Israël torture des travailleurs de l’UNRWA

Israël maltraite des employés de l’UNRWA détenus à Gaza afin de leur arracher de force des confessions incriminant l’agence. Nombre de détenus ont expliqué qu’ils avaient subi des actes de torture.

 

Photo : 10 février 2024. Des infrastructures de l'UNWRA gravement endommagées à Gaza.

10 février 2024. Des infrastructures de l’UNWRA gravement endommagées à Gaza. (Photo : Omar Ishaq / DPA)


Maureen Clare Murphy
, 19 avril 2024

Les aveux forcés sont sans doute utilisés par Israël dans une tentative en vue d’incriminer l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Israël cherche à éliminer l’UNRWA via des calomnies et des allégations sans fondement ayant pour but de faire cesser tout financement volontaire de l’agence.

Mercredi, Philippe Lazzarini, le responsable de l’agence en difficulté, a expliqué devant le Conseil de sécurité de l’ONU qu’Israël continuait à bloquer la livraison d’aide vitale dans le cadre de sa « campagne insidieuse » vivant à expulser l’UNRWA de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Plus d’une douzaine de pays, dont les principaux donateurs que sont les EU et l’Allemagne, ont gelé le financement ou suspendu la poursuite du soutien à l’UNRWA après qu’Israël a prétendu que 12 des employés de l’agence étaient impliqués dans les attaques du 7 octobre dirigées par le Hamas.

Ces allégations ont été rendues publiques par l’agence le 26 janvier – le jour même où le Tribunal international de l’ONU décrétait qu’il y avait un risque plausible de génocide à Gaza.

Israël n’a pas présenté devant l’ONU la moindre preuve étayant ses allégations. Malgré cela, l’UNRWA a licencié les employés en question, le secrétaire général de l’ONU a ordonné une enquête et on s’attend à ce qu’un examen indépendant portant sur le respect de la neutralité par l’agence présente publiquement ses conclusions au cours des jours à venir.

Lors de la réunion du Conseil de sécurité de ce mercredi, Gilad Erdan, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, a accusé l’UNRWA d’avoir

« créé une mer de réfugiés palestiniens, dont des millions ont été endoctrinés afin de croire qu’Israël leur appartient ».

UNRWA fournit des services de type gouvernemental aux 5,9 millions de réfugiés enregistrés en Palestine, à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. L’agence a été mandatée par l’Assemblée générale de l’ONU pour servir les centaines de milliers de Palestiniens qui ont été déplacés de leur patrie lors du nettoyage ethnique de 1948 et « à la suite des hostilités de 1967 et d’après », ainsi que leurs descendants.

Le droit au retour des réfugiés palestiniens est inscrit dans la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU. Israël a refusé aux Palestiniens qu’ils exercent ce droit parce que le faire « altérerait le caractère démographique d’Israël au point de l’éliminer en tant qu’État juif », a déclaré dans un rapport de 2017 la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie de l’Ouest.

Le droit au retour

Plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU ont dit en juin 2023, à l’occasion de la Journée mondiale du Réfugié, que,

« depuis 1948, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont constamment invité Israël à faciliter le retour des réfugiés palestiniens et à leur verser des réparations ».

Les rapporteurs spéciaux ont affirmé que

« le droit au retour constitue un pilier fondamental du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ».

Environ deux tiers de la population de Gaza (2,3 millions de Palestiniens) sont des réfugiés. Chaque Palestinien du territoire, ou presque, a été déplacé de chez lui ces six derniers mois et Israël a abattu des personnes qui tentaient de retourner dans les zones d’où elles avaient été déplacées.

Une majorité de la population de Gaza est aujourd’hui concentrée à Rafah, le long de la frontière avec l’Égypte, ce qui suscite des craintes d’expulsion massive du territoire.

Au moins 178 employés de l’UNRWA font partie des 34 000 Palestiniens tués à Gaza depuis le 7 octobre.

Israël a interdit à l’UNRWA de livrer de l’aide dans la partie nord de Gaza, bien que des enfants y meurent de faim et de déshydratation. Ce refus constitue une violation des ordres consécutifs de la Cour internationale de justice enjoignant à Israël d’autoriser l’afflux sans entrave de l’aide.

Lazzarini a déclaré devant le Conseil de sécurité :

« Nous demandons une enquête indépendante et une responsabilisation pour le mépris flagrant envers le statut de protection par les lois internationales des travailleurs, des opérations et des infrastructures humanitaires ».

Des confessions forcées

Les membres du personnel de l’UNRWA libérés de leur détention en Israël ont expliqué à leur employeur qu’outre des mauvais traitements pouvant équivaloir à de la torture, ils avaient été « soumis à des menaces et à la coercition », ainsi qu’à des pressions lors d’interrogatoires qui visaient à incriminer l’agence.

Ces « confessions forcées obtenues contre l’agence [reconnaissaient entre autres que] l’agence avait des accointances avec le Hamas et que des membres du personnel de l’UNRWA avaient participé aux attaques du 7 octobre contre Israël ».

Selon l’UNRWA, certains membres du personnel ont été

« arrêtés lorsqu’ils accomplissaient leur travail officiel pour l’ONU, entre autres alors qu’ils travaillaient dans les installations de l’UNRWA et, dans un cas, dans le cadre d’un mouvement humanitaire coordonné ».

Ces membres arrêtés du personnel de l’UNRWA ont été soumis à toute une série de mauvais traitements, disent-ils, tels passages à tabac, entre autres par des médecins, attaques par des chiens et menaces de viol et d’électrocution. L’agence a déclaré que ses employés avaient subi des traitements tel le supplice de la baignoire ou qu’on avait pointé des armes sur eux.

Le personnel de l’UNRWA a également subi

« des violences verbales et psychologiques, des menaces de mort, des insultes ou menaces de s’en prendre aux membres de leurs familles ; des traitements humiliants et dégradants ; on les a forcés de se dévêtir complètement et on les a photographiés alors qu’ils étaient dévêtus ; on les a également forcés à des positions de contrainte ».


« Peut-être même des milliers »
de personnes arrêtées à Gaza

L’agence a collecté des informations auprès de centaines de Palestiniens – hommes, femmes et enfants – qui ont été arrêtés à Gaza depuis le début de l’opération terrestre d’Israël, fin octobre l’an dernier.

Des Palestiniens de Gaza ont été arrêtés par les forces israéliennes alors qu’ils s’étaient réfugiés dès la mi-novembre dans les bâtiments de l’UNRWA, sous la protection du drapeau de l’ONU. D’autres ont également été arrêtés alors qu’ils tentaient de fuir vers le sud, ou qu’ils travaillaient dans des hôpitaux ou qu’ils se trouvaient chez eux, c’est-à-dire logiquement protégés par l’inviolabilité de leur domicile.

Partout, « ce sont peut-être bien des milliers de Palestiniens, hommes et garçons, ainsi qu’un certain nombre de femmes et de filles », qui ont été arrêtés à Gaza, a déclaré vers la mi-décembre l’agence des droits humains de l’ONU.

L’UNRWA explique que, le 4 avril, elle a noté la libération de plus de 1 500 prisonniers de Gaza via le passage de Kerem Shalom entre Gaza et Israël. Parmi eux se trouvaient 43 enfants et 84 femmes.

Les prisonniers ont expliqué qu’ils avaient été emmenés en camion vers différents centres de détention en Israël et

« détenus au secret durant leurs périodes d’interrogatoire, et ce, parfois durant plusieurs semaines »,

selon l’UNRWA.

Le transfert et la détention des prisonniers en dehors du territoire occupé sont des crimes de guerre qui violent la Quatrième Convention de Genève et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Les autorités israéliennes ont soumis des Palestiniens – « hommes, femmes, enfants, personnes âgées, personnes handicapées », selon l’UNRWA – à toutes sortes de mauvais traitements tout au long de leur détention.

Le personnel de l’UNRWA a fait remarquer

« des signes de traumatisme et de mauvais traitements »,

dont des blessures par morsure de chien, chez nombre de détenus libérés à leur arrivée au checkpoint de Kerem Shalom, à la frontière entre Gaza et Israël. Beaucoup ont ensuite été transférés vers des hôpitaux en raison de leurs blessures ou de leur maladie.

Les détenus libérés ont dit qu’ils avaient été forcés de rester à genoux pendant de nombreuses heures d’affilée, tout en ayant les yeux bandés et les mains liées.

Ils ont décrit leurs mauvais traitements, parmi lesquels

« des volées de coups, des menaces de préjudice physique, des insultes et des humiliations, telle l’obligation d’agir comme des animaux ou se faire pisser dessus, le recours à de la musique à haut volume et au bruit ».

Les détenus étaient également privés de nourriture, d’eau, de sommeil et de toilettes et on les empêchait de prier.

Les menottes étroitement serrées provoquaient

« des plaies ouvertes et des blessures par frottement »,

selon l’UNRWA, et, dans le même temps, des détenus avaient des côtes brisées et des épaules démises d’avoir été battus à coups de barre métallique, de crosse de fusil ou de bottes.

Violence sexuelle et menaces

Des hommes et des garçons qui s’étaient réfugiés dans un bâtiment de l’UNRWA ont été forcés de se déshabiller et de rester nus durant leur détention. Des hommes et des femmes ont été soumis à des violences sexuelles et à du harcèlement, ou à des menaces, et ont été forcés de se dévêtir devant des soldats qui

« les photographiaient et les filmaient dans leur nudité ».

Un homme de 41 ans qui a été arrêté a déclaré à l’UNRWA que les prisonniers étaient soumis à des secousses électriques dans leur anus, ce qui avait provoqué un malaise chez un homme qui était détenu avec lui. L’homme était mort peu après.

Une femme emprisonnée a déclaré qu’une agente des renseignements israéliens lui avait montré son quartier sur un écran d’ordinateur et qu’il lui avait demandé des renseignements sur des personnes qui y habitaient.

« L’agente a dit que si je ne lui donnais pas toutes ces informations, ils allaient bombarder ma maison et tuer toute ma famille »,

avait dit la femme à l’UNRWA.

La Société des prisonniers palestiniens affirme qu’Israël

« refuse de livrer des informations sur le nombre de personnes de Gaza qu’il a arrêtées ces six derniers mois, ainsi que sur les endroits où elles sont détenues »,

a rapporté Reuters.

Al Mezan, une organisation palestinienne des droits humains installée à Gaza, dit que les forces israéliennes ont arrêté au moins 3 000 personnes dans le territoire, et qu’elles ont

« été soumises à diverses formes de cruauté, de torture, de traitements inhumains et dégradants dès qu’elles ont été arrêtées ».

Leur arrestation et leur interrogatoire

« ont lieu sans le moindre contrôle judiciaire ni la moindre protection juridique, dans un mépris flagrant des lois internationales humanitaires et des lois internationales des droits humains »,

ajoute Al Mezan.

Quelque 1 650 Palestiniens de Gaza ont été emprisonnés en vertu de sa Loi sur les combattants illégaux. Ils ont été placés en isolement total et on leur a refusé le droit à un avocat ou à la moindre représentation juridique.

« Les prisonniers détenus sous cette loi ne se voient pas accorder le statut de prisonniers de guerre selon la Troisième Convention de Genève et on ne leur accorde pas non plus les protections dont bénéficient les détenus civils dans le cadre de la Quatrième Convention de Genève »,

fait savoir Al Mezan.

Privation de nourriture et torture

Un avocat travaillant avec les organisations des droits humains a visité récemment les prisons d’Ashkelon et d’Ofer, où quelque 300 Palestiniens de Gaza ne tombant pas sous la Loi sur les combattants illégaux sont détenus pendant que l’enquête les concernant suit son cours.

L’avocat d’Al Mezan a rencontré une quarantaine de détenus, qui lui ont transmis

« des comptes rendus poignants où il était question de torture et de traitements inhumains », y compris la privation de sommeil et la privation de nourriture « comme forme de torture et de punition collective ».

Un jeune de 19 ans a expliqué à l’organisation de défense des droits que trois de ses ongles avaient été arrachés en cours d’interrogatoire, qu’un chien avait été lâché sur lui et qu’il avait été placé dans une position de contrainte pendant des périodes prolongées au cours de trois journées d’interrogatoire.

L’avocat d’Al Mezan

« a rapporté que tous les détenus souffrent d’émaciation aiguë, de fatigue et de courbatures dorsales dues au fait de devoir courber le dos et la tête pendant qu’ils marchent ».

Nombre d’entre eux sont incapables de

« se rappeler les noms des personnes présentes dans la pièce »,

et ce, à cause des violences physiques et psychologiques, a déclaré l’organisation de défense des droits.

Selon l’avocat d’Al Mezan,

« depuis plus de vingt ans qu’il travaille avec des détenus, il n’a jamais rencontré des conditions aussi effroyables que celles observées à la prison d’Ofer ».

Al Mezan a déclaré que les graves préjudices occasionnés aux Palestiniens de Gaza durant leur détention en Israël les situent « dans le cadre juridique du crime de génocide ».

Al Mezan a ajouté que le recours par Israël à « la torture systématique et généralisée » constitue chaque fois un crime contre l’humanité et l’organisation a invité le procureur principal de la Cour pénale internationale de sortir des mandats d’arrêt.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 19 avril 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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