Les EU ignorent le silence de Netanyahou à propos du nettoyage ethnique

De récents appels au nettoyage ethnique des Palestiniens de Gaza lancés par le ministre israélien des finances Bezalel Smotrich et par le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir ont été accueillis le 2 janvier par une déclaration d’inquiétude de la part du porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller.

 

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le congressiste américain Brian Mast (à droite), qui a traité les Palestiniens de « nazis arabes », ont déshumanisé ces mêmes Palestiniens et attisé la violence contre les civils.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le congressiste américain Brian Mast (à droite), qui a traité les Palestiniens de « nazis arabes », ont déshumanisé ces mêmes Palestiniens et attisé la violence contre les civils. (Photo : Amos Ben Gershom / GPO)

 

Michael F. Brown, 9 janvier 2024

Légende photo :

 

« Les États-Unis rejettent les déclarations récentes émanant des ministres israéliens Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui plaident pour la réinstallation des Palestiniens en dehors de Gaza. Cette rhétorique est incendiaire et irresponsable. Le gouvernement d’Israël, dont le Premier ministre, nous a dit à plusieurs reprises et régulièrement que de telles déclarations ne reflétaient pas sa politique. Elles devraient cesser immédiatement. »

Mais ce n’est pas le cas, en fait, avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. On affirme qu’il a demandé à Ron Dermer, le ministre israélien des affaires stratégiques et membre du cabinet de guerre du pays, d’élaborer un plan en vue de « réduire » la population de Gaza.

Michelle Goldberg a fait remarquer dans The New York Times :

« En agissant comme si Ben-Gvir et Smotrich pouvaient agir séparément du gouvernement auquel ils participent, les décideurs politiques américains facilitent le déni du caractère du pouvoir de Netanyahou. »

Ce déni est très réel. Les médias traditionnels n’ont cessé d’affirmer clairement que la pratique de l’apartheid par Israël ne sera pas abordée à ce stade. Il ne s’agit pas ici que du « caractère » du gouvernement de Netanyahou, mais aussi de celui de ses prédécesseurs. Netanyahou est tout simplement plus clair que la plupart dans sa pratique du racisme et de l’apartheid antipalestiniens.

Selon The Times of Israel, le Premier ministre israélien a déclaré lors d’une récente réunion de faction du Likoud que

« notre problème est [de trouver] des pays qui accepteront d’absorber des Gazaouis, et nous nous y employons ».

Goldberg a cité un paragraphe différent dans le même article du Times of Israel :

« La réinstallation ‘volontaire’ des Palestiniens de Gaza se mue lentement en une incontournable politique officielle du gouvernement, et un haut responsable a déclaré qu’Israël avait eu des pourparlers avec plusieurs pays en vue d’une absorption potentielle. »

Sara Roy, une associée du Centre des Études moyen-orientales à l’Université de Harvard, écrivait le mois dernier dans The New Yorker :

« En novembre, un responsable d’USAID a approché un de mes collègues et lui a posé des questions sur la faisabilité de la construction d’une ville de tentes, laquelle serait suivie d’un arrangement plus permanent quelque part dans la partie nord de la péninsule. »

Trita Parsi, vice-président exécutif du Quincy Institute for Responsible Statecraft (Institut Quncy de gouvernance responsable), a exprimé les réserves d’un grand nombre de personnes qui craignent que les propos de Miller ne soient aussi vides que le suggère la question d’USAID.

« C’est ce que les EU font depuis plus de 40 ans à propos d’Israël-Palestine : Faciliter et financer des mesures israéliennes qui, finalement, aboutissent à l’annexion par Israël des terres palestiniennes, tout en s’y opposant publiquement et en condamnant le résultat logique des mêmes mesures financées et facilitées par les EU. »

 

C’est précisément ce que fait l’administration Biden : financer et faciliter.

À deux reprises, rien qu’en décembre, cette administration a contourné le Congrès afin de faire parvenir en toute hâte à Israël des obus de 155 mm et leurs accessoires (fusées, amorces et charges).

 

Pas de changement

Il convient de remarquer que la déclaration de Miller n’a pas du tout incité Ben-Gvir à modérer ses propos.

 

Dans l’heure qui a suivi la condamnation par Miller des deux ministres via X (anciennement Tweeter), Ben-Gvir ripostait déjà, tweetant qu’Israël n’était pas simplement « une autre étoile » sur le drapeau américain.

« Les États-Unis sont nos meilleurs amis mais, avant tout autre chose, nous ferons ce qui est bon pour l’État d’Israël : l’émigration de centaines de milliers de Gazaouis permettra aux habitants [de la zone frontalière] de retourner chez eux et de vivre sous la sécurité et la protection des soldats des FDI. »

Netanyahou ne contredit pas Ben-Gvir quand ce dernier prétend que le nettoyage ethnique est bon pour Israël.

Goldberg met le doigt sur une citation qui en dit long de la ministre israélienne du Renseignement Gila Gamliel dans une tribune du Jerusalem Post publiée à la mi-novembre.

« Au lieu d’acheminer de l’argent pour reconstruire ou d’en envoyer à l’UNRWA en faillite, la communauté internationale pourrait contribuer aux coûts de la réinstallation, aider les gens de Gaza à se refaire une nouvelle vie dans leurs nouveaux pays d’accueil. »

Voilà précisément du nettoyage ethnique. Plus de six semaines se sont écoulées et Gamliel est toujours en poste comme ministre du Renseignement. Il est certain que Netanyahou n’a pas exprimé publiquement son désaccord avec son plan pour « les jours d’après ».

Plus récemment, tout au début de cette année, elle a affirmé à la Knesset, le parlement d’Israël :

« À la fin de la guerre, le gouvernement du Hamas s’effondrera, il n’y aura plus d’autorités municipales, la population civile sera entièrement dépendante de l’aide humanitaire. Il n’y aura pas de travail et 60 pour 100 des terres agricoles de Gaza se mueront en zones tampons sécuritaires. »

Ceci est un camouflet dans le visage de Miller quand il prétend, au nom du département d’État, que

« nous avons été clairs, conséquents et sans équivoque : Gaza est une terre palestinienne et restera une terre palestinienne, le Hamas ne contrôlera plus son avenir et plus aucune organisation terroriste ne sera encore en mesure de menacer Israël ».

Le ministre des finances Bezalel Smotrich, entre-temps, a déclaré que 70 pour 100 de la population d’Israël était avec lui pour soutenir « l’émigration volontaire » – un euphémisme désignant le nettoyage ethnique – vers d’autres pays.

 

Un cas de génocide

L’Afrique du Sud a soigneusement documenté la cause prétendant qu’Israël commet un génocide à Gaza, en y incluant un grand nombre de citations de hauts responsables israéliens pointant sur des intentions remontant à coup sûr jusqu’au Premier ministre Netanyahou. (*)

Néanmoins, le département d’État prétend que ce n’est pas le cas puisque, le 3 janvier, Miller a déclaré :

« Nous ne voyons pas d’actes qui constituent un génocide. »

Miller a ajouté, à propos de l’affaire :

« Nous ne pensons pas que ce soit une démarche productive, en ce moment. »

Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby, a qualifié cette affaire de

« sans mérite, contreproductive et, de fait, complètement dénuée du moindre fondement ».

Toutefois, quand on lui a demandé si Israël s’en tenait aux lois de la guerre, Kirby a répondu :

« Je ne suis au courant d’aucune sorte d’évaluation officielle de la part du gouvernement des États-Unis en vue d’analyser le respect des lois internationales par notre partenaire Israël. »

Matt Duss, vice-président exécutif au Centre de politique internationale, a mis en lumière les lacunes de la position américaine.

« L’administration Biden a sorti une évaluation des crimes de guerre russes pas même un mois après l’invasion de l’Ukraine. Les EU ont incomparablement plus de visibilité sur les opérations israéliennes, de sorte que prétendre de n’avoir pas été en mesure de procéder à une telle évaluation sur Gaza au bout de trois mois met réellement la crédulité à rude épreuve. »

John Mearsheimer, professeur de sciences politiques à l’Université de Chicago, qualifie l’affaire de génocide soumise par l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice de « document réellement important ».

Mearsheimer soulève plusieurs points importants, dont deux méritent une attention particulière.

Il écrit :

« Je n’avais jamais imaginé que je verrais le jour où Israël, un pays plein de survivants de l’Holocauste et de leurs descendants, serait confronté à une grave accusation de génocide. Qu’importe la façon dont cette affaire se déroulera à la CIJ – et ici je suis pleinement conscient des manœuvres que les États-Unis et Israël utiliseront pour éviter un procès honnête –, à l’avenir, Israël sera largement perçu comme principalement responsable de l’un des exemples canoniques de génocide. »

Si l’affaire se met en route cette semaine, comme on s’y attend, les attaques contre l’Afrique du Sud seront brutales. Comme le fait remarquer Mearsheimer, l’Afrique du Sud est déjà accusée de « diffamation de sang ».

La critique ignorera que l’Afrique du Sud est un pays qui est venu à bout d’un régime d’apartheid et qui, à son tour, soulève une affaire de génocide contre un pays que des organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits humains, crédibles de surcroît, ont accusé de pratiquer l’apartheid.

L’accusation pourrait être douloureuse pour ceux qui ont soutenu Israël – croyant qu’il s’agissait d’un « phare pour les nations » – mais ont ignoré ou minimisé sa politique d’apartheid pendant des décennies. Et, pour ceux qui ont l’esprit ouvert, l’affaire a également le potentiel de changer des opinions qui ont la vie dure au moment où l’on commence à comprendre que, quoi que pensaient des partisans plus anciens d’Israël il y a des années, il est temps de procéder à une refonte de sa pensée au moment où Israël sème la désolation à Gaza et tue des enfants palestiniens à un rythme effréné.

Plus important encore, c’est un remarquable exemple de la vitesse à laquelle, après le 7 octobre, Israël a perdu son soutien international en lâchant la bride à ses politiciens et à toute une « idéologie religieuse » faisant la promotion à la fois d’une « rhétorique génocidaire » et d’une offensive contre Gaza sans grandes rivales dans l’histoire récente.

Les plus jeunes associeront Israël au fait de mener une horrible guerre contre une population civile tout en faisant peser une occupation et un apartheid sur les Palestiniens pendant de longues décennies. Pour les étudiants, même réprimés comme ils le seront vraisemblablement sur les campus universitaires dans les mois à venir, Israël occupera la même position moralement inacceptable que l’Afrique du Sud de l’apartheid il y a une quarantaine d’années.

L’Europe et les EU choient et financent l’apartheid et la violence létale d’Israël depuis des décennies. Cette affaire de génocide en est une résultante, même si elle prélève un coût humain terrifiant.

Qu’Israël « gagne » ou perde devant la CIJ, il est plus que probable que les observateurs impartiaux seront d’accord pour dire que l’État d’apartheid s’est engagé dans de nombreux crimes de guerre, détruisant totalement la position déjà suspecte d’Israël et encourageant les jeunes à continuer d’exiger la liberté et l’égalité des droits pour les Palestiniens.

Mearsheimer fait également remarquer :

« Dans le cas du génocide d’Israël (…) la majorité des experts des droits humains de la mouvance libérale [américaine] ont dit peu de chose des actions barbares d’Israël à Gaza ou de la rhétorique génocidaire de ses dirigeants. On peut espérer qu’ils expliqueront leur dérangeant silence, à l’un ou l’autre moment. Quoi qu’il en soit, l’histoire ne sera pas tendre avec eux, puisqu’ils n’ont pour ainsi dire pas dit un mot alors que leur pays était complice d’un crime horrible, perpétré en outre au vu et au su de tout le monde. »

Le terrible silence du Parti démocrate sur les droits palestiniens – un problème depuis très longtemps – est perceptible pour tout le monde lui aussi. Cela aura vraisemblablement de profondes implications lors des élections présidentielles de novembre, particulièrement après que le président Joe Biden a admis le mois dernier qu’Israël était engagé dans des « bombardements sans le moindre discernement ». Il a néanmoins décidé de continuer d’envoyer des armes dans le massacre en cours et de mutiler des dizaines de milliers de Palestiniens innocents, hommes, femmes et enfants indistinctement.

Peut-être aurons-nous droit à un aveu de sa propre complicité dans les crimes de guerre. À tout le moins, des nombres significatifs d’électeurs démocrates feront entendre leur indignation en novembre, si « Genocide Joe » est encore sur les listes.

À la CIJ, il sera demandé de rendre une décision provisoire

« afin de protéger contre de nouveaux préjudices sévères et irréparables les droits du peuple palestinien, et ce, conformément à la Convention sur le génocide ».

Une telle décision pourrait venir d’ici une ou quelques semaines.

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Publié le 9 janvier 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

(*) Lisez également : L’Afrique du Sud invoque la convention sur le génocide devant la Cour internationale de justice

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