Pourquoi le bureau de l’ONU pour la prévention de génocide reste-t-il silencieux à propos de Gaza ?

Madame Alice Wairimu Nderitu est chargée d’une tâche que l’on trouve clairement énoncée dans son titre officiel : Elle est la conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la prévention de génocide.

 

Alice Wairimu Nderitu, la conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la prévention de génocide, viole son mandat en restant silencieuse à propos de Gaza. (Photo : US Institute of Peace)

Alice Wairimu Nderitu, la conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la prévention de génocide, viole son mandat en restant silencieuse à propos de Gaza. (Photo : US Institute of Peace)


Ali Abunimah,
13 décembre 2023

Pourtant, alors que les organisations de défense des droits humains, les experts indépendants de l’ONU et les spécialistes du génocide tirent la sonnette d’alarme à propos de la campagne israélienne d’extermination à Gaza, Madame Nderitu s’obstine à garder le silence.

Le 15 octobre, Madame Nderitu a diffusé une déclaration qui condamnait sévèrement – et à trois reprises, en plus – le Hamas pour avoir attaqué Israël le 7 octobre.

Apparemment, elle accepte comme un fait établi toutes les allégations non vérifiées d’Israël – ainsi que celles qui n’ont pas tardé à être démystifiées – à propos de cette journée.

Madame Nderitu suggère même que les Palestiniens s’en prennent à Israël, non pas parce qu’ils subissent une occupation brutale, longue de plusieurs décennies, mais plutôt « sur base identitaire » – se faisant ainsi l’écho de l’absurde et répréhensible propagande israélienne qui prétend que c’est l’antisémitisme qui motive la résistance palestinienne.

De façon significative, Madame Nderitu n’a pas condamné les bombardements israéliens sans discernement sur Gaza, lesquels, à cette date du 15 octobre, avaient pourtant déjà tué plus de 2 300 Palestiniens et en avaient blessé près de 10 000.

Aujourd’hui, le nombre de morts est de 18 000 au moins, dont près d’une moitié d’enfants.


Un silence assourdissant

Le mois dernier, lors d’une démarche des plus inhabituelles, des douzaines de membres du personnel de l’ONU ont signé un mémorandum condamnant les deux poids deux mesures maniés par Madame Nderitu, ainsi que son refus d’aborder les actions illégales et inhumaines d’Israël à Gaza.

 

Et, dans une lettre adressée à Madame Nderitu un peu plus tôt ce mois-ci, plus d’une douzaine d’organisations palestiniennes de défense des droits humains ont exprimé leur inquiétude à propos de sa déclaration disproportionnée et de son silence obstiné à propos de Gaza.

« Votre silence à propos du risque de génocide en Palestine (…) est assourdissant »,

ont écrit les organisations de défense des droits, s’adressant à la fois à Madame Nderitu et à son collègue George Okoth-Obbo, le conseiller spécial du secrétaire général sur la responsabilité de protection.

Madame Nderitu ne peut prétendre ignorer ce qui se passe à Gaza.

Déjà le 13 octobre, les organisations palestiniennes de défense des droits humains avaient invité les gouvernements du monde entier à

« intervenir d’urgence afin de protéger le peuple palestinien d’un génocide ».

Le 15 octobre, 800 juristes et praticiens du droit international et des études sur les génocides, parmi lesquels d’éminents spécialistes de l’Holocauste, signaient une déclaration

« en vue de tirer la sonnette d’alarme à propos de la possibilité de perpétration par les forces israéliennes d’un crime de génocide contre les Palestiniens dans la bande de Gaza ».

Les experts indépendants des droits humains de l’ONU ont sorti des appels similaires, dont l’un signé le mois dernier par trois douzaines de rapporteurs spéciaux de l’ONU mettant en garde contre « un génocide en préparation » à Gaza.

Le collègue de Madame Nderitu à l’ONU, Craig Mokhiber, a démissionné en octobre de son poste de directeur du bureau des droits humains de l’ONU à New York.

« Une fois de plus, nous voyons un génocide se dérouler sous nos yeux et l’organisation que nous servons s’avère impuissante à le faire cesser »,

écrivait Mokhiber dans sa lettre de démission.

 

« Tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons »

Ces mises en garde faisaient remarquer que, dans le même temps qu’ils recouraient à une violence massive et sans discernement, les dirigeants israéliens ne cachaient aucunement leur désir de détruire le peuple palestinien.

Le ministre de la défense Yoav Gallant avait qualifié les Palestiniens de « bêtes humaines », quand il avait annoncé qu’Israël allait imposer un siège de famine à Gaza en coupant l’eau, les vivres, l’électricité, les médicaments et le carburant.

Pour justifier la campagne de massacre, Isaac Herzog, le président israélien, avait fait savoir que les 2,3 millions d’habitants de Gaza – dont une moitié d’enfants – étaient coupables et destinés à mourir.

« C’est toute une nation qui est responsable, là-bas », avait dit Herzog.

« Ce n’est pas vrai, cette rhétorique à propos de civils qui ne sont ni conscients, ni impliqués. Il n’y a là absolument rien de vrai ! »

Herzog avait suggéré que les Palestiniens de Gaza n’avaient qu’à s’en prendre à eux-mêmes, du fait qu’ils ne s’étaient pas soulevés pour renverser le Hamas.

 

Et, peut-être le plus remarquable de tous, il y avait eu Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, qui avait comparé le peuple palestinien à Amalec, un ennemi des israélites de la Bible.

Dans la Bible, Dieu ordonne :

« Va maintenant, frappe Amalec et voue à l’interdit tout ce qui lui appartient ; tu ne l’épargneras pas et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et agneaux, chameaux et ânes (1 Samuel, 15:3). »

Il semble bien que nous ayons là le manuel d’utilisation de l’armée israélienne.

 

Un mandat en vue de lancer un « avertissement précoce »

Écrivant dans The New York Times le 10 novembre, Omer Bartov, un professeur israélien de l’Université Brown, spécialisé dans les études sur l’Holocauste et les génocides, déclarait :

« En justifiant l’offensive, les dirigeants et généraux israéliens y sont allés de déclarations terrifiantes qui indiquent une intention génocidaire. »

« Il est toujours temps d’arrêter Israël avant que ses actions ne se muent en génocide »,

avait mis en garde Bartov. « Nous ne pouvons attendre un moment de plus. »

Un mois plus tôt, par contre, Raz Segal, un professeur israélien des études sur l’Holocauste et les génocides à l’Université de Stockton, avait déjà déclaré que l’attaque israélienne contre Gaza était

« un cas d’école de génocide ».

 

 

Les experts peuvent discuter pour savoir si oui ou non un génocide a déjà lieu, mais il existe un large consensus, et c’est inquiétant, pour dire que le génocide constitue à tout le moins un risque majeur imminent.

Et c’est ce qui est important, dans le mandat de Madame Nderitu. Elle n’est pas censée attendre pour agir que le génocide ait déjà eu lieu.

Sa responsabilité officielle consiste à rassembler des données

« sur des violations massives et graves, d’origine ethnique et raciale, des droits de l’homme et des lois humanitaires internationales, violations qui, si elles ne sont pas empêchées ou arrêtées, pourraient déboucher sur un génocide ».

La tâche que lui a confiée directement le Conseil de sécurité de l’ONU consiste à

« agir en tant que mécanisme d’alerte précoce (…) en soumettant à l’attention de tous des situations potentielles susceptibles de résulter en un génocide ».

 

Le son du silence

Le Bureau de l’ONU pour la prévention des génocides, dirigé par Madame Nderitu, a ignoré l’une après l’autre nombre de requêtes de commentaires autour de ces faits – dont une qui lui demandait même si elle collectait des données sur ce qui se passe à Gaza, comme le requiert son mandat.

Alors que Madame Nderitu s’est obstinée dans son silence à propos du génocide israélien à Gaza, son bureau

« a émis des mises en garde concernant les droits au retour des réfugiés arméniens, le risque accru de génocide et d’atrocités dans les régions du Tigré, d’Amhara, des Afars, d’Oromia et le risque de génocide au Darfour, au Soudan »,

font remarquer les organisations de défense des droits palestiniens.

Samedi, c’était la Journée internationale de la commémoration et de la dignité des victimes du crime de génocide, que les Nations unies fixent chaque année au 9 décembre.

C’était également le 75e anniversaire de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.


Vidéo :
« Pouvons-nous demander des comptes à Israël ? Invoquez la convention sur le génocide ! »

 

Tout pays qui a ratifié le traité a le droit et la responsabilité d’invoquer la convention sur le génocide et de traduire un autre État soupçonné de génocide devant la Cour internationale de justice et d’autres institutions des Nations unies.

Cette procédure, au moins, hisserait le problème aux tout premiers rangs de l’agenda mondial et contribuerait à accroître la pression sur Israël afin qu’il arrête le massacre.

Mais, jusqu’à présent, comme le fait remarquer le journaliste Sam Husseini, aucun gouvernement n’a agi de la sorte.

Cette abrogation de responsabilité accroît encore l’urgence pour Madame Nderitu de tirer la sonnette d’alarme, comme le requiert son mandat.

Mais, vendredi dernier, Madame Ndetitu a organisé une cérémonie au siège des Nations unies afin de marquer la commémoration annuelle des victimes de génocide.

La cérémonie a débuté par une minute de silence. Encore une couche de silence ! Voilà précisément ce dont les Palestiniens de Gaza n’ont aucunement besoin.

*****

Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

 

 

Publié le 13 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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