L’excédent d’infirmiers et infirmières de Gaza travaille dans le bénévolat
La situation est si aiguë qu’en juillet, l’Association des soins infirmiers de Gaza a sorti une déclaration exprimant son inquiétude à propos des perspectives d’emploi pour les infirmiers (-ères).
Ola Mousa, 8 septembre 2023
Ces deux dernières années, Samar Ziada, 27 ans, a été infirmière bénévole à l’hôpital al-Shifa de Gaza.
Elle aide les infirmières attitrées dans leurs tâches quotidiennes : préparer des injections pour les patients, traiter des blessures et relever des températures.
L’hôpital al-Shifa est connu comme un lieu où le travail est stressant. Il est en sous-effectif et manque d’équipements médicaux pourtant très nécessaires, et ce, en raison du blocus israélien qui, depuis 16 ans, frappe l’enclave côtière.
Et, bien que Samar Ziada travaille trois jours par semaine à raison de huit heures par jour, elle n’est pas rémunérée.
Elle n’a pas été en mesure de trouver un travail rémunéré depuis l’obtention de son diplôme en soins infirmiers à l’Université Al-Azhar, en 2018. Il y a trop d’infirmiers (-ères) à Gaza et trop peu d’emplois payés dans le secteur. Chaque année, quand Samar postule pour un nouvel emploi d’infirmière dans les hôpitaux publics ou privés, elle constate qu’elle n’est que l’une des centaines de demandeurs et demandeuses.
La situation est si aiguë qu’en juillet, l’Association des soins infirmiers de Gaza a sorti une déclaration exprimant son inquiétude à propos des perspectives d’emploi pour les infirmiers (-ères).
Il y a actuellement 14 200 infirmiers (-ères) enregistrées à Gaza, alors que 4 000 seulement sont employé.e.s en tant que tel.le.s et que les 10 200 restant.e.s ne travaillent donc pas dans le secteur.
Le nombre de diplômé.e.s en soins infirmiers dépasse de loin le nombre d’emplois disponibles, ajoutait la déclaration, puisque les institutions publiques ne peuvent tout simplement pas se permettre d’embaucher davantage d’infirmiers (-ères), bien que le besoin s’en fasse ressentir.
Samar Ziada a adopté le statut de bénévole en espérant que cela déboucherait sur un emploi réel mais, jusqu’à présent, il n’en a rien été.
N’entamez pas des études en soins infirmiers
Il fut un temps où les soins infirmiers étaient perçus comme une voie de carrière fiable, à Gaza. On pensait que, malgré le taux de chômage élevé de l’enclave, celle-ci aurait toujours besoin d’infirmiers (-ères).
N’empêche que Hasan Hilles, 30 ans, regrette aujourd’hui d’avoir étudié les soins infirmiers. Il a obtenu son diplôme en 2016 à l’Université islamique de Gaza.
Il a travaillé pendant un an dans une clinique privée, avec un salaire mensuel modeste tournant autour de 235 USD. C’est le meilleur emploi qu’il a été à même de trouver. Tous les emplois mieux rémunérés requièrent que l’on ait des relations ou que l’on connaisse quelqu’un.
Hasan Hilles n’a pas été surpris par la déclaration de l’Association des soins infirmiers de Gaza. Aujourd’hui, il met en garde ses amis contre les études en soins infirmiers, vu la rareté des possibilités d’emploi.
Bien qu’il postule encore cinq fois par an environ pour un emploi dans les soins infirmiers, il a surtout travaillé dans le secteur de la construction.
Il y a un an, alors qu’il était sur un chantier, un de ses collègues a été blessé à la tête et s’est écroulé au sol. Hilles a voulu l’aider et examiner ses éventuelles blessures, mais son collègue lui a dit d’aller chercher un travailleur médical. Quand Hilles lui a dit qu’il était infirmier, l’autre ne l’a pas cru, jusqu’au moment où Hilles a pansé et bandé sa blessure avec savoir-faire.
Il a également tâté du bénévolat.
« J’ai été bénévole dans un hôpital du gouvernement pendant un an et demi »,
explique-t-il, mais cela n’a pas débouché sur un emploi rémunéré.
Un système en crise
Le système des soins de santé de Gaza est confronté à de multiples crises. À tout moment, les hôpitaux manquent de médicaments adéquats et d’équipements médicaux. Pourtant, les opérations qu’ils pratiquent quotidiennement ne sont que tout à fait normales, puisqu’infirmiers (-ères) et médecins doivent souvent traiter les blessés et les mourants à la suite des attaques militaires israéliennes.
Muhammad al-Kafarna, un ancien président de l’Association palestinienne des soins infirmiers, qui défend les droits des infirmiers (-ères), est effaré par le nombre d’infirmiers (-ères) sans emploi.
Il ajoute que 120 emplois d’infirmiers (-ères) sont libérés chaque année, alors qu’il y a actuellement 5 000 étudiant.e.s en soins infirmiers, à Gaza.
Les 22 hôpitaux privés de Gaza absorbent un grand nombre de ce nouveau personnel mais, en fait, pour des raisons salariales, les diplômé.e.s préféreraient travailler dans l’un des 13 hôpitaux publics de Gaza, lesquels sont gérés par le ministère de la Santé.
Il craint pour l’avenir des soins infirmiers à Gaza, surtout depuis qu’un grand nombre de diplômé.e.s récent.e.s envisagent de s’exiler à l’étranger pour trouver du travail.
Ce mois d’août, Himam Saeed, 32 ans, s’est rendu dans la ville d’al-Ain, dans les EAU, à des fins d’entretien d’embauche dans un hôpital privé.
Il a obtenu son diplôme de soins infirmiers à Gaza en 2014, mais trouver un emploi a été tout un combat. À partir de 2018-2019, il a été bénévole à l’Hôpital indonésien de Gaza, puis a travaillé comme infirmier sur les lignes de front lors de la série de manifestations de la Grande Marche du Retour, s’occupant des personnes qui avaient été abattues et blessées par les militaires israéliens.
Comme tant d’autres, il pensait qu’un travail rémunéré allait suivre. Puisque ce ne fut pas le cas, il travailla pendant six mois pour une ONG médicale mais finit par s’en aller vu le manque de financement.
Himam Saeed a mentionné d’autres collègues et amis qui ont quitté Gaza pour des endroits comme l’Égypte et la Turquie. Bon nombre d’entre eux se sont rendus en Grèce à partir de la Turquie, en radeau ou à la nage. Cela n’a pas été le choix de Himam, du fait qu’il connaissait des personnes qui étaient mortes au cours de ce périple vers la Grèce.
« J’aime le travail humanitaire et, à Gaza, nous acquérons une bonne expérience »,
dit-il. Mais, parce qu’il veut un avenir meilleur, il a décidé de rester aux EAU.
À l’instar de Himam Saeed, Samar Ziada, qui fait du bénévolat à al-Shifa, perçoit les soins infirmiers comme un travail humanitaire. Elle ne veut pas d’un autre genre de travail et elle entend continuer de postuler à des emplois d’infirmière. En ce moment, il ne semble pas qu’une autre carrière soit une option, du fait que son père a contracté des emprunts afin qu’elle puisse obtenir un diplôme supérieur en soins infirmiers.
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Ola Mousa est un artiste et écrivain qui vit à Gaza.
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Publié le 8 septembre sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine