Israël planifie de « profondes poches de famine » à travers Gaza

« Tout le monde à Gaza a faim. Nombreux sont ceux qui meurent de faim », a déclaré l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le 8 février.

2 février 2024. Partout à Gaza, des enfants palestiniens sont tenaillés en permanence par la faim, comme ici, à Deir El-Balah.

2 février 2024. Partout à Gaza, des enfants palestiniens sont tenaillés en permanence par la faim, comme ici, à Deir El-Balah. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

 

Nora Barrows-Friedman, 14 février 2024

Israël est occupé à affamer Gaza.

Les enfants

« doivent se passer de nourriture durant des journées entières, du fait que les convois d’aide se voient de plus en plus refuser des permis d’accès »,

rapportait la BBC le 10 février.

Les Nations unies estiment que près d’un enfant palestinien sur dix de moins de cinq ans, à Gaza, souffre actuellement de malnutrition aiguë.

Le 2 février, Stéphane Dujarric, porte-parole du Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a expliqué à des journalistes que les partenaires de l’agence avaient indiqué

« une très forte hausse de la malnutrition aiguë » parmi la population de Gaza, « avec une multiplication par 12 du taux enregistré avant les hostilités ».

Il n’y a qu’entre 70 et 100 camions qui entrent quotidiennement à Gaza « dans le meilleur des cas », et seuls « deux de ces camions se rendent dans les gouvernorats du nord », selon des estimations du Réseau de contrôle euro-méditerranéen des droits humains (Euro-Med), qui opère depuis Genève.

Avant le début des attaques d’Israël en octobre, environ 500 camions entraient à Gaza quotidiennement.

« Ce qui entre dans la bande ne répond pas au niveau minimal des besoins de la population au vu de la privation sévère, permanente et accumulée de nourriture, d’eau potable et de fournitures médicales, parmi un besoin croissant dû au siège et au génocide en cours »,

a déclaré Lima Bustami, directrice du département juridique d’Euro-Med.

« La situation se complique de plus en plus du fait que les habitants de la bande de Gaza sont en état de siège de toutes parts, ce qui fait qu’il leur est impossible de produire la nourriture dont ils ont besoin localement, ou de l’obtenir depuis d’autres sources »,

a ajouté Lima Bustami.

Le mois dernier, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné à Israël d’empêcher les actes de génocide. L’ordre faisait partie d’un certain nombre de mesures provisoires édictées par la cour dans un dossier présenté par l’Afrique du Sud contre Israël.

Israël est censé informer le tribunal dans un mois à propos des mesures qu’il aura prises pour se plier à l’ordre du 26 janvier. Un examen minutieux par la CIJ du dossier de l’Afrique du Sud aura lieu dans une phase ultérieure.

Déclarer une situation de famine « peut trouver son chemin devant la Cour internationale de justice », a ajouté Lima Bustami.

Ce genre de déclaration

« pourrait soit aboutir à une requête d’amendement [des mesures provisoires décidées le 26 janvier] (…) soit servir de preuve supplémentaire que la cour évaluerait lors de sa prise en considération des mérites de la cause et sa prise de décision finale »,

a déclaré Euro-Med.

Un rapport récent de l’Integrated Food Security Phase Classification (Classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire, en raccourci IPC, NdT) explique qu’entre le 8 décembre et le 7 février, la population tout entière de Gaza, soit approximativement 2,3 millions d’habitants, a été classée comme étant

« en crise ou dans une situation pire encore ».

« C’est la plus grande proportion de personnes confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë que l’initiative de l’IPC ait jamais répertoriée pour une région ou un pays »,

déclare l’IPC.

Qui plus est, l’IPC fait savoir qu’environ la moitié de la population est en crise alimentaire et qu’

« au moins un ménage sur quatre (soit plus d’un demi-million de personnes) est confronté à des conditions catastrophiques », caractérisées par « un manque extrême de nourriture, un état de faim permanente et un épuisement des capacités d’adaptation ».

Selon l’IPC,

« même si les niveaux de malnutrition aiguë et de mortalité non liée à un traumatisme peuvent ne pas avoir encore franchi les seuils de famine, ils sont typiquement les résultats d’écarts prolongés et extrêmes de consommation alimentaire ».

L’IPC fait remarquer que

« l’accroissement de la vulnérabilité nutritionnelle des enfants, des femmes enceintes, de celles qui allaitent et des personnes âgées constitue une source particulière d’inquiétude ».


Les conteneurs d’expédition qu’on laisse dans le port

Citant les restrictions financières imposées à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, le gouvernement israélien retient plus d’un millier de conteneurs d’expédition de produits alimentaires vitaux dans le port d’Ashdod, à 30 kilomètres au nord de la frontière de Gaza.

Ces expéditions, qui comprennent du riz, de la farine, des pois chiches, du sucre et de l’huile de cuisson, suffisaient pour nourrir plus d’un million de personnes pendant un mois.

 

Le mois dernier, Israël a déclaré qu’il allait permettre à la farine d’entrer à Gaza via Ashdod, un important port de commerce au nord de la frontière avec Gaza, après que les agences internationales d’aide ont mis en garde contre la famine dans les zones nord et ont insisté auprès d’Israël pour qu’il permettre de se servir du port.

Le 19 janvier, la Maison-Blanche a diffusé une déclaration passablement vaniteuse disant que le président Joe Biden « avait favorablement accueilli » la décision d’Israël de

« permettre l’expédition de farine au peuple palestinien en passant directement par le port d’Ashdod pendant que nos équipes travaillent séparément sur des options de livraison d’aide maritime plus directe à Gaza ».

Mais cela fait des semaines que cette farine est coincée dans le port.

Bezalel Smotrich, le ministre israélien des finances, a admis qu’il avait bloqué les expéditions en coordination avec Benjamin Netanyahou, le Premier ministre.

Axios a rapporté mardi que Smotrich

« avait bloqué le transfert de la farine après qu’on lui avait notifié qu’elle était destinée à l’UNRWA, la principale organisation d’aide à Gaza ».

« Il a ordonné aux douanes israéliennes de ne pas libérer l’expédition aussi longtemps que l’UNRWA en serait la destinataire »,

a ajouté Axios.

En réponse, le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, a fait allusion aux discussions avec Israël visant à permettre la livraison de l’aide.

« Nous avions un engagement du gouvernement d’Israël afin de laisser passer cette farine et nous escomptons qu’il la livrera, conformément à cet engagement »,

a déclaré Miller mardi.

 

La semaine dernière, les forces navales israéliennes ont attaqué un convoi d’aide alimentaire qui faisait route, a-t-on dit, vers le nord de Gaza.

En sus de bloquer ou d’attaquer les camions d’aide, les forces israéliennes tirent également sur les pêcheurs qui tentent de procurer de la nourriture à leurs familles affamées.

Le 8 février, les corps de deux pêcheurs

« ont été retrouvés après que leur bateau avait été prétendument frappé par les forces israéliennes à l’ouest de Rafah »,

la veille, a rapporté l’OCHA.

« Le port de Gaza a été gravement endommagé et la plupart des bateaux de pêche ont été détruits »,

a ajouté l’agence de l’ONU.

Israël détruit tout aussi systématiquement les fermes.

En décembre, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de l’ONU a recouru à l’imagerie satellitaire pour évaluer et analyser les dégâts infligés aux terres arables de Gaza.

L’agence a rapporté que plus de 27 pour 100 de toutes les terres de culture à Gaza avaient subi des dégâts, de même que plus de 20 pour 100 de toutes les serres. Près de 500 puits d’irrigation avaient également été endommagés, a fait remarquer l’ONU.

Fin janvier, toutefois, le Centre satellitaire de l’ONU « montrait des dégâts sur 34 pour 100 des terres arables », rapportait l’OCHA.

« La plupart des infrastructures du secteur agroalimentaire étaient endommagées, depuis les installations commerciales (fermes d’élevage, magasins de produits et d’intrants, etc.) jusqu’aux équipements ménagers, tels les granges et refuges pour animaux. »


« De profondes poches de famine »

« Tout le monde à Gaza a faim. Nombreux sont ceux qui meurent de faim »,

a déclaré l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le 8 février.

« Les maladies infectieuses se répandent. La faim affaiblit la capacité des gens à éloigner la maladie. Sans une nourriture suffisante, plus de gens encore tomberont malades et mourront »,

a mis en garde l’agence.

 

Phillippe Lazzarini, le chef de l’UNRWA, a déclaré la semaine dernière que la moitié des requêtes de l’agence en faveur de missions d’aide humanitaire dans les zones nord de Gaza « étaient rejetées » depuis le début de l’année.

L’ONU, a-t-il dit,

« a identifié de profondes poches de famine et de faim dans la partie nord de Gaza où l’on croit que les gens sont au bord de la famine. Au moins 300 000 personnes vivant dans la région dépendent de notre assistance pour leur survie. »

 

Les accusations israéliennes prétendant qu’une poignée de membres de l’UNRWA ont participé aux attaques du 7 octobre dirigées par le Hamas, ont incité 16 pays à suspendre leur financement de l’agence.


Les colons bloquent l’aide

Entre-temps, ces dernières semaines, les forces israéliennes ont permis aux colons israéliens – ou elles les y ont encouragés – de bloquer et perturber l’entrée à Gaza des convois d’aide humanitaire via le croisement de Kerem Shalon, dans le sud.

La zone a été désignée comme zone militaire fermée depuis le mois dernier. « Mais il n’y a pas de checkpoints la nuit, ce qui fait qu’il est plus facile d’y amener des cars entiers de protestataires », rapporte The Washington Post.

Les Israéliens ont organisé des dance parties pour célébrer les destructions par l’armée à Gaza ainsi que la famine organisée qui y frappe les Palestiniens.

« L’armée est avec nous, la police est avec nous »,

a déclaré au Washington Post un jeune Israélien qui participe au blocage de l’aide humanitaire.

« Ils ne veulent pas que nous soyons ici, mais ils nous laissent faire. Nous leur parlons, nous rigolons avec eux, nous leur offrons tout ce dont ils ont besoin »,

a déclaré l’Israélien.

 

En octobre, la députée israélienne Tally Gotliv prônait l’utilisation de la famine comme arme contre les Palestiniens à Gaza, ce qui constitue un crime de guerre.

« Sans la faim et la soif parmi la population de Gaza, nous ne serons pas en mesure de collecter des renseignements, nous ne serons pas en mesure de corrompre des gens avec à manger, à boire, avec des médicaments, afin d’obtenir des renseignements »,

a déclaré Gotliv.

Les organisations palestiniennes de défense des droits humains disent que ce genre de rhétorique génocidaire à laquelle recourent les dirigeants israéliens n’est pas une aberration. Mais c’est plutôt une politique.

« La politique de la famine poursuivie par les autorités israéliennes est un exemple des mesures de punition collective infligées par Israël à la population civile de Gaza et qui se sont intensifiées depuis le 7 octobre 2023 »,

ont déclaré le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH), Al-Haq et Al Mezan dans une déclaration commune un peu plus tôt ce mois-ci.

Les organisations ont ajouté que

« le recours par Israël à la famine comme méthode de guerre est interdit par les lois humanitaires internationales et équivaut à un crime de guerre, selon les Statuts de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) ».

 

« Les armées les plus brutales de l’histoire ont utilisé la famine délibérée comme une tactique ; la criminalisation de ce genre de tactique est une pierre de touche des lois internationales »,

a déclaré le Comité national palestinien de Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

La décision prise par 16 pays de suspendre leur financement de l’UNRWA et, ce faisant, de punir collectivement les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza, surtout après que la CIJ a estimé qu’Israël commettait vraisemblablement un génocide,

« représente un passage par certains pays de la complicité potentielle dans le génocide à une implication directe dans une famine orchestrée »,

a mis en garde l’Institut Lemkin de prévention des génocides.

L’institut – qui tire son nom de Raphael Lemkin, le juriste polonais qui a inventé le mot « génocide » en 1944 – a ajouté que la décision de ces 16 gouvernements

« est une attaque contre ce qui reste de sécurité personnelle, de liberté, de santé et de dignité en Palestine ».

 

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Publié le 14 février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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