée.

« On ne peut dire quelque chose de la motivation que lorsque les suspects ont été identifiés »,

a écrit Brämer.

Il est bizarre aussi que ni la déclaration de la police ni le moindre rapport des médias ne contiennent de témoignage de l’amie de Yisraeli – la seule personne autre que Yisraeli et ses prétendus assaillants dont on dit qu’elle a été témoin de l’incident.

Il serait compréhensible qu’elle ne souhaite pas être citée nommément en public, mais toute organisation médiatique honorable lui accorderait l’anonymat afin de lui permettre d’y aller de son compte rendu d’une agression terrifiante dont, par bonheur, elle est sortie totalement indemne.

Mardi, la police de Berlin a fait une mise à jour de sa déclaration publique en demandant à d’éventuels témoins de se présenter.

La police cherche des suspects âgés de 20 à 30 ans, « peut-être d’origine arabe ». Elle demande aussi à toute personne disposant d’informations de la contacter, particulièrement si elle a assisté à l’agression ou si elle a vu une voiture rouge près de l’endroit et approximativement au moment où aurait eu lieu l’agression.

 

Une histoire de canulars (hoaxes)

Ce qui a attiré l’attention de l’auteur du présent article, c’est à quel point le compte rendu de Yisraeli rappelle une affaire de 2013 dans laquelle un metteur en scène de cinéma israélien, Yariv Horowitz, prétendait avoir été agressé par une bande de jeunes Arabes alors qu’il visitait la France. C’était un mensonge.

Actuellement, le chanteur germano-israélien Gil Ofarim est confronté à des accusations criminelles en Allemagne pour avoir faussement prétendu avoir été victime d’un délit d’antisémitisme de la part d’un employé d’hôtel.

Dans ce cas, une vidéo de surveillance a prouvé qu’Ofarim avait menti à propos d’un incident supposé qui avait engendré sympathie et indignation dans toute l’Allemagne.

Naturellement, il n’y a pas que des Israéliens qui se livrent à de tels canulars.

Notoirement, l’acteur américain noir, Jussie Smollett, a imaginé une agression à mobile racial contre lui-même à Chicago en 2019 et, l’année suivante, la New-Yorkaise blanche Amy Cooper a obtenu la notoriété internationale quand elle a appelé la police pour accuser abusivement l’ornithologue noir Christian Cooper (qui n’est absolument pas parent avec elle) de l’avoir menacée à Central Park.

Et, ces toutes dernières années, en Allemagne, il y a eu une escalade dans la chasse aux sorcières contre les Arabes, surtout les Palestiniens, en les accusant faussement d’antisémitisme.

Ceci comprend le licenciement de plusieurs journalistes arabes par le diffuseur national Deutsche Welle. Ces licenciements ont été jugés dénués de fondement et illégaux au moment où ils ont été contestés en justice.

Rien de tout cela n’indique que Yonatan Yisraeli ment nécessairement ou se livre à un canular. Il est possible qu’il dise la vérité ou que quelque chose se soit produit même si cela ne s’est pas exactement passé comme il le décrit.

Il va sans dire que si Yisraeli a souffert de l’horrible agression qu’il décrit, il mérite la justice et la protection comme n’importe qui d’autre, quelle que soit la motivation de ses assaillants.

Mais, étant donné les inconsistances du compte rendu de Yisraeli et la manque de confirmation, de témoins ou de suspects réels, son affaire justifie une prudence maximale de la part des observateurs extérieurs, particulièrement quand elle est déjà utilisée par les propagandistes afin de marquer des points en faveur d’Israël.

À tout le moins, des responsables publics comme Steffen Seibert, l’ambassadeur d’Allemagne à Tel-Aviv, devraient s’abstenir de verser de l’huile sur le feu dans cette situation potentiellement volatile, surtout quand les faits sont aussi loin d’être clairs.

Espérons que la police berlinoise ira rapidement au fond des choses et que toute personne coupable d’un délit dans cette affaire se verra réclamer des comptes – et qu’importe qui elle est.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 9 août 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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