L’aide s’est raréfiée depuis qu’Israël a pris le contrôle de la frontière sud de Gaza
Des dizaines de civils ont été tués à Rafah, dans le sud de Gaza, et ailleurs dans l’enclave côtière, depuis vendredi 24 mai, quand la Cour internationale de Justice (CIJ) a ordonné à Israël de mettre fin immédiatement à son offensive contre Rafah.
Maureen Clare Murphy, 30 mai 2024
Au lieu d’obéir à cet ordre, Israël
« intensifie son incursion sur le terrain, accélérant le rythme de ses bombardements aériens et de ses tirs d’artillerie et élargissant son cercle de mort et de ciblage des civils »,
a déclaré mardi le Réseau Euro-Med de contrôle des droits humains (Euro-Med).
Jeudi, très tôt le matin, plus de 12 Palestiniens ont été tués dans une frappe aérienne israélienne à Rafah, au moment où, a-t-on dit, ils tentaient de récupérer le corps d’un civil.
Israël s’est emparé du contrôle du corridor le long de la frontière sud de Gaza avec l’Égypte, a déclaré l’armée mercredi, au moment où la situation humanitaire dans le territoire empirait suite à la fermeture en cours du passage de Rafah.
Désormais, Israël exerce « une autorité bien réelle sur la totalité de la frontière du territoire palestinien », a rapporté Reuters.
Le 6 mai, Israël s’est assuré le contrôle du passage de Rafah désormais fermé entre Gaza et l’Égypte, empêchant ainsi les évacuations médicales depuis le territoire et limitant considérablement le transfert de l’aide humanitaire.
Reuters a rapporté jeudi que l’armée israélienne avait
« levé une interdiction sur la vente de nourriture à Gaza depuis Israël et la Cisjordanie occupée »,
citant des hauts fonctionnaires et hommes d’affaires palestiniens ainsi que des travailleurs humanitaires internationaux.
« Depuis des mois, les travailleurs humanitaires pressent Israël de permettre à davantage de livraisons commerciales d’entrer à Gaza, de sorte que des aliments frais puissent compléter l’aide internationale, constituée principalement de denrées non périssables tels farine et aliments en conserve »,
a déclaré Reuters.
Mais l’entrée de livraisons via Kerem Shalom, le passage commercial de Gaza, a été très irrégulière et Israël n’autorise l’entrée que de 20 à 150 camions par jour seulement, selon les fonctionnaires palestiniens – on est donc très loin des 600 camions par jour qui, d’après le département d’État américain, sont nécessaires pour éviter la famine.
Reuters a expliqué que la nourriture amenée à Gaza par des marchands est distribuée de façon inégale et vendue à des prix hors de portée pour la plupart des gens dans le territoire, qui ont été déplacés à de multiples reprises et sont à court d’argent après quasiment huit mois d’une guerre qui a mis l’économie au point mort.
Des travailleurs humanitaires ont dit à Reuters que les acheminements commerciaux de nourriture, portant des étiquettes en hébreu,
« ne remplacent que peu l’aide internationale qui a déjà été payée par les organisations et pays donateurs ».
Fuir Rafah
Vendredi 24 mai, la Cour internationale de Justice a ordonné à Israël de rouvrir le passage et de mettre un terme à son offensive à Rafah,
« laquelle pourrait infliger au groupe des Palestiniens de Gaza des conditions de vie susceptibles de provoquer sa destruction physique en tout ou en partie ».
La majeure partie des 2,3 millions d’habitants de Gaza avaient cherché refuge à Rafah après avoir été transférés de force depuis d’autres régions du territoire.
Plus d’un million de personnes avaient fui la zone ces quelques dernières semaines, selon l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine.
Jusqu’au moment où a débuté l’offensive terrestre d’Israël dans la zone, il y a quelques semaines, Rafah servait depuis les quelques derniers mois de hub pour les opérations humanitaires à Gaza.
Le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a fait savoir mercredi que le flux d’aide humanitaire entrant à Gaza,
« déjà insuffisant pour couvrir les besoins qui montent en flèche, avait dégringolé de 67 pour 100 depuis le 7 mai ».
Une jetée flottante construite par l’armée américaine au large de la côte de Gaza au prix de 320 millions de dollars a été temporairement démontée après qu’une partie en a été rompue suite à d’exécrables conditions météorologiques et ce, une semaine seulement après avoir été mise en service.
Les installations humanitaires à Rafah ont été forcée de fermer « l’une après l’autre », a ajouté l’ONU, et un seul hôpital est resté partiellement fonctionnel dans la zone.
Les hôpitaux et les établissements de santé dans d’autres zones à Gaza ne se portent guère mieux. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a mis en garde contre le fait que les quelques hôpitaux toujours en mesure de fournir des soins tombaient très rapidement à court de fournitures vitales.
« Quelque 60 camions de l’OMS se trouvent à El Arish [en Égypte], prêts à entrer à Gaza »,
a déclaré Rik Peeperkorn, le représentant en Palestine de l’organisation de la santé de l’ONU.
« Le passage de Rafah doit être ouvert, pas uniquement pour les fournitures médicales, mais pour toutes les autres fournitures humanitaires »,
a-t-il ajouté.
Des réserves d’aide ont été incendiées par les frappes aériennes israéliennes, rapportait Reuters mercredi.
La Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP) a déclaré qu’elle avait été forcée d’évacuer ses équipes médicales d’un hôpital de campagne à al-Mawasi, dans l’ouest de Rafah, en raison des bombardements répétés sur ce qu’Israël avait qualifié de « zone humanitaire ».
L’organisation humanitaire a ajouté que deux membres de son personnel avaient été tués quand l’ambulance à bord de laquelle ils se trouvaient avait été touchée au cours d’une mission de sauvetage à Rafah.
Une prise de vue montre des travailleurs de la SCRP récupérant les restes carbonisés de leurs collègues dans l’ambulance détruite.
L’ONG américaine Save the Children a fait savoir mercredi que 66 Palestiniens avaient été tués et des centaines d’autres blessés « au cours de quatre journées meurtrières » à Rafah.
Mardi, 21 Palestiniens, dont plus d’une moitié de femmes, ont été tués, dit-on, lors d’une attaque israélienne à al-Mawasi.
Dimanche 26 mai, au moins 46 Palestiniens ont perdu la vie dans une frappe aérienne israélienne contre un camp de personnes déplacées dans la zone de Tal al-Sultan à Rafah, où l’UNRWA a actuellement son quartier général et ses entrepôts.
Plus de 50 experts indépendants des droits humains de l’ONU ont condamné le massacre de Tal al-Sultan et exigé des comptes, y compris des sanctions immédiates.
« L’afflux d’armes vers Israël doit cesser séance tenante »,
ont-ils dit.
Des munitions américaines utilisées dans le massacre de Rafah
Des analyses visuelles séparées entreprises par le New York Times et CNN ont chaque fois conclu que des armes américaines avaient été utilisées par Israël lors de l’attaque contre Tal al-Sultan.
Des images horribles de l’après-carnage montrant des survivants en train de hurler et retirant des corps carbonisés du feu ainsi qu’un enfant décapité, ont attisé la condamnation à l’échelle mondiale, y compris de la part de hauts responsables de l’ONU.
« Des débris de munitions filmés le lendemain à l’endroit de la frappe n’étaient ni plus ni moins que des restes d’une GBU-39, une bombe conçue et manufacturée aux États-Unis »,
a rapporté le New York Times.
L’administration Biden a encouragé Israël à utiliser ces types de bombes plus précises plutôt que les bombes anti-bunker de 2 000 livres qui ont causé des destructions intensives à Gaza. Biden a annoncé plus tôt ce mois-ci que Washington avait suspendu la livraison à Israël de ces munitions plus lourdes.
Une prise de vue des fragments de la bombe montre un numéro de série permettant de remonter jusqu’à Woodward, un fabricant du Colorado qui fournit des pièces et autres éléments à l’armée américaine, rapporte le New York Times.
CNN a expliqué qu’il avait examiné la vidéo qu’il avait localisée sur le lieu du massacre et qu’elle montrait des restes d’une GBU-39 manufacturée par Boeing, et que ces restes portaient des numéros de série renvoyant à un fabricant californien.
Israël prétend qu’il a visé deux commandants du Hamas, dans sa frappe de dimanche, et que son armée a suggéré que le feu qui avait ravagé le camp pouvait avoir été provoqué par une explosion secondaire.
Deux anciens officiers supérieurs de l’armée américaine ont expliqué au New York Times qu’il était à prévoir que le recours à des armes précises dans des zones densément peuplées comme le camp de Rafah se traduise par des pertes civiles.
Le porte-parole à la Maison-Blanche de la sécurité nationale, John Kirby, qui a défendu par réflexe les actions d’Israël tout au long des huit mois ou presque de carnage à Gaza, a déclaré que le recours à des armes plus petites tel qu’il a été rapporté était
« certainement indicatif d’un effort en vue d’être discret et d’agir de façon ciblée et précise ».
Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, s’est montré légèrement moins conciliant en qualifiant l’attaque de dimanche d’« horrible » et il a déclaré qu’il attendait les résultats d’une enquête israélienne autour de l’incident.
La semaine dernière, en annonçant qu’il avait demandé des mandats d’arrêts pour deux hauts responsables israéliens et trois dirigeants du Hamas, Karim Khan, le procureur principal de la Cour pénale internationale (CPI) a fait allusion aux mécanismes d’auto-enquête d’Israël en les qualifiant de « mascarade » afin d’échapper à toute responsabilisation.
L’utilisation d’armes américaines dans des crimes de guerre manifestes tel le massacre de dimanche à Rafah implique de hauts responsables à Washington, lesquels ont fourni non seulement des armes, mais aussi une couverture diplomatique prolongeant la campagne d’Israël à Gaza qui a tué plus de 36 000 Palestiniens depuis le 7 octobre.
Le décompte actuel des victimes est vraisemblablement bien plus élevé, avec les milliers de personnes portées manquantes sous les décombres. Un nombre inconnu de Palestiniens sont morts au cours d’une vague parallèle de mortalité quand Israël a détruit les installations d’eau et d’assainissement partout dans le territoire, provoquant ainsi des maladies dans le même temps qu’il orchestrait une famine et qu’il détruisait le système des soins de santé.
Biden dit qu’il n’y aura pas de changement de politique
Après avoir dit pendant des mois qu’une opération majeure à Rafah constituait une ligne rouge, l’administration Biden a déclaré qu’il n’y aurait pas de changement dans la politique envers Israël, même après le massacre de dimanche et alors que les chars progressaient à l’intérieur de la zone.
« Combien de corps carbonisés supplémentaires devrons-nous voir avant que le président n’envisage un changement de politique ? »,
a demandé à Kirby Ed O’Keefe, un important correspondant de CBS, lors d’un briefing de presse qui s’est tenu mardi.
« Je suis un peu offensé par cette question »,
a répondu Kirby.
« Zéro victime civile, tel est le nombre exact de victimes civiles ! »
Mercredi, au cours d’une conférence de presse, Blinken a fait état de sa frustration à propos de ce qu’il avait décrit comme l’absence, en Israël, d’un plan d’après-guerre à Gaza. Le secrétaire d’État a expliqué qu’
« en l’absence d’un tel plan pour le lendemain, il n’y aura pas de lendemain », ce qui laissera le Hamas « aux commandes ».
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou n’a pas du tout l’air de se presser pour mettre un terme aux combats à Gaza. Tzachi Hanegbi, son conseiller en sécurité nationale, a déclaré à la radio publique, mercredi, qu’il fallait s’attendre à ce que la guerre dure au moins jusqu’à la fin de l’année, voire plus longtemps encore.
Le Hamas dit qu’il ne libérera pas un seul des captifs qu’il détient à Gaza sans la fin de la guerre et le retrait de l’armée israélienne du territoire.
Trois soldats israéliens ont été tués et trois grièvement blessés par un engin explosif placé dans un bâtiment piégé à Rafah, a admis l’armée mercredi.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 30 mai 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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