Pourquoi l’archevêque de Canterbury nie-t-il l’apartheid ?

Si l’archevêque de Canterbury ne daigne pas écouter les Palestiniens ou les principales organisations des droits humains, peut-être accordera-t-il quelque attention aux membres de sa propre confession anglicane.

 

6 mai 2023. L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, le plus haut prélat britannique, désigné par le gouvernement, place une couronne sur la tête du roi Charles, le dirigeant héréditaire du pays, lors de la cérémonie du couronnement, à l’abbaye londonienne de Westminster.

6 mai 2023. L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, le plus haut prélat britannique, désigné par le gouvernement, place une couronne sur la tête du roi Charles, le dirigeant héréditaire du pays, lors de la cérémonie du couronnement, à l’abbaye londonienne de Westminster. (Photo : Mirrorpix / MEGA)

 

Ali Abunimah, 9 septembre 2023

Voici plus de 35 ans, les dirigeants de l’Église d’Angleterre votaient contre le désinvestissement de l’Afrique du Sud de l’apartheid.

On pourrait penser que les dirigeants actuels de la religion d’État officielle de la Grande-Bretagne considéreraient rétroactivement cette décision avec un sentiment de honte tout en étant animés d’un désir très sincère de tirer les leçons de leurs grossières erreurs.

Mais il s’avère que ce n’est pas le cas, puisque l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, le plus haut prélat britannique, l’a montré clairement en refusant de reconnaître qu’Israël est bel et bien coupable d’apartheid envers le peuple palestinien.

Lors d’un événement qui se tenait à Londres mercredi, il a été demandé à Welby si Israël était un État d’apartheid.

« Je sais que ma réponse ne sera pas populaire »,

a déclaré Welby avant d’affirmer :

« Je ne veux pas utiliser le mot apartheid parce que le régime d’apartheid en Afrique du Sud – et j’ai connu Desmond Tutu et je l’ai longuement écouté à ce propos – a été établi sur une constitution qui, dans son tissu même, instaurait l’apartheid. »

« Il reste un risque, si la constitution se mue en une constitution d’apartheid, qu’ensuite l’État ne devienne manifestement un État d’apartheid. Mais, avant que cela n’arrive, je n’utiliserai pas ce terme à propos d’Israël »,

a ajouté Welby.

Ainsi donc, tant qu’Israël ne dira pas qu’il est un État d’apartheid, Welby sera heureux de le croire sur parole.

Néanmoins, le prélat semble oublier le fait que la « loi de base » constitutionnelle d’Israël a été révisée en 2018 afin de consolider plus profondément encore la suprématie juive sur les Palestiniens autochtones dans toute la Palestine historique – confirmant essentiellement, ce faisant, qu’Israël est bel et bien un régime d’apartheid.

Après avoir nié l’apartheid, Welby s’est livré à quelques légères torsions de mains pour dire qu’Israël « est au beau milieu d’un lieu en effervescence » et que « ce qui se passe dans les colonies » est « injuste » et « va à l’encore des lois internationales ».

Mais ces déclarations timorées auraient tout aussi bien pu venir d’un responsable du gouvernement britannique ou de l’Union européenne. Elles ne révèlent guère le courage d’un dirigeant moral.

 

Desmond Tutu qualifiait cela d’apartheid

Il est particulièrement ridicule et blâmable que Welby ait invoqué son homologue du clergé, feu le grand archevêque Desmond Tutu, pour protéger Israël de l’appellation d’État d’apartheid.

Desmond Tutu, qui a contribué à la lutte contre le régime raciste de l’Afrique du Sud en tant qu’archevêque anglican du Cap, a fait partie des toutes premières personnalités internationales de grand format à constamment qualifier d’apartheid la persécution systématique des Palestiniens par Israël.

« Nous avons visité Israël (la Palestine) à plusieurs occasions et, chaque fois, nous avons été frappés par les similitudes avec le régime d’apartheid sud-africain »,

écrivait par exemple Desmond Tutu en 2011.

« Les routes et zones séparées pour les Palestiniens, l’humiliation aux blocages routiers et aux check-points, les expulsions et les démolitions de maisons. »

Et d’ajouter que

« des zones entières de Jérusalem-Est ressemblent à ce qu’était le Sixième District au Cap – une communauté multiraciale vieille de plusieurs siècles qui avait été détruite par le régime d’apartheid en 1966 et déclarée zone exclusivement réservée aux blancs. »

Depuis que Desmond Tutu a écrit ces mots, d’importantes organisations internationales et israéliennes des droits humains, dont B’Tselem, Human Rights Watch et Amnesty International, ont fini avec le temps par en arriver à la même conclusion : Israël se livre à l’apartheid contre les Palestiniens en général et il s’agit d’un des crimes les plus haineux contre l’humanité repris dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).


La religion officielle

La complicité de l’Église d’Angleterre avec l’apartheid à l’époque et de nos jours devrait être choquante étant donné la façon dont Welby et l’église jouent aux arbitres moraux intrépides soucieux de dire la vérité au pouvoir.

Mais cela ne pourrait jamais être le rôle d’une église officielle dont le chef doit être approuvé par le Premier ministre britannique avant d’être officiellement désigné par le roi.

En tant qu’instrument de l’establishment qui dirige la Grande-Bretagne, Welby avait amplifié et soutenu tacitement la campagne de diffamation destructrice du lobby pro-israélien en qualifiant faussement d’« antisémites » Jeremy Corbyn et le Parti travailliste dirigé par ce dernier à l’époque.

Ancien directeur exécutif dans une compagnie pétrolière, l’un des tout premiers actes de Welby, après sa nomination par le gouvernement à la tête de l’Église d’Angleterre, avait été d’aider à la réhabilitation de Tony Blair, l’ancien Premier ministre largement vilipendé pour avoir accompli, en compagnie du président américain George W. Bush, l’invasion criminelle de l’Irak qui s’était terminée par la mort et le déracinement de millions de personnes.

Il se peut que ce soit une simple coïncidence si le fils de l’archevêque, Peter Welby, s’est vu proposer par la suite un « poste en or » au sein de la Faith Foundation de Blair.

En outre, c’est seulement maintenant que l’Église d’Angleterre aborde – timidement – le fait que, des siècles durant, elle a tiré sciemment profit du commerce transatlantique des Africains réduits en esclavage.

 

Un activisme à la base

Soyons-en sûrs, bien des membres de la base de plus en plus réduite de l’Église d’Angleterre soutiennent la justice en Palestine, comme le font d’ailleurs de nombreux membres du Parti travailliste britannique, en dépit de la lâcheté et de la trahison de leurs dirigeants d’antan.

Il convient de remarquer qu’en 2006, le corps législatif de l’Église d’Angleterre a voté en faveur d’un désinvestissement limité des sociétés qui étaient directement engagées dans une complicité avec les colonies illégales d’Israël dans les territoires palestiniens occupés.

En 2018, l’Église épiscopale – l’Église anglicane aux États-Unis – a elle aussi décidé de désinvestir de plusieurs sociétés impliquées dans les colonies.

Soyons clairs, toutefois : Ces modestes pas en avant ont été la résultante, non pas d’une décision courageuse d’en haut, mais du travail acharné des activistes de base au sein de églises en s’opposant à la complicité de dirigeants politiquement désignés comme Welby, par exemple.

Mais, en général, les églises anglicanes ont été à la traîne des autres communautés chrétiennes dans l’adoption du désinvestissement comme stratégie en vue de soutenir la justice en Palestine.

L’an dernier, l’assemblée générale de l’Église presbytérienne des EU a officiellement affirmé qu’Israël perpétrait le crime d’apartheid et elle a prié instamment ses membres de chercher des moyens d’y mettre fin.

Et, dans tous les États-Unis, des membres de base des organisations confessionnelles chrétiennes, musulmanes et juives participent à l’initiative des Communautés sans apartheid, récemment mise sur pied par l’American Friends Service Committee (branche américaine de la Société religieuse des Amis, i.e. les « quakers » – NdT).

Dans leurs rangs, on trouve plusieurs organisations épiscopaliennes.

Si l’archevêque de Canterbury ne daigne pas écouter les Palestiniens ou les principales organisations des droits humains, peut-être accordera-t-il quelque attention aux membres de sa propre confession anglicane.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 9 septembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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