Israël se rapproche de l’hôpital de Gaza lors de la visite de Blinken

Israël affirme qu’il est entré dans une troisième phase, « plus ciblée », de sa campagne militaire à Gaza. Mais, jusqu’à présent, cela n’a guère apporté de changement, pour les Palestiniens, après plus de trois mois de bombardements incessants et de déportations répétées.

 

Le 7 janvier, un enfant palestinien blessé lors d’une frappe aérienne israélienne se fait soigner à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza.

Le 7 janvier, un enfant palestinien blessé lors d’une frappe aérienne israélienne se fait soigner à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza. (Photo : Ali Hamad / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 10 janvier 2024

Au moment où le secrétaire d’État américain rencontrait les alliés de Washington dans la région, Israël a accru ses attaques autour des hôpitaux dans le centre et le sud de Gaza.

Mardi matin, le ministère palestinien de la santé déclarait que 126 personnes avaient été tuées au cours des 24 heures précédentes et que 57 corps et 65 blessés avaient été amenés à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, où Israël a intensifié ses opérations après avoir dévasté tout le nord.

Plus de 23 210 personnes ont été tuées à Gaza depuis le 7 octobre, annonçait mardi le bureau des médias du gouvernement palestinien du territoire.

Parmi les morts figurent plus de 10 000 enfants et 7 000 femmes, ainsi que 326 travailleurs médicaux, 45 membres de la Défense civile palestinienne et 112 journalistes, selon le même bureau des médias.

Plus de 7 000 autres personnes ont été portées manquantes sous les décombres des bâtiments détruits.

Quelque 2 millions de Palestiniens sont devenus des déplacés internes à l’intérieur même de Gaza.

 

Neuf soldats israéliens ont été tués à Gaza lundi, annonçait mardi l’armée israélienne. L’armée faisait état de 183 soldats tués à Gaza depuis le début de ses opérations terrestres, fin octobre.

Le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a déclaré mardi que les organisations armées palestiniennes à Gaza continuaient de tirer des roquettes vers Israël et que l’on rapportait des

« opérations terrestres et des combats entre les forces israéliennes »

et les organisations palestiniennes dans la majeure partie de Gaza, surtout autour de Deir al-Balah et de Khan Younis.

L’OCHA a également dit que

« l’offensive dans ces zones se traduisait par le décès et les blessures de nombreuses personnes et qu’elle avait des conséquences dévastatrices pour des dizaines de milliers de civils, dont beaucoup, soucieux de leur sécurité, avaient déjà fui la ville de Gaza et le nord pour se réfugier dans le centre et le sud de Gaza ».

 

Les hôpitaux risquent la fermeture

L’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa est le seul qui fonctionne dans le centre de Gaza et il éprouve les pires difficultés à faire face au nombre élevé de victimes des frappes israéliennes, tant aériennes que terrestres ou maritimes.

Les zones de l’hôpital Al-Aqsa à Deir al-Balah et de l’hôpital européen de Gaza (à Khan Younis) ont subi des attaques répétées, dimanche et lundi.

L’intensification des hostilités et la recrudescence des ordres d’évacuation israéliens dans la zone ont forcé de nombreux travailleurs médicaux et patients à quitter l’hôpital Al-Aqsa, n’y laissant sur place que cinq médecins pour s’occuper des centaines de cas urgents, selon un responsable de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Les travailleurs médicaux restés à l’hôpital Al-Aqsa n’ont pas de nourriture, d’après Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l’OMS. Il a déclaré que les représentants de l’agence qui avaient visité l’hôpital dimanche s’étaient laissé dire par des membres du personnel que leur premier besoin était

« la protection de l’hôpital des frappes et des hostilités ».

 

Ghebreyesus a ajouté que le personnel de l’agence de santé de l’ONU

« assistait à des scènes morbides où des personnes de tous âges étaient traitées à même le sol éclaboussé de sang et dans des couloirs où régnait le chaos ».

Il a dit qu’

« un enfant non identifié gisait mort, en partie couvert d’un drap, sur un lit », alors que le personnel de la santé et les familles des patients enjambaient des blessés « prostrés à même le sol ».

Une équipe médicale d’urgentistes faisant partie de Medical Aid for Palestinians (Aide médicale pour les Palestiniens) et de l’International Rescue Committee (Comité international de secours) a été forcée de quitter l’hôpital Al-Aqsa après que l’armée israélienne avait largué des tracts sur le secteur, le déclarant zone de combats.

L’un des médecins de l’équipe d’urgence a déclaré :

« Il y a des patients qui, manifestement, meurent dans le service d’urgence [de l’hôpital Al-Aqsa], alors qu’ils pourraient être sauvés s’il y avait du personnel en suffisance. »

Le Complexe médical Nasser et l’hôpital européen de Gaza dans la zone de Khan Younis, dans le sud de Gaza,

« risquent de devoir fermer en raison de la notification d’ordres d’évacuation dans des zones toutes proches et de la conduite en cours des hostilités dans les mêmes secteurs », a déclaré l’OCHA lundi.

À peine 15 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnent en partie, estime l’OMS.

Les six hôpitaux qui fonctionnent encore dans le nord

« proposent des services de soins de maternité, de traumatisme et d’urgence », mais ils manquent de personnel et de fournitures médicales

« et ils ont un besoin urgent de carburant, de nourriture et d’eau potable »,

selon l’OCHA.

Les neuf hôpitaux qui fonctionnent encore dans la partie sud de Gaza

« le font à trois fois leur capacité, tout en devant affronter des pénuries critiques de fournitures de base et de carburant »,

a ajouté l’OCHA.

Mardi, une fillette de cinq ans est décédée de ses blessures après qu’un obus, la veille, avait frappé un abri de Médecins sans frontières (MSF) à proximité de l’hôpital européen de Gaza.

« L’obus n’a pas explosé lors de l’impact, sinon beaucoup d’autres membres de notre personnel et de leurs familles auraient probablement été tués »,

a déclaré Thomas Lauvin, le coordinateur international de l’ONG.

Il s’avère que l’obus qui a touché le bâtiment

« est semblable à ceux qu’utilisent les chars israéliens »,

a ajouté MSF.

Entre-temps, Israël a rejeté à maintes reprises les requêtes de mouvement coordonné pour la livraison urgente de fournitures médicales à Gaza et à l’hôpital Al-Awda de Jabaliya, dans le nord de Gaza.

Israël a également rejeté les requêtes de mouvement coordonné pour la livraison d’eau et d’installations sanitaires à Gaza même et dans le nord.

Ces refus israéliens laissent

« cinq hôpitaux de la partie nord de Gaza sans accès à des fournitures et équipements médicaux absolument vitaux »,

a déclaré l’OCHA.

Des dizaines de milliers de personnes n’ont pas d’accès à l’eau potable et le risque de voir les égouts déborder accroît

« le risque de propagation de maladies contagieuses »,

a ajouté l’OCHA.

 

« Un risque élevé de malnutrition sévère »

L’ONU a prévenu que tous les enfants de moins de 5 ans à Gaza

« couraient un risque élevé de malnutrition sévère et de décès évitable du fait que le risque de conditions de famine continuait à croître ».

« Pour que les enfants obtiennent ce soutien absolument vital dont ils ont désespérément besoin, un cessez-le-feu humanitaire est nécessaire »,

a déclaré l’UNICEF, le fonds de l’ONU pour les enfants.

Des experts affirment que le risque de famine augmente chaque jour d’intenses hostilités et de restriction d’accès humanitaire, selon l’ONU.

On estime qu’un demi-million de personnes à Gaza sont confrontées à des « conditions catastrophiques » d’insécurité alimentaire, du fait que bien des gens « restent régulièrement jusqu’à trois jours sans manger », pouvait-on lire dans le journal britannique The Telegraph.

Le journal ajoutait que

« les experts craignent qu’une génération entière ne coure un risque »

de retard de croissance – une condition qui se présente quand un enfant reçoit un apport insuffisant d’énergie au cours de ses mille premiers jours d’existence,

« ce qui provoque des dommages physiques et cognitifs irréversibles ».

Nasser Bulbul, le responsable de l’unité des soins intensifs néonataux de l’hôpital al-Shifa à Gaza et qui travaille actuellement à l’hôpital européen de Gaza (dans la zone de Khan Younis) a déclaré que les cas de malnutrition infantile sévère augmentaient de jour en jour et que des garçons et des filles « se muaient en squelettes ».

 

Tlaleng Mofokeng, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour le droit à la santé, a pointé du doigt une politique d’

« affamement délibéré, sinon de famine »

à Gaza, ajoutant que

« nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat ».

L’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem a dit de même que la crise alimentaire aiguë à Gaza

« n’est pas un sous-produit de la guerre, mais une résultante directe de la politique déclarée d’Israël ».

L’organisation a ajouté que les Palestiniens dans le territoire

« dépendent entièrement, désormais, des livraisons de vivres en provenance de l’extérieur de Gaza, puisqu’ils ne peuvent pratiquement plus produire la moindre nourriture eux-mêmes ».

Malgré cela, Israël n’autorise le passage que d’une fraction de la nourriture nécessaire pour couvrir les besoins de la population de Gaza.

« Le peu de nourriture qui entre est très malaisée à distribuer en raison des bombardements constants, de la destruction des routes, des fréquentes pannes dans les communications et des abris qui débordent de centaines de milliers de [personnes intérieurement déplacées] s’entassant dans des zones de plus en plus exiguës »,

a ajouté B’Tselem.

 

La visite de Blinken destinée à prolonger la guerre

Ces derniers jours, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, effectuait son quatrième voyage au Moyen-Orient depuis le 7 octobre.

Lors de sa rencontre avec le Premier ministre israélien, mardi, il a prétendu avoir

« insisté sur l’importance d’éviter de porter préjudice aux civils, de protéger les infrastructures civiles et d’assurer la distribution de l’aide humanitaire dans tout Gaza ».

L’administration Biden, qui reste opposée à un cessez-le-feu et qui soutient l’objectif déclaré d’Israël, c’est-à-dire la neutralisation du Hamas, a insisté en faveur d’une phase de combats de plus faible intensité avec des opérations plus concentrées.

Le ministre israélien de la défense a expliqué à Blinken que ses opérations militaires à Khan Younis, dans le sud de Gaza, allaient « s’intensifier et se poursuivre » jusqu’au moment où elles atteindraient les dirigeants du Hamas et que « les otages israéliens retourneraient chez eux en toute sécurité ».

The New York Times a rapporté dimanche que

« Daniel Hagari, le principal porte-parole de l’armée israélienne, avait dit qu’une nouvelle phase de la campagne impliquait moins de soldats et de frappes aériennes »

et qu’elle se concentrerait que le sud et le centre de Gaza.

« Les responsables américains ont déclaré qu’ils espéraient une transition afin de s’appuyer sur davantage de missions chirurgicales par des groupes plus restreints des forces d’élite israéliennes qui se déplaceraient à l’intérieur et à l’extérieur des centres de population de la bande de Gaza pour débusquer et tuer les dirigeants du Hamas, secourir les otages et détruire les tunnels »,

ajoutait le journal.

Juste avant sa visite en Israël, Blinken a rencontré des hauts responsables en Jordanie, au Qatar, dans les EAU et en Arabie saoudite afin de préparer les plans d’une administration d’après-guerre de Gaza et de refroidir d’autres escalades régionales après l’assassinat d’un chef du Hamas la semaine dernière au Liban.

Blinken a cherché à assurer le roi Abdallah de Jordanie que les EU s’opposaient à la déportation forcée de Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie.

« Les civils palestiniens doivent être en mesure de rentrer chez eux dès que les conditions le permettront. Ils ne peuvent ni ne doivent être poussés à quitter Gaza »,

a déclaré Blinken après sa rencontre avec les responsables qataris à Doha.

Ces promesses peuvent ne pas convaincre grand monde dans la région tant que les EU s’obstineront à fournir à Israël des armes et une couverture diplomatique qui lui permettront de continuer de semer la violence qui a chassé la majeure partie de la population de Gaza de ses foyers, dont beaucoup, par ailleurs, sont désormais détruits.

Mohammed Al-Bukaiti, un membre du bureau politique d’Ansar Allah, au Yémen, a déclaré que la visite de Blinken avait pour but de prolonger la guerre et de créer ainsi « les conditions qui permettraient à Israël de perpétrer plus de crimes encore » à Gaza.

Al-Bukaiti a ajouté que la situation actuelle requérait un cessez-le-feu et la levée du siège de Gaza. Au lieu de cela, Blinken est venu proposer des plans « en vue d’une prochaine étape qui supposera la victoire d’Israël », a-t-il conclu.

 

L’escalade israélienne au Liban

Le ministre israélien de la défense a une fois de plus prévenu le Hezbollah qu’il allait répéter au Liban la destruction qu’il avait semée à Gaza.

Le Hezbollah y est allé samedi d’un tir de barrage de roquettes sur la base militaire israélienne du mont Méron, en disant qu’il s’agissait d’une « réponse préliminaire » à l’assassinat de Saleh al-Arouri, le vice-directeur du bureau politique du Hamas, la semaine dernière à Beyrouth.

Cet assassinat a été condamné mardi par les experts en droits humains de l’ONU. Ils ont dit que

« les assassinats en territoire étranger sont arbitraires quand ils ne sont pas autorisés par les lois internationales ».

Ben Saul et Morris Tidball-Binz ont ajouté que

« Israël ne pratiquait pas l’autodéfense parce qu’il ne présentait aucune preuve que les victimes avaient commis une attaque armée contre Israël à partir du territoire libanais ».

Les experts ont ajouté qu’il n’y a

« pas de base juridique pour des attaques géographiquement illimitées contre des membres d’une organisation armée où qu’ils se trouvent ».

Lundi, au Sud-Liban, Israël a tué Wissam Tawil, un commandant du Hezbollah.

Amal Saad, une spécialiste de l’organisation de résistance libanaise, a dit que le fait d’avoir ciblé Tawil, le plus important commandant du Hezbollah tué depuis le 8 octobre,

« peut être perçu comme une autre tentative d’Israël de sauver la face et de redorer son blason après la frappe de représailles du Hezbollah contre la base stratégique des renseignements aériens du mont Méron ».

Amal Saad a encore dit que

« la frappe était qualitativement différente et que, des propres aveux d’Israël, elle avait provoqué « de très importants dégâts ».

Elle a ajouté que « la stratégie israélienne d’assassinats ciblés de la ‘phase 3’ » – y compris celui de l’officier du Corps de la Garde révolutionnaire iranienne Reza Mousavi, tué en Syrie, ainsi que ceux d’al-Arouri et de Tawil –

« semble la méthode choisie par Israël pour déclencher un conflit plus large qui, cette fois, pourrait impliquer les EU ».

Mardi, le Hezbollah a attaqué à l’aide de drones une base de l’armée israélienne à Safed,

« touchant cette position pour la première fois »,

a rapporté Reuters.

Naim Qassem, le chef-adjoint du Hezbollah, a déclaré lors d’un discours télévisé que l’organisation de résistance libanaise ne cherchait pas l’escalade mais que,

« si Israël développe plus avant les hostilités, la réponse sera inévitablement une extension maximale requise afin de dissuader Israël ».

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 10 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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