Comment se débrouillent les personnes handicapées, quand Israël bombarde Gaza ?

Hasan al-Zaalan, le responsable de l’Union générale palestinienne des personnes handicapées à Gaza : « Lors de la dernière guerre, nous avons eu trois martyrs [des personnes handicapées] et plusieurs blessés. »

 

Comment se débrouillent les personnes handicapées, quand Israël bombarde Gaza ? La photo ci-dessus montre des hommes aidant une femme blessée lors des frappes aériennes israéliennes contre Khan Younes

Quand Israël a envahi le sud de la bande de Gaza, en 2014, Alaa al-Nahal, qui est sourd, n’a pu entendre les attaques israéliennes, mais il a pu les ressentir. La photo ci-dessus montre des hommes aidant une femme blessée lors des frappes aériennes israéliennes contre Khan Younes , dans le sud de Gaza, à la même époque. (Photo : Ramadan El-Agha / APA images)

 

Khaled El-Hissy, 4 août 2023

 

Emad Qudeih était assis avec ses amis sur la route près de chez lui, à Khan Younes, quand une forte explosion avait secoué les environs. On était en mai 2016, et il n’avait alors que 13 ans. Tout le monde avait paniqué et s’était enfui, le laissant seul.

« J’ai essayé de fuir, mais je ne savais pas quelle route était sûre »,

dit Emad Qudeih, âgé aujourd’hui de 20 ans.

« Je suis aveugle. Je n’ai pu que me figer et attendre mon sort. »

Il était resté silencieux, pétrifié de crainte, jusqu’au moment où son père s’était précipité vers lui et l’avait ramené à la maison. L’armée israélienne avait bombardé le secteur et ce n’était pas la première fois qu’Emad était pris dans la violence de l’occupation.

Lors de la guerre de 2014, Emad Qudeih et sa famille avaient été contraints d’évacuer leur habitation au moment des invasions terrestres israéliennes dans le sud de la bande de Gaza.

Tous les Palestiniens de Gaza sont vulnérables, lors des attaques israéliennes, mais les Palestiniens aveugles courent encore plus de risques.

 

Des médicaments qui ne servent à rien

Emad Qudeih n’est pas né aveugle. C’est progressivement, qu’il a perdu la vue.

Dans une première phase, il a perdu la vision de l’œil droit en raison d’un décollement de la rétine. Deux ans plus tard, il perdait la vision de l’œil gauche pour la même raison. Il avait alors 7 ans.

Entre 7 et 14 ans, il a subi une opération après l’autre à l’hôpital ophtalmologique de Saint-Jean de Jérusalem.

« Les opérations ont réussi, et j’ai pu voir pendant quelque temps »,

explique Emad,

« mais un voile a fini par entraver ma vision. »

Il s’est avéré qu’il s’agissait d’hémorragies rétiniennes. Les médecins ont dit que les hémorragies s’en iraient au fil du temps avec des médicaments, sous forme de gouttes oculaires (collyres).

« Mais les médicaments n’ont servi à rien »,

poursuit Emad.

En 2015, alors qu’il avait 12 ans, il est allé en Espagne et a subi cinq opérations en trois mois, mais il a perdu complètement la vue plusieurs mois après ces opérations.

Emad s’est entretenu avec The Electronic Intifada à l’Université islamique de Gaza, où il poursuit des études en traduction anglaise.

« En sus de m’affirmer devant mes professeurs »,

dit-il,

« il m’a fallu du temps pour apprendre à me diriger dans les divers bâtiments de l’université. »

Il compte ses pas, quand il marche, de sorte qu’il peut s’y retrouver. Il a également mémorisé divers itinéraires qui l’aident à se déplacer.

« Je veux être un activiste et apparaître à la TV tout en parlant et l’arabe et l’anglais »,

dit Emad,

« afin de décrire nos besoins, et en tant que personnes handicapées et en tant que Palestiniens. »

 

« Personne ne va embaucher un sourd »


Alaa al-Nahal, 52 ans,
regardait les infos à la TV, lors de la guerre d’Israël contre Gaza en 2014, quand, brusquement, il avait perçu des grondements très près de sa maison, bien qu’il fût sourd.

« J’ai senti que la porte était secouée et j’ai compris que les Israéliens bombardaient tout près »,

dit-il.

« Ma femme s’est précipitée vers moi en me disant qu’il valait mieux quitter la maison. »

La famille avait rassemblé ses biens pour s’en aller de Rafah – la ville la plus méridionale de Gaza. Israël avait annoncé une invasion terrestre de la bande de Gaza à partir du sud.

Au moment où la famille s’apprêtait à s’en aller, une forte explosion avait ébranlé les fenêtres.

« Ils ne nous avaient pas avertis du tout [du bombardement] »,

dit Alaa al-Nahal.

Malgré la terreur de cette nuit, Alaa déclare qu’il n’avait pas été confronté à des difficultés spéciales, pendant la guerre.

« Je n’ai pas eu d’autres difficultés que de ne pas me sentir en sécurité chez moi. »

Bien des Palestiniens de Gaza, qui vivent en état de siège, pourraient dire pareil. Mais quand Alaa al-Nahal est venu au monde, il souffrait d’une fièvre qui lui avait valu de perdre l’ouïe.

Alaa Al-Nahal communique par le langage des signes et sa femme traduisait pour nous lors de l’interview chez eux.

Il a expliqué que sa situation ne lui donnait pas l’impression d’être isolé, bien qu’il souhaitât de pouvoir trouver du travail.

Depuis 2001, il avait travaillé comme chauffeur afin de soutenir ses quatre filles et son fils. Toutefois, quand sa voiture est tombée en panne en 2020, il a dû la vendre. Pour l’instant, la famille reçoit des allocations sociales afin d’assurer ses besoins quotidiens – bien que leur paiement ne soit pas toujours assuré.

« Il n’y a pas de revenu et personne ne va embaucher un sourd »,

dit Alaa. Parfois, ses frères et sœurs lui viennent en aide.

Mais le chômage dépasse déjà 40 pour 100, à Gaza, suite au blocus imposé par Israël, et ses chances de trouver un emploi sont minimes.

 

L’occupation ne fait pas la différence

Hasan al-Zaalan, le responsable de l’Union générale palestinienne des personnes handicapées, explique comment ces dernières sont confrontées à de nombreux obstacles, lors des attaques israéliennes.

« Elles sont confrontées à de nombreux obstacles, en temps de guerre, telle une mobilité limitée, si elles échappent aux bombardements »,

dit-il.

« L’occupation ne fait pas la différence entre les personnes handicapées et les autres, en temps de guerre. Elle ne respecte pas leurs droits. Lors de la dernière guerre, nous avons eu trois (…) martyrs [des personnes handicapées] et plusieurs blessés. »

Le 6 avril 2018, Mahmoud Malakha, 34 ans, qui vit dans le quartier de Shujaiya à Gaza, allait récupérer la clef de sa cafeteria-snack chez un employé qui assistait à la Grande Marche du Retour, le long de la frontière avec Israël.

Il était avec les autres manifestants

« quand j’ai ressenti un puissant choc électrique à la jambe et suis tombé sur le sol »,

dit-il.

« Une balle d’un sniper m’avait frappé à la jambe. »

Après sa chute sur le sol, des gens s’étaient massés autour de lui et il avait été transporté vers une ambulance.

Ce n’était pas sa première blessure en provenance d’une arme israélienne.

Lors de la guerre de 2009 contre Gaza, il se trouvait dans un bus avec ses amis quand une frappe aérienne israélienne avait touché le bus. Mahmoud Malakha avait été le seul survivant. Il ne se passe pas de jour dans sa vie où il se sente à l’aise d’en parler en détail.

« J’ai passé une année et sept mois couché dans un lit, incapable de remuer les mains ou le cou »,

dit-il.

« Je devais porter des langes parce que je n’étais même pas capable d’aller aux toilettes. »

Neuf ans plus tard, il était de nouveau transporté de toute urgence à l’hôpital. Les médecins insistaient en faveur d’une amputation immédiate, mais Mahmoud avait refusé.

Au cours des deux années suivantes, il allait subir des dizaines d’opérations censées l’aider à recouvrer l’usage de sa jambe. Quand il avait développé un cancer des os en 2020, il avait subi une chimiothérapie, mais l’amputation de sa jambe avait été la seule façon d’éradiquer complètement son cancer.

En septembre 2022, Mahmoud Malakha a subi sa 89e opération, à ses propres frais. Il s’est réveillé sept heures plus tard pour poursuivre son existence avec une seule jambe.

« J’ai approché la situation avec un sentiment de normalité »,

dit-il.

« Après l’opération, je suis rentré chez moi, je me suis reposé, je me suis réveillé le lendemain matin et je suis allé au marché. »

En guise de compensation pour sa jambe perdue, Mahmoud reçoit environ 165 USD chaque mois. Une compensation qui suffit à peine à mettre du pain sur la table pour sa femme et leurs quatre enfants.

Pour soutenir sa famille, Mahmoud Malakha avait ouvert une cafeteria dans le port de Gaza. Mais il y avait tellement de défis à relever que l’affaire avait échoué.

C’est ainsi qu’il est devenu chauffeur de taxi.

« Céder aux opinions des gens et à la dure réalité ne mènerait qu’à des ruminations excessives et au stress »,

dit-il.

« J’ai pris consciemment la décision de ne pas renoncer. »

Lors de la guerre de 2014, alors qu’il avait toujours ses deux jambes, sa maison avait été endommagée par une frappe toute proche et sa famille avait dû évacuer.

« Il ne fait pas de doute que sortir du deuxième étage est difficile. Je puis concentrer mon esprit sur la difficulté, mais je ne le veux pas. Cela ne fera que me blesser et détruire mes enfants. M’adapter à cette réalité, c’est la seule option dont je dispose. »

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Khaled El-Hissy est journaliste ; il vient de Jabaliya, dans la bande de Gaza.

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Publié le 4 août 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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