Trop peu, trop tard : Le bureau de prévention des génocides de l’ONU rompt le silence sur Gaza

La conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU sur la prévention des génocides a finalement rompu ses longs mois de silence à propos de la campagne israélienne d’extermination et de destruction en cours à Gaza.

Les organisations de défense des droits humains accusent la conseillère spéciale sur la prévention de génocide, Alice Wairimu Nderitu, de manquement à ses devoirs en ayant ignoré les atrocités de masse d’Israël à Gaza.

Les organisations de défense des droits humains accusent la conseillère spéciale sur la prévention de génocide, Alice Wairimu Nderitu, de manquement à ses devoirs en ayant ignoré les atrocités de masse d’Israël à Gaza. (Photo : Luiz Rampelotto / ZUMA Press Wire)

 

Ali Abunimah, 12 février 2024

Mais la réponse très tardive d’Alice Wairimu Nderitu n’a guère satisfait les défenseurs des droits humains palestiniens qui ont invité son patron, le secrétaire général António Guterres, à lancer une enquête sur

« les manquements [de Madame Nderitu] aux devoirs et responsabilités imposés par son mandat ».

La semaine dernière, Madame Nderitu a sorti sa première déclaration sur la situation à Gaza depuis celle d’octobre qui avait été vilainement critiquée en raison de son parti pris flagrant en faveur d’Israël.

Dans son communiqué du 9 février, Madame Nderitu « réitère » sa déclaration pro-israélienne d’octobre mais dit en outre qu’elle « se fait l’écho » d’une déclaration du bureau de Guterres, le mois dernier, qui « prenait note » de la décision de la Cour internationale de justice ordonnant à Israël de faire cesser ce que les juges avaient considéré de façon plausible comme un génocide.

Mais la réponse de Madame Nderitu est décrite comme insuffisante et trop tardive.

« Cette déclaration souligne l’incapacité de la conseillère spéciale sur la prévention de génocide d’exercer correctement son mandat sans partialité ou sans recourir à deux poids et deux mesures »,

a expliqué l’organisation palestinienne des droits humains Al Mezan, installée à Gaza.

« Cela ignore également les 100 000 Palestiniens tués, blessés ou portés manquants sous les décombres à Gaza ces quatre derniers mois. »

 

Al-Mezan est l’une de la grosse douzaine d’organisations palestiniennes de défense des droits humains qui, la semaine dernière, ont écrit à Guterres pour lui demander d’intervenir à propos de l’incapacité de Madame Nderito a exercer le mandat que lui a conféré par le Conseil de sécurité de l’ONU afin qu’elle enquête et attire l’attention sur les situations présentant un risque crédible de génocide.

Les organisations font remarquer qu’elle a émis des avertissements et des déclarations à propos de divers conflits un peu partout dans le monde, tout en ignorant le bain de sang actuellement perpétré par Israël.

 

« L’absence criarde de toute action en réponse aux atrocités massives permanentes subies par les Palestiniens à Gaza soulève des inquiétudes significatives à propos de la capacité [de Madame Nderitu] à exercer son mandat avec efficacité et de façon impartiale »,

ont écrit les organisations le 7 février.

« Cette absence est particulièrement flagrante étant donné que la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu qu’il était très plausible de qualifier de génocide les actes perpétrés par Israël contre les Palestiniens à Gaza et qui exposent ces derniers à un risque de préjudice irréparable. »

 

Ignorer les Palestiniens

Les organisations de défense des droits ont instamment invité Guterres à enquêter sur les raisons pour lesquelles Madame Nderitu avait également gardé le silence face aux avertissements de plus en plus pressants émanant de nombreux experts indépendants de l’ONU et d’organisations de défense des droits humains à propos du génocide en cours.

Madame Nderitu a ignoré tous les efforts des organisations palestiniennes des droits en vue de s’engager avec elle.

« Il est regrettable que nos efforts répétés en vue d’établir un contact et de planifier une réunion avec la conseillère spéciale sur la prévention de génocide aient échoué »,

déclarent les organisations.

Leurs critiques publiques, toutefois, peuvent avoir incité Madame Nderitu à sortir sa toute récente déclaration, peut-être dans un effort en vue de conserver un minimum de crédibilité. Son bureau a également ignoré de multiples requêtes de commentaire de la part de The Electronic Intifada, et ce, concernant une affaire antérieure.

« Le Bureau traitant de la prévention de génocides et de la responsabilité de protection doit être composé de personnes reconnues et de bonne réputation, vigilantes à propos des atrocités et non motivées par des préjugés politiques »,

ont dit les organisations de défense des droits, ajoutant :

« Ceux qui sont incapables de répondre à ces critères doivent être prestement remplacés par des professionnels compétents, capables d’exécuter leur mandat de façon impartiale et sans parti pris. »

 


Aucune indépendance

Mais Craig Mokhiber, un ancien haut fonctionnaire de l’ONU qui a contribué à créer le bureau de l’ONU sur les génocides, a demandé qu’il soit dissous.

En décembre, lors d’une émission en direct de The Electronic Intifada, Mokhiber a déclaré que le silence de Madame Nderitu reflétait la politique de Guterres lui-même.

Mokhiber a expliqué que, dans sa conception d’origine, le bureau des génocides était censé être indépendant mais qu’au lieu de cela, il s’était retrouvé sous le contrôle politique du secrétaire général.

« À dessein, il s’agit d’un bureau faible, sans indépendance et contrôlé politiquement »,

a déclaré Mokhiber à The Electronic Intifada.

Même la démission de Madame Nderitu « ne résoudrait pas le problème », a ajouté Mokhiber.

« Le problème, c’est la politisation des questions de droits humains par le secrétaire général à New-York. »

« Je pense que ce bureau devrait être démantelé », a encore dit Mokhiber. Il a expliqué que le mandat de contrôle et de mise en garde contre les génocides potentiels devait être transféré vers les institutions indépendantes de l’ONU chargées des droits humains,

« au sein desquelles il y a des rapporteurs spéciaux et des commissions d’enquête, des gens qui, en fait, peuvent agir avec principe sans être contrôlés par le secrétaire général ou par le bureau politique ».

Mokhiber a fait les gros titres de la presse mondiale en octobre dernier lorsqu’il a démissionné de ses fonctions de directeur du bureau des droits humains de l’ONU à New York, après avoir mis le doigt sur l’inaction du corps mondial à propos du génocide en cours à Gaza.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

Publié le 12 février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Pourquoi le bureau de l’ONU pour la prévention de génocides reste-t-il silencieux à propos de Gaza ?

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