Le Ramadan va-t-il pousser la Cisjordanie à l’éruption ?

En Cisjordanie occupée, dans l’attente du mois sacré de Ramadan, Israël intensifie ses provocations, bien qu’il prétende tenter d’empêcher une escalade plus grave encore.

 

5 mars 2024, à Burin, près de Naplouse, des gens en deuil portent le corps d'Amer Al Najar lors de ses funérailles.

5 mars 2024, à Burin, près de Naplouse, des gens en deuil portent le corps d’Amer Al Najar lors de ses funérailles. (Photo : Alaa Badarneh / EFE via ZUMA Press / APA images)

Tamara Nassar, 7 mars 2024

Au début de cette semaine, à Ramallah, les forces d’occupation israéliennes ont mené l’un des plus importants raids militaires depuis des années.

Ramallah est le siège de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie occupée par Israël. Depuis sa création au milieu des années 1990, l’AP a poursuivi une collaboration étroite avec les forces d’occupation israéliennes et ce, sous la bannière de la « coordination sécuritaire ».

Par conséquent, Ramallah n’est pas typiquement la cible de raids militaires aussi sévères que ceux qu’Israël effectue dans d’autres régions de la Cisjordanie occupée, particulièrement dans les camps de réfugiés du nord, où la résistance armée est très présente et où l’AP n’exerce qu’une influence minime.

Mais, depuis le 7 octobre, les raids meurtriers dans l’ensemble de la Cisjordanie occupée se sont intensifiés. Ils ont également provoqué d’importants dégâts à l’intérieur des camps de réfugiés – aux rues, aux maisons, aux surfaces commerciales, mais la distribution d’eau, d’électricité et l’infrastructure routière ont été gravement touchées aussi par les raids israéliens qui se sont succédé dans ces régions.

Les enfants palestiniens en Cisjordanie occupée portent le poids de ces raids militaires au cours desquels « les tueries illégales d’enfants palestiniens constituent la norme », estime Defense for Children International – Palestine (DCI-P), qui collecte sur le terrain même des comptes rendus concernant les meurtres d’enfants par Israël.

Les soldats et les colons israéliens ont tué 27 enfants palestiniens en Cisjordanie occupée depuis le début de cette année. Ceci inclut deux adolescents de nationalité américaine.

Les tueries

Mardi, les forces d’occupation israéliennes ont abattu et tué un garçon de 16 ans après qu’il avait prétendument tenté de commettre une attaque au couteau.

Les forces israéliennes « ont continué de lui tirer dessus jusqu’au moment où il est tombé sur le sol », a déclaré DCI-P.

L’armée israélienne a empêché les ambulances du Croissant-Rouge d’accéder à la scène, ce qui fait le jeune Muhammad s’est vidé de son sang sans recevoir les moindres soins médicaux. Plus tard, une ambulance israélienne a emmené le corps vers une destination qui n’a pas été révélée.

Suite au meurtre de l’adolescent, l’armée israélienne a convoqué son père pour un interrogatoire de deux heures. Quand son père a demandé de voir son fils,

« l’officier des renseignements le lui a refusé et l’a informé qu’une vidéo du moment où son fils commettait son agression au couteau allait être publiée ».

Israël retient toujours le corps de Muhammad.

Lundi, les forces d’occupation israéliennes ont mortellement blessé le petit Amr Muhammad Najar d’une balle dans la tête.

Amr était assis sur le siège du passager de la voiture de son père alors qu’ils traversaient le village de Burin, dans la région de Naplouse, un endroit entouré de colonies israéliennes illégales réservées aux juifs.

Le père d’Amr ne s’attendait pas à voir des soldats israéliens dans le village. Les soldats ont ouvert le feu sur la voiture à une distance d’environ 20 mètres. Deux balles ont percé le pare-brise, dont une qui a frappé Amr à la tête et l’a tué.

Samedi, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur deux garçons qui se trouvaient à proximité d’une école gérée par l’ONU, près de l’entrée du camp de réfugiés de Jalazoun, proche également de l’entrée de la colonie de Beit El, au nord de Ramallah.

Muhammad Khaled Zaid, 13 ans, a été touché à trois reprises dans le dos et dans la cuisse à une distance de 20 à 40 mètres.

Quand son ami, blessé lui aussi, est allé chercher de l’aide, les soldats ont emporté le corps de Muhammad.

Une heure plus tard, « ils ont replacé le corps sur le trottoir », près de l’entrée du camp, a fait savoir DCI-P.

L’expansion des colonies

Mercredi, les autorités israéliennes ont approuvé les offres pour des milliers de logements dans les colonies de Cisjordanie occupée.

« C’est la première fois depuis juin que le développement des unités de logement en Cisjordanie a connu une telle progression »,

a fait savoir Haaretz, le quotidien de Tel-Aviv.

C’était « une réponse » à une attaque menée par trois Palestiniens sur une autoroute près de la colonie de Maaleh Adumim qui s’était traduite par la mort d’un Israélien et par des blessures à plusieurs autres, dont un réserviste de l’armée qui venait de participer au génocide de Gaza.

Des soldats et des civils armés ont tiré sur les trois hommes, tuant deux d’entre eux et blessant le troisième.

Le chef du commandement central de l’armée israélienne a aussi accordé l’autorisation de transformer un avant-poste israélien – illégal même selon les lois israéliennes – en une colonie de grandes dimensions.

Si le plan est appliqué, l’avant-poste connu sous le nom de Mitzpeh Yehuda sera installé en tant que colonie officielle de Mishmar Yehuda. Ce serait une expansion de la méga-colonie israélienne de Maaleh Adumim, qui se verrait ainsi adjoindre 650 acres (260 hectares) de terres palestiniennes volées.

La décision a été consécutive à la même fusillade à proximité de Maaleh Adumim.

Bezalel Smotrich, le ministre israélien des finances, d’extrême droite, a réclamé une « réponse par peuplement » à l’agression.

Smotrich a invité Benjamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, et les autres responsables à

« approuver immédiatement les plans de milliers d’unités de logement à Maaleh Adumim et dans toute la région ».

Il a ajouté :

« Nos ennemis savent que le moindre tort qu’on nous fera se traduira par de nouvelles constructions encore et par un surcroît de développement et une hausse de notre mainmise sur le pays. »

Ce n’est pas atypique de l’expansion des colonies, des démolitions de maisons en guise de punition et autres formes de déplacement forcé, de revêtir la forme de « représailles » suite à des opérations palestiniennes supposées.

En 2023, les autorités israéliennes et les colons ont déplacé de force quelque 4 000 Palestiniens en Cisjordanie occupée, dont Jérusalem-Est. Ceci a constitué le « nombre le plus élevé jamais enregistré » de déplacements en une seule année depuis que l’organisation de contrôle de l’ONU, l’OCHA a commencé à rédiger des rapports, en 2009.

La grande majorité de ces Palestiniens ont été déplacés de force en raison de la violence des colons, de leurs actions de harcèlement ou encore à cause des restrictions d’accès.

Des restrictions appliquées à la prière

Les raids militaires et les expansions de colonies ne sont pas les seules provocations auxquelles les Palestiniens sont confrontés au cours des derniers jours qui précèdent le Ramadan.

On s’inquiète de plus en plus que ces provocations risquent de dégénérer en une éruption totale.

Malgré des appels de ministres israéliens pressant le Premier ministre Benjamin Netanyahou de durcir les restrictions d’accès des Palestiniens au site de la mosquée al-Aqsa au cours du mois sacré, Netanyahou a choisi jusqu’à présent de s’opposer au durcissement significatif des restrictions existantes.

Le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, avait proposé d’interdire aux citoyens palestiniens d’Israël d’aller prier à al-Aqsa durant tout le Ramadan.

Le Ramadan focalise également les esprits dans d’autres endroits.

« Il doit y avoir un cessez-le-feu en raison du Ramadan – si nous entrons dans des circonstances où ceci continue jusqu’au Ramadan, Israël et Jérusalem pourraient être très, très dangereux »,

a déclaré le président américain Joe Biden mardi.

Chaque année, les autorités israéliennes imposent une série de restrictions provocatrices à l’accès palestinien aux sites religieux de Jérusalem, non seulement pour les musulmans, mais aussi pour les chrétiens palestiniens.

La nature des raids militaires

Tous les ingrédients nécessaires pour provoquer une violente éruption en Cisjordanie occupée sont par conséquent en place, poussant même l’AP a sortir une mise en garde et à réclamer la protection internationale pour les Palestiniens dans le territoire.

Depuis le 7 octobre, la fréquence et l’intensité des raids militaires israéliens dans les villes, villages et camps de réfugiés de la Cisjordanie occupée se sont accrues, bien que ce niveau d’intensité soit déjà apparu l’été dernier quand une offensive de deux jours au camp de réfugiés de Jénine à tué une douzaine de Palestiniens, dont quatre enfants. Ce fut l’offensive la plus importante en Cisjordanie occupée depuis deux décennies.

Ce fut également la première fois qu’Israël organisait des bombardements aériens en Cisjordanie occupée depuis la Seconde Intifada.

Aujourd’hui, Israël mène des raids de plusieurs jours contre les villes et camps de réfugiés de Cisjordanie en les accompagnant régulièrement de bombardements aériens.

« Il y a en Cisjordanie une résistance constante qu’on qualifierait d’intifada à tout autre moment »,

a déclaré notre rédacteur contributeur Jon Elmer lors du livestream de The Electronic Intifada le mois dernier.

Les organisations de résistance palestiniennes sont apparues dans le nord de la Cisjordanie occupée ces quelques dernières années, en étant avant tout concentrées dans les camps de réfugiés des extérieurs de trois villes : Jénine, Naplouse et Tulkarem.

Depuis le 7 octobre, au moins 415 Palestiniens en Jordanie ont été tués et le nombre de blessés équivaut à 11 fois ce nombre.

La résistance dans ces villes et dans les principaux camps de réfugiés de ces gouvernorats a mûri à des degrés divers, ces quelques dernières années.

La Brigade de Jénine, une petite milice affiliée aux Brigades Quds, l’aile armée du Djihad islamique, a progressivement émergé dans le camp, ces récentes années.

L’armée israélienne a rencontré une forte résistance au cours de l’opération de juillet.

« C’est un pur mouvement de guérilla qui construit ses propres armes pour combattre pour son propre camp de réfugiés »,

a déclaré Elmer lors du podcast de The Electronic Intifada le mois qui a suivi l’opération.

Les organisations de résistance ont même commencé à confectionner des explosifs artisanaux et à les planter au bord des routes afin de faire sauter les véhicules blindés israéliens en pleine opération d’invasion.

Ceci a également permis aux combattants de la résistance de se déplacer avec moins de restrictions à l’intérieur de leurs camps de réfugiés.

« Dans des villes comme Jénine, les combattants de la résistance ont typiquement un refuge sûr à l’intérieur des limites de la ville ou à l’intérieur du camp de réfugiés de la ville – un noyau de lutte armée »,

écrit Shatha Hanaysheh dans Mondoweiss.

Ceci ne s’applique pas à d’autres organisations de résistance émergeant dans d’autres villes et villages cisjordaniens « plus calmes » dans lesquels Israël a mené des raids plus fréquents, explique Shatha Hanaysheh.

Ceci peut également expliquer pourquoi les raids militaires s’étendent à d’autres zones de la Cisjordanie, puisque, dans la sillage du 7 octobre, « un mouvement croissant de résistance décentralisée » se répand dans d’autres villes et villages.

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Publié le 7 mars 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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