Gaza : Mourir de soif

Trouver de l’eau propre et potable à Gaza est devenu pour ainsi dire impossible.

 

Octobre 2023. Des Palestiniens remplissent leurs jerrycans d’eau en provenance d’un point public de collecte d’eau.

Octobre 2023. Des Palestiniens remplissent leurs jerrycans d’eau en provenance d’un point public de collecte d’eau. (Photo : Naaman Omar / APA Images)

 

Khuloud Rabah Sulaiman & Salma Yaseen, 29 janvier 2024

Aref Abed, 60 ans, vit dans le quartier d’al-Yarmouk, à Gaza. Normalement, Abed remplissait son réservoir de 1 500 litres d’eau désalinisée livrée par camion.

Mais ce n’est pas possible aujourd’hui.

Les sites de désalinisation sont entièrement fermés ou n’opèrent plus qu’à une capacité extrêmement limitée en raison du manque d’électricité et de carburant. Israël a également détruit une grande partie des équipements sanitaires et infrastructures de l’eau ou a délibérément coupé l’arrivée d’eau.

Les possibilités d’Abed sur le plan de l’eau potable n’existent plus, de sorte qu’il s’est rendu à un puits tout proche. Abed savait que ce genre de puits ne donnent pas de l’eau potable sûre et qu’on les utilise plutôt pour l’irrigation ou pour d’autres besoins, mais il était désespéré.

Quand il est arrivé au puits, il avait tellement soif qu’il y a bu de l’eau sans réfléchir.

Il a su que l’eau était impropre, rien qu’à son goût. Puis, quand il s’est lavé les mains, il a remarqué qu’elles étaient couvertes de sédiments.

« J’ai vu que l’eau n’était pas pure et qu’elle contenait des saletés »,

dit-il.

« Je pense que c’est de l’eau non traitée en provenance des égouts et qu’elle ne convient pas pour la lessive, pour nettoyer ni même pour se laver. »

L’eau l’a fait vomir. Pourtant, il s’est quand même forcé de continuer d’en boire.

Puis, à la mi-janvier, Abed est allé à l’hôpital parce qu’il avait une forte fièvre et la diarrhée en permanence. Il s’était sévèrement déshydraté.

Les docteurs lui ont diagnostiqué la typhoïde, une infection bactérielle pouvant être mortelle. Si on ne la traitait pas, il risquait de souffrir d’insuffisance rénale.

 

L’eau portable coûte très cher

La grande majorité des Palestiniens à Gaza ne disposent pas d’un accès adéquat à l’eau potable.

Abed a reçu des antibiotiques pour traiter sa typhoïde mais, puisqu’il boit continuellement de l’eau contaminée, sa santé ne s’améliore pas.

« Mon frère achète toujours de l’eau en bouteille, de sorte que je peux guérir et lui, ça lui évite de tomber malade »,

a-t-il dit.

Pourtant, il s’agit d’un choix que les frères peuvent à peine se permettre. Une petite bouteille d’eau d’environ un demi-litre coûte actuellement près de 3 dollars, ce qui revient à dix fois le prix d’avant octobre.

« L’eau en bouteille n’est pas toujours disponible en ville et, quand il y en a, est-ce suffisant ? Comment vais-je me maintenir en vie quand il n’y a pas d’eau potable en ville ? »

 

Comment puis-je me procurer de l’eau si même l’UNRWA ne le peut ?

La plupart des quelque 2 millions de personnes qui ont été déplacées à Gaza se trouvent désormais dans le sud de l’enclave. Le manque d’eau potable y est particulièrement grave.

Kanz Sulaiman, 7 ans, s’est réfugiée dans une école de l’UNRWA dans la ville de Khan Younis, dans le sud. Sa famille a été déplacée de la ville de Gaza il y a deux mois.

Kanz recevait de l’eau en bouteille à boire de ses parents, mais quand il n’y en avait pas, elle en buvait au robinet de l’école de l’UNRWA.

« Je mourais de soif », dit-elle. « Chaque fois que je ne trouvais pas d’eau dans nos bidons, j’allais boire au robinet. »

Un peu plus tôt, ce mois-ci, Kanz s’est retrouvée avec de la fièvre et des vomissements, elle a souffert d’une sévère diarrhée pendant plusieurs jours. Au centre de soins de santé de l’école, on lui a diagnostiqué un catarrhe intestinal.

Le médecin a conseillé à son père d’essayer de se procurer de l’eau potable, puisque le robinet de l’école était pollué. Le médecin a dit qu’ingérer son eau pouvait dégénérer en quelque chose de plus grave, comme le choléra ou la typhoïde.

Hamza Sulaiman, le père de Kanz, a dit qu’il avait posé la question au médecin :

« Comment puis-je lui procurer de l’eau potable si l’UNRWA n’est pas à même de nous en fournir à l’école ? »

Le docteur n’avait pas de réponse. Il a conseillé à Hamza de se rendre à la principale clinique de l’UNRWA à Khaan Younis pour se procurer des médicaments, vu que l’école était tombée à court. Malheureusement, la clinique principale – ainsi que sept pharmacies visitées par Hamza – était également à court de médicaments.

En moins d’une semaine, la famille tout entière, y compris Yazan, 11 ans, le fils de Hamza, était malade.

Heureusement, un proche avait le médicament nécessaire et Kanz s’est sentie mieux au bout d’une semaine de maladie.

« J’ai été très reconnaissant à mon parent d’avoir sauvé la vie de ma fille »,

a déclaré Hamza.

« Je craignais de la perdre, puisque je ne pouvais rien faire pour elle. »

Pourtant, l’accès à l’eau potable est resté un combat quotidien. Hamza remplit les conteneurs d’eau de la famille à l’UNRWA, quand il y en a mais, souvent, ce n’est pas le cas.

« L’eau désalinisée n’est pas à 100 pour 100 propre comme avant la guerre »,

dit-il.

« Il y a une certaine salinité, dans son goût. Je pense qu’elle n’est qu’à moitié désalinisée en raison du manque de carburant. »

 

Se tourner vers l’eau de mer

Fadia Waleed et ses cinq enfants se sont tournés vers l’eau de mer, même s’ils savent qu’elle est polluée par des eaux usées.

Elle nettoie leurs plats et lave leurs vêtements à l’eau de mer et ses enfants se baignent dans l’océan. Ils n’ont pas d’autre alternative, puisque l’école de l’UNRWA où ils sont réfugiés ne fournit plus d’eau du robinet.

Pourtant, ce mois-ci, Yaseen, le fils de Fadia est tombé malade. Il a attrapé de la fièvre et des douleurs abdominales. Ils sont allés à l’hôpital et on lui a diagnostiqué une hépatite A.

Il a pris des médicaments pendant deux semaines et sa santé s’est progressivement améliorée.

« Pendant ces quinze jours, j’ai eu peur de le perdre »,

a déclaré Fadia.

“Je suis restée toute la nuit éveillée à son chevet pour veiller sur sa santé. »

« J’ai emprunté un peu d’eau en bouteille à mes voisins à l’école. Cette eau potable a contribué à lui sauver la vie. »

La famille a cessé d’utiliser de l’eau de mer pour ses corvées quotidiennes, après la maladie de Yaseen, mais elle n’a toujours pas régulièrement accès à de l’eau potable.

« S’ils en boivent de la mer, ils mourront et s’ils restent assoiffés sans eau potable, ils mourront aussi. Dans ce cas, quelle est la solution ? »

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Khuloud Rabah Sulaiman est journaliste et elle vit à Gaza.

Salma Yaseen est étudiante en littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza.

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Publié le 29 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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