Israël assiège l’hôpital de Gaza pendant que Rafah voit la mort en face

Israël a durci son siège contre un hôpital de Khan Younis, alors que l’inquiétude internationale allait croissant à propos d’une menace d’incursion plus au sud, vers Rafah, le dernier endroit de relative sécurité pour la population de Gaza aujourd’hui en grande partie déplacée.

 

15 décembre 2023. Des Palestiniens déplacés se réfugient au Complexe médical Nasser, l'hôpital de Khan Younis, dans le sud de Gaza.

15 décembre 2023. Des Palestiniens déplacés se réfugient au Complexe médical Nasser de Khan Younis, dans le sud de Gaza. (Photo : Ismael Mohamad / UPI)

 

Maureen Clare Murphy, 14 février 2024

Mardi, l’Afrique du Sud annonçait qu’elle avait adressé une requête urgente à la Cour internationale de justice, demandant au tribunal de l’ONU d’user de « son pouvoir pour empêcher une nouvelle violation imminente des droits des Palestiniens à Gaza », après qu’Israël a fait entendre son intention d’étendre son offensive à Rafah.

L’organisation de défense des droits humains Al-Haq a prévenu qu’un tel assaut contre Rafah

« se traduirait par la mort de milliers de civils palestiniens à une échelle sans précédent au cours des quatre premiers mois de la campagne militaire génocidaire d’Israël contre Gaza ».

Martin Griffiths, le responsable de l’ONU pour l’aide d’urgence, a déclaré mardi qu’il

« tirait une fois de plus la sonnette d’alarme : Les opérations militaires à Rafah pourraient dégénérer en un massacre à Gaza. »

Et d’ajouter :

« Elles pourraient également abandonner une opération humanitaire déjà fragile aux portes de la mort. »

Le gros million de personnes « entassées à Rafah » « regardent la mort en face », a déclaré Griffiths.

 

« Un danger extrême »

Le personnel médical palestinien, les patients et les gens qui les accompagnent, ainsi que les personnes déplacées au Complexe médical Nasser, à Khan Younis, ont eux aussi regardé la mort en face après qu’Israël a ordonné l’évacuation du site mardi et mercredi.

L’hôpital, décrit par le haut responsable de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme

« la colonne vertébrale du système de santé dans le sud de Gaza »,

est soumis à un siège et à des attaques de plus en plus violentes depuis plus de trois semaines – une répétition des attaques d’Israël contre les hôpitaux dans d’autres zones envahies par ses forces terrestres.

 

Mercredi, des milliers de personnes ont évacué le bâtiment, suite à l’ordre israélien. Le ministère palestinien de la santé à Gaza a déclaré que

« des milliers de personnes déplacées, les familles du personnel médical et les patients qui ne peuvent se déplacer »

ont été évacués de force.

« Ils sont sous la menace d’un danger extrême »,

a annoncé Ashraf al-Qedra, le porte-parole du ministère.

Des vidéos montrent des gens sortir en grands nombres de l’hôpital ainsi que des personnes évacuées massées à un checkpoint :

 

Le journaliste Mohammed al-Helo a expliqué mercredi que la situation était si dangereuse qu’un grand nombre des personnes qui tentaient de quitter le Complexe médical y étaient en fait retournées en raison des tirs israéliens incessants :

 

Mardi, le ministère palestinien de la santé à Gaza avait prévenu que la situation au Complexe médical Nasser devenait de plus en plus catastrophique.

« Le personnel des soins, les patients et les gens qui les accompagnent dans le complexe courent un danger extrême »,

avait dit al-Qedra.

Les soldats israéliens ont démoli le mur nord de l’hôpital et ont ordonné à son administration d’évacuer les personnes déplacées qui s’étaient réfugiées dans le bâtiment, tout en permettant aux patients et au personnel médical de rester sur place, a déclaré le ministère mardi.

Malgré l’ordre d’évacuation, les troupes israéliennes tiraient sur les gens qui quittaient le site, empêchant ainsi le personnel de transférer les personnes décédées vers la mortuaire.

Shaban Tabash, la responsable du département des soins infirmiers au Complexe médical Nasser, a déclaré mardi que toute personne tentant de quitter le site ou d’y entrer était ciblée par les tirs israéliens.

« Les gens ont peur de quitter l’hôpital parce qu’ils entendent dire que d’autres se sont fait tirer dessus »,

a déclaré Médecins sans frontières (MSF) mardi.

« Ceux qui veulent s’en aller doivent pourvoir sortir en toute sécurité. »

Al Jazeera a publié une prise de vue montrant un drone quadricoptère dans la cour du Complexe médical Nasser et le corps d’un enfant gisant au sol juste à l’entrée de l’hôpital. Dans une autre prise de vue diffusée par le réseau qatari quelques heures plus tard, on voit des chiens malmener le corps de l’enfant abattu et toujours sur place du fait qu’à cause des tirs des snipers, il était trop dangereux pour les paramédicaux de s’en approcher.

« Des centaines de civils palestiniens ont été tués ou blessés par des snipers israéliens et des drones quadricoptères »

depuis le début de l’offensive militaire à Gaza, estime le Réseau euro-méditerranéen de contrôle des droits humains (Euro-Med).

 

Les soldats israéliens exécutent un prisonnier

Ahmad al-Mughrabi, le responsable du département des brûlures, a déclaré que les soldats israéliens avaient envoyé un prisonnier palestinien, portant un EPP (équipement de protection personnelle, NdT) et les mains menottées, à l’intérieur du Complexe médical Nasser afin de transmettre l’ordre de l’armée d’évacuer l’hôpital mardi. Quand le jeune homme est retourné vers les soldats comme ils le lui avaient commandé, ils l’ont exécuté.

 

Mardi, des troupes israéliennes dans des chars ont été enregistrées sur vidéo en train d’ordonner l’évacuation de l’hôpital et disant que ceux qui ne sortaient pas allaient mettre leur vie en danger. Les soldats traitaient les gens à l’intérieur d’« animaux ».

 

Le ministère de la santé a déclaré que les écoles du voisinage du Complexe médical Nasser avaient pris feu après avoir été la cible de tirs. L’incendie s’est propagé à la zone de stockage des équipements médicaux de l’établissement, le détruisant complètement et endommageant gravement par la même occasion l’entrepôt des fournitures médicales.

Le département des urgences de l’hôpital est inondé d’eaux usées et l’accumulation de déchets sur le site pose un risque grave pour la santé, a déclaré le ministère.

Une vidéo montre des patients sur des lits d’hôpital dans les couloirs inondés du bâtiment :

 

Al-Qedra, le porte-parole du ministère de la santé, a déclaré dans une interview réalisée par The New Humanitarian que plus de 180 corps avaient été incinérés dans l’enceinte de l’hôpital depuis que les troupes israéliennes avaient encerclé les lieux. Les corps n’ont pu être emportés ailleurs pour être incinérés.

 

Tué en cherchant de l’eau

On rapporte que, lundi, sept Palestiniens ont été tués et quatorze autres blessés par des snipers dans la cour du Complexe médical Nasser.

Une vidéo montre un homme âgé qui rampe dans le département des urgences de l’hôpital après avoir été abattu par un sniper israélien à l’entrée du bâtiment. Sa jambe laisse une traînée de sang derrière lui avant qu’on l’éloigne de la porte et qu’on le place sur une civière.

Plus de vingt personnes déplacées ont été tuées par des snipers israéliens alors qu’elles tentaient d’atteindre le site la semaine dernière, a rapporté Al Jazeera. Vendredi, l’émetteur a publié une vidéo montrant un homme qui vient de se faire tirer une balle dans la jambe à l’entrée de l’hôpital et qui s’éloigne des lieux en roulant sur lui-même.

Euro-Med a déclaré que certaines des personnes qui avaient été tuées par des snipers israéliens avaient tenté d’obtenir de l’eau potable à proximité de l’hôpital. Parmi elles se trouvait Rua Atef Qadeeh, une adolescente de 14 ans.

Jeudi dernier, toujours selon Euro-Med, une personne déplacée réfugiée à l’hôpital été tuée par un tir de drone quadricoptère sur le toit du bâtiment alors qu’elle tentait d’accéder à internet pour communiquer avec sa famille.

La semaine dernière également, un infirmier a été blessé par balle et laissé dans un état critique à l’intérieur d’une salle d’opération du Complexe médical Nasser ; par ailleurs, une femme a été blessée d’une balle à la tête juste en face de l’hôpital.

Samedi, la gynécologue Amira al-Asool a été saluée comme une héroïne après qu’une vidéo l’avait montrée qui risquait sa vie pour venir au secours d’un homme blessé à l’extérieur du bâtiment, et ce, malgré les tirs d’un sniper israélien et d’un drone.

 

Une fille meurt suite à l’absence d’électricité

En sus des tirs de snipers et de drones quadricoptères, des Palestiniens ont aussi perdu la vie suite au siège de l’hôpital par les Israéliens.

Une fille de 10 ans qui était hospitalisée au Complexe médical Nasser est décédée à cause de la pénurie d’électricité, a expliqué un médecin de l’hôpital.

Il y a plus de 20 patients dans les unités de soins intensifs de Nasser, rapporte The New Humanitarian, ainsi que « sept nouveau-nés prématurés et des douzaines de patients qui ont besoin de dialyses et dont le traitement a été interrompu en raison du siège ».

Manar Fayyad, un anesthésiste au Complexe médical Nasser, a expliqué à The New Humanitarian que les attaques d’Israël

« sont en ligne avec les actions entreprises contre l’hôpital al-Shifa, que les forces israéliennes avaient soumis à un siège de plusieurs jours avant de prendre le site d’assaut ».

Situé dans la ville de Gaza, al-Shifa était le plus grand et le plus moderne des hôpitaux de Gaza avant d’être assiégé et pris d’assaut en novembre.

Des services très limités avaient repris à al-Shifa ces dernières semaines après qu’il avait été mis hors fonctionnement par le raid israélien deux bons mois plus tôt.

Mais le fonctionnement partiellement restauré d’al-Shifa est menacé par la reprise des attaques israéliennes contre le site, où cinq personnes déplacées ont été tuées la semaine dernière, a fait savoir Euro-Med.

 

Des soldats font irruption dans l’hôpital Al-Amal et arrêtent des membres du personnel et des patients

Le bureau des droits humains de l’ONU en Palestine a déclaré qu’il était « gravement inquiet » après que les soldats israéliens ont envahi l’hôpital Al-Amal à Khan Younis vendredi.

 

À l’instar du Complexe médical Nasser, Al-Amal est en état de siège depuis le 22 janvier. Plus ou moins au même moment, les soldats israéliens ont pris d’assaut l’hôpital al-Khair à Khan Younis,

« tuant plusieurs patients, déplaçant et arrêtant des gens et forçant les patients survivants – dont de nombreux sont en très mauvais état – à évacuer sous les balles »,

selon Euro-Med.

Al-Amal a reçu l’ordre d’évacuer le 5 février, et quelque

« 8 000 personnes qui n’avaient nulle part où aller »

ont été envoyées sur les chemins, rapporte Euro-Med.

« Quarante personnes âgées, quatre-vingts malades et blessés et une centaine de membres du personnel administratif et des équipes médicales ont été abandonnés à leur sort à l’hôpital même »,

a ajouté l’organisation de défense des droits.

Les soldats israéliens ont fait irruption sur le site vendredi, arrêtant

« 18 personnes, dont neuf membres de l’équipe médicale et de celle des volontaires, quatre personnes blessées et cinq personnes qui les accompagnaient, et infligeant des importants dégâts aux équipements médicaux et logistiques »,

a fait savoir le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

La Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP), qui gère l’hôpital al-Amal, a déclaré que de l’argent avait été volé dans le coffre-fort de l’hôpital, de même que des patients et des personnes déplacées avaient eux aussi été détroussés.

Les militaires israéliens ont tiré sur des véhicules, dont des ambulances du Croissant-Rouge, qui se trouvaient dans la cour de l’hôpital, a déclaré l’organisation humanitaire :

 

 

Les attaques contre les soins de santé à Gaza

L’OMS a expliqué la semaine dernière qu’elle avait répertorié plus de 350 attaques contre les soins de santé à Gaza depuis le 7 octobre. Près de 650 personnes ont été tuées et plus de 800 blessées, lors de ces attaques, qui ont affecté près de 100 établissements de soins de santé, dont 27 à l’extérieur des 36 hôpitaux de Gaza.

Euro-Med a dit que les attaques israéliennes contre le système des soins de santé de Gaza visaient à réduire « les chances de survie des Palestiniens ».

Ghassan Abu Sitta, un chirurgien anglo-palestinien qui a été volontaire à Gaza durant les premières semaines de la guerre, a déclaré que le ciblage des établissements de santé et des travailleurs médicaux avait pour but de rendre Gaza invivable et de forcer l’expulsion de sa population.

Plus de 28 500 Palestiniens ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre, selon le ministère de la santé à Gaza.

Euro-Med estime que plus de 7 800 sont portés manquants sous les décombres des bâtiments détruits. L’organisation évalue le nombre actuel de morts à quelque 36 700 personnes, dont plus de 14 000 enfants.

 

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 14 février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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