Les EU envoient des forces en Jordanie en pleine intensification de la « défense d’Israël »

Des rapports disant que la Jordanie autorise les EU à stationner des forces militaires additionnelles sur son territoire alors qu’Israël extermine des Palestiniens, génèrent de l’inquiétude.

Un avion de combat F-15 américain déployé dans le cadre du renforcement régional décidé par le président Joe Biden, suite à l’offensive de la résistance qui, le 7 octobre, a mis l’armée israélienne en déroute. (Photo : Twitter)

Un avion de combat F-15 américain déployé dans le cadre du renforcement régional décidé par le président Joe Biden, suite à l’offensive de la résistance qui, le 7 octobre, a mis l’armée israélienne en déroute. (Photo : Twitter)

 

Ali Abunimah et Tamara Nassar, 29 octobre 2023

 

La Jordanie a fermement condamné la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza et ses diplomates ont fortement contribué à faire adopter vendredi une résolution de l’Assemble générale de l’ONU réclamant un cessez-le-feu.

Le roi Abdallah de Jordanie a rapidement ordonné une aide humanitaire en faveur de Gaza avant même que la moindre marchandise de ce genre ne se mette à entrer timidement dans l’enclave.

Le monarque a également demandé que soit mis fin à la campagne de bombardement israélienne à Gaza et il a également réclamé un allègement du siège étouffant imposé par Israël au territoire.

Il a de plus prévenu que les tentatives israéliennes en vue de déplacer de force des Palestiniens constitueraient un grave crime de guerre.

Et la reine Rania de Jordanie s’est attiré des louanges chaleureuses dans son pays et à l’étranger pour avoir, lors d’une interview récente réalisée par Christiane Amanpour, de CNN, condamné sans équivoque la « boucherie israélienne à une échelle de masse » de civils palestiniens.

« Pourquoi, chaque fois qu’Israël commet ce genre d’atrocités, cela se fait-il sous la bannière de l’autodéfense, alors que, lorsqu’il s’agit de la violence des Palestiniens, on la qualifie immédiatement de terrorisme ? »,

a demandé la reine Rania.

« Ici, nous assistons vraiment à deux poids et deux mesures »,

a-t-elle ajouté, se faisant sans aucun doute l’écho des sentiments de millions de Jordaniens.

 

 

La Jordanie doit « agir en ligne » avec sa politique

Au même moment, des rapports disant que la Jordanie autorise les États-Unis à stationner des forces militaires additionnelles sur son territoire alors qu’Israël extermine des Palestiniens, génèrent de l’inquiétude.

Lors de protestations qui ont eu lieu le 24 octobre à proximité de l’ambassade d’Israël à Amman, les Jordaniens ont exprimé leur opposition à la présence militaire américaine dans leur pays. Sur un écriteau, on pouvait lire, par exemple,

« Non aux bases militaires américaines », et un autre condamnait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le président américain Joe Biden en tant que « partenaires dans le crime ».

L’Organisation arabe pour les droits humains au Royaume-Uni (AOHR-UK) a elle aussi critiqué la Jordanie « pour avoir permis aux EU d’utiliser son territoire » afin de transporter des équipements militaires dans la région, dans le cadre d’un déploiement américain en vue de défendre Israël.

L’organisation a instamment invité Amman

« à agir en ligne avec sa politique et avec les déclarations fortes diffusées par le gouvernement jordanien, confirmant qu’il est opposé à la guerre injuste lancée contre la bande de Gaza par Israël, avec le soutien de l’Occident ».

« Il est inadmissible que la Jordanie réclame en public un arrêt de la guerre, tout en autorisant le soutien militaire américain à Israël »,

a écrit AOHR-UK.

C’est un sentiment susceptible de se répandre dans toute la région, y compris parmi la population même de la Jordanie.

 

« La défense d’Israël »

Mais quel rôle la Jordanie joue-t-elle dans ce renforcement militaire américain commandé par le président Biden suite à l’offensive du 7 octobre des combattants de la résistance palestinienne cantonnés à Gaza, qui ont mis en déroute en quelques heures l’armée israélienne pourtant très vantée ?

Le déploiement régional des Américains a pour but « d’aider à la défense d’Israël »,

a expliqué le secrétaire à la Défense Lloyd Austin le 21 octobre.

Cela inclut le positionnement de deux groupes de frappe avec porte-avions dans la Méditerranée orientale, afin de renforcer les défenses aériennes dans toute la région et de placer « une quantité additionnelle de forces en vue d’ordres de préparation au déploiement », a annoncé Austin.

Entre-temps, dimanche dernier, plus de 60 avions cargos américains et israéliens ont atterri en Israël dans le cadre d’un pont aérien commandé par Biden pour faire en sorte que Tel-Aviv ne tombe pas à court de bombes dans ses largages sur les familles palestiniennes de Gaza.

« La plupart d’entre eux sont des avions civils loués pour transporter des armes et des pièces détachées », écrit le quotidien israélien Haaretz.

Il est certain que ce nombre a augmenté de façon significative ces derniers jours.

 

Des avions de combat de Jordanie

Dans le même article du 24 octobre, Haaretz disait que les appareils américains de transport militaire avaient atterri un peu partout dans la région.

Citant des informations de sources ouvertes, le journal disait que huit lourds appareils de transport, qui avaient décollé depuis des centres d’approvisionnement aux EU et en Europe, avaient atterri sur une base jordanienne.

The Wall Street Journal a également rapporté le 24 octobre que les EU

« se hâtaient à déployer près d’une douzaine de systèmes de défense aérienne dans des pays du Moyen-Orient en préambule à l’invasion terrestre d’Israël prévue contre Gaza »,

citant la Jordanie comme l’un des six États arabes où les EU allaient stationner des systèmes de missiles terre-air Patriot.

Et, alors un article de Haaretz daté du 16 octobre,

« un escadron de bombardiers Strike Eagle F-15E américains stationnés en Grande-Bretagne a été déployé (…) à la base aérienne de Muwaffaq Salti, à l’est de la capitale jordanienne, Amman »,

en même temps qu’un escadron d’appareils A-10 d’attaque au sol et des forces spéciales américaines normalement cantonnées en Floride.

Conformément à ces articles, l’USAF (US Air Force) a annoncé le 14 octobre que, la veille,

« les avions Strike Eagle F-15E du 494e Escadron expéditionnaire de combat étaient arrivés dans la zone de responsabilité du Commandement central américain ».

The Air Force Times a fait remarquer que les F-15 avaient été déployés « du fait que les EU prévoyaient de renforcer leur position dans la région en plein conflit en cours entre Israël et l’organisation militante du Hamas ».

L’armée américaine n’a pas révélé le pays spécifique où ses avions de combat étaient déployés, mais la zone d’influence du Commandement central américain – appelé également CENTCOM – s’étend sur un certain nombre de pays, dont la Jordanie.

Le CENTCOM a publié des photos des avions qui arrivaient dans la région :

 

Un compte rendu de la plate-forme de média social X (anciennement Twitter), s’identifiant comme appartenant à un Français qui observe les avions en Jordanie, a géolocalisé les avions à la base aérienne de Muwaffaq Salti, à l’est d’Amman, en utilisant les photos du CENTCOM et d’autres images disponibles publiquement.

 

Le site internet The Aviationist a rapporté que des suiveurs OSINT – Open Source INTelligence (renseignements obtenus par une source d’information publique – « avaient rapidement vérifié la rumeur » à propos de la destination des avions de combat américains.

« Les appareils, en fait, se sont posés à la base de Muwaffaq Salti / Al-Azraq, en Jordanie, l’un des habituels lieux de déploiement des avions américains dans la région »,

a déclaré The Aviationist.

Quelques jours plus tôt, des avions de combat Eurofighter de la Luftwaffe allemande s’étaient déjà posés à la même base aérienne jordanienne dans le cadre d’exercices préalablement prévus sous l’appellation Desert Air 23.

Avi Scharf, l’ancien rédacteur en chef de Haaretz, aujourd’hui responsable du département de sécurité nationale, cybernétique et OSINT du journal, a répertorié l’arrivée en Jordanie, depuis le 7 octobre, d’au moins 15 lourds avions de transport américains, deux escadrons d’avions de combat et d’hommes des forces spéciales.

 

Séparément, le 24 octobre, le Pentagone a annoncé qu’il avait déployé un escadron d’avions de combat F-16 dans la zone du CENTCOM « afin d’aider à protéger les troupes américaines ».

Il n’a pas nommé le pays où seraient stationnés les avions de combat normalement originaires du New Jersey.

 

Les liens entre les EU et la Jordanie

Alors que ces déploiements font partie du renforcement militaire régional de Biden, la Jordanie sert depuis très longtemps de base pour le personnel de l’armée américaine.

Déjà en juin dernier, soit plusieurs mois avant l’actuelle escalade à Gaza, la Maison-Blanche avait confirmé dans une lettre adressée au Congrès que près de 3 000 membres du personnel de l’armée américaine devaient être déployés en Jordanie – un fait très rarement reconnu de façon officielle dans le pays même.

Ces quinze dernières années, l’aide américaine à la Jordanie a triplé, selon le Service de recherche du Congrès, une institution officielle qui fournit des informations aux législateurs américains ainsi qu’au public.

« Les bases aériennes jordaniennes ont été particulièrement importantes pour la conduite par les EU des missions de renseignement, de surveillance, d’acquisition de cibles et de reconnaissance (intelligence, surveillance, reconnaissance ou ISR) en Syrie et en Irak »,

estime l’institution.

Les États-Unis n’ont jamais reconnu officiellement leur utilisation de la base aérienne de Muwaffaq Salti avant qu’il y ait un accord, en 2021, mais le Service de recherche du Congrès cite des rapports selon lesquels

« de l’imagerie satellitaire montre qu’elle accueille des engins volants sans équipage (UAV ou drones) de l’US Air Force ainsi que des jets rapides américains depuis au moins 2016 ».

 

D’énormes protestations

Les liens politiques, économiques et militaires étroits de la Jordanie avec Washington, le principal facilitateur du génocide israélien à Gaza, se trouvent en hiatus avec la réalité. En fait, la grande majorité de la population jordanienne soutient résolument les Palestiniens dans leur guerre de libération contre l’occupation, le colonialisme et l’apartheid israéliens.

En 2017, une étude du Centre de recherche de Pew a découvert que, de tous les pays de la région, les Jordaniens étaient ceux qui avaient la perception la plus négative des États-Unis : 82 pour 100 leur étaient défavorables. Il y a peu de raison de croire que ces chiffres se seraient améliorés depuis.

Un sondage d’opinion commandité en juin par la commission d’experts pro-israéliens Washington Institute for Near East Policy (Institut de W. pour la politique au Proche-Orient) a découvert que 84 pour 100 des Jordaniens

« étaient opposés à tout accord commercial avec des entreprises israéliennes, même si cela devait aider leur économie ».

L’étude a également découvert qu’« une majorité (60 pour 100) des Jordaniens percevaient les tirs de missiles du Hamas contre Israël comme quelque chose d’à tout le moins positif ».

Ces points de vue aussi sont très peu susceptibles d’avoir basculé dans une direction positive pour Israël.

Depuis le début de la campagne d’extermination d’Israël à Gaza un peu plus tôt ce mois-ci, il n’a pratiquement pas cessé d’y avoir des protestations fournies à Amman.

Une attention particulière des protestations est allée à la mosquée al-Kalouti, à moins d’un mille de l’ambassade d’Israël. La mosquée est l’endroit le plus proche de la mission diplomatique de l’État sioniste que les forces sécuritaires jordaniennes autorisent aux protestataires.

Lors des rares occasions où les protestataires ont tenté de se rapprocher davantage de l’ambassade, les forces jordaniennes les ont aspergés de gaz lacrymogène et les ont refoulés avec violence.

 

Vendredi, les Jordaniens ont organisé des protestations massives à la ville basse d’Amman afin de réclamer l’annulation du traité de paix jordano-israélien, un jour après le 29e anniversaire de sa signature.

 

Alors que l’indignation bat son plein dans toute la région à propos du massacre barbare des civils à Gaza, Israël a évacué ses ambassades dans plusieurs pays, la semaine dernière, y compris la Jordanie, Bahreïn, le Maroc et l’Égypte.

Pourtant, en dépit de la colère croissante contre la sauvagerie implacable de la boucherie massive soutenue par Washington des civils palestiniens de Gaza, pas un seul pays arabe entretenant des relations officielles avec Israël ne les a à ce jour officiellement rompues.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 29 octobre 2023 sur The ElectronicIntifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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