Israël s’empare du passage de Rafah

Lundi, la joie suscitée à Gaza par l’annonce que le Hamas avait accepté une proposition de trêve n’a pas tardé à faire place à la crainte et à la confusion, lorsque l’armée israélienne a commencé à occuper la partie orientale de Rafah, dans le sud de l’enclave côtière dévastée.

 

7 mai 2024. Des Palestiniens examinent des maisons détruites par des attaques israéliennes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

7 mai 2024. Des Palestiniens examinent des maisons détruites par des attaques israéliennes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : Rizek Abdeljawad / Xinhua)


Maureen Clare Murphy
, 7 mai 2024

Un bébé de quatre mois, Muhammad Saqallah, faisait partie des trois enfants tués au moment où, mardi après-midi, Israël a bombardé une maison appartenant à la famille Qeshta à Rafah, a annoncé WAFA, l’agence de presse officielle palestinienne.

Au moins 21 Palestiniens, la plupart à Rafah, ont été tués par les bombardements israéliens mardi, rapporte WAFA.

Les Palestiniens de Gaza, où la faim et la soif se généralisent après sept mois de génocide, ont été empêchés de recevoir de l’aide après que, dans la nuit de lundi, les forces d’occupation israéliennes se sont emparées du passage de Rafah, à la frontière avec l’Égypte.

Le quotidien de Tel-Aviv, Haaretz, rapportait :

« Israël s’est engagé auprès des États-Unis et de l’Égypte à restreindre son opération à Rafah (…) en ne cherchant qu’à empêcher le Hamas d’exercer son autorité sur le passage frontalier reliant Gaza à l’Égypte. »

Le journal ajoutait :

« Les parties se sont mises d’accord pour qu’une société de sécurité américaine se charge de la gestion du passage après que l’armée israélienne aura terminé son opération. »

Mardi, lors d’une conférence de presse, un haut responsable du Hamas, Osama Hamdan, a déclaré que le passage de Rafah était et resterait un passage égypto-palestinien et il a rejeté la présence de toute force d’occupation.

La fermeture des passages va exacerber une crise humanitaire déjà catastrophique dans la bande de Gaza, où les organisations humanitaires et les experts des droits humains disent qu’Israël utilise la nourriture comme une arme de guerre.

Cindy McCain, la responsable du Programme alimentaire mondial, a déclaré dans une interview pour une émission de TV américaine diffusée dimanche qu’il y avait « une famine totale » dans le nord de Gaza, « et qu’elle fai[sai]t son chemin vers le sud ».

La fermeture de Rafah a empêché des personnes malades et blessées de quitter Gaza pour des traitements médicaux et a bloqué l’importation de médicaments.

Évacuation de l’hôpital al-Najjar de Rafah

Entre-temps, mardi, les patients et les travailleurs médicaux ont commencé à déserter l’hôpital al-Najjar de Rafah après qu’Israël avait ordonné l’évacuation de la zone la veille.

L’hôpital est actuellement le seul à Gaza où fonctionne un département de dialyse pour patients souffrant d’une maladie rénale, et sa fermeture va immédiatement mettre en danger la vie de 200 personnes au moins, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

 

Lundi, après que quatre soldats israéliens ont été tués la veille par une attaque à la roquette dans les environs, Israël a fermé le passage de Kerem Shalom, le principal passage commercial vers Gaza.

Des responsables de l’ONU ont déclaré que les livraisons via le passage d’Erez, dans le nord de Gaza, qui avait été ouvert ces derniers jours pour des fournitures limitées, étaient insuffisantes pour couvrir les besoins des Palestiniens concentrés à Rafah.

Les agences humanitaires disposaient d’« aide stockée d’avance à Rafah même, mais il y avait très peu de quantités d’eau et de denrées nutritives très énergétiques nécessaires pour traiter les enfants mal nourris », a rapporté Reuters.

Le Programme alimentaire mondial a déclaré que ses stocks à Gaza n’allaient couvrir les besoins des gens que de un à quatre jours, à Rafah, Khan Younis et Deir al-Balah.

L’ONU a dit que Gaza n’avait que pour une seule journée de réserve de carburant à Gaza même et que, sans carburant, l’opération d’aide dans le territoire allait être « menée à sa tombe ».

Les responsables des trois principales organisations palestiniennes des droits humains Al- Haq, Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) – ont appelé les tiers États à intervenir d’urgence pour faire cesser un massacre « de l’ampleur de celui de Srebrenica ».

Des milliers d’hommes et de garçons avaient été tués dans cette ville lorsque les forces serbes de Bosnie avaient envahi une zone sûre de l’ONU en 1995. Un tribunal international avait déclaré que ce massacre était un génocide.

Les organisations palestiniennes de défense des droits citent des rapports qui disent qu’Israël prévoit tout un réseau de check-points en vue de séparer les hommes « en âge d’être sous les drapeaux » de leurs familles et de les empêcher de fuir Rafah.

Depuis les sept derniers mois, Israël a oblitéré la distinction entre civils et combattants, en assimilant les hommes à un « statut de combattants actifs par défaut », comme l’a fait remarquer Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et la bande de Gaza.

Le décompte israélien des « terroristes » tués à Gaza suggère qu’Israël considère peut-être bien tous les adolescents comme des combattants aussi.

Près de 35 000 personnes ont été tuées à Gaza depuis le 7 octobre – dont deux tiers de femmes et d’enfants. On estime que le nombre réel de morts est bien plus élevé, du fait que des milliers de corps ne peuvent être extraits des décombres.

Mais le pire serait encore à venir, ont mis en garde les responsables des organisations palestiniennes.

 

« Plus aucun endroit n’est sûr »

Lundi, Israël a ordonné l’évacuation de plusieurs quartiers de la partie orientale de Rafah vers ce qu’il qualifie de « zone humanitaire », dans la cité côtière d‘al-Mawasi, qui est déjà surpeuplée de personnes déplacées dénuées de tout accès à des services élémentaires.

L’OCHA a déclaré que plus de 75 pour 100 de Gaza avait été placé sous des ordres d’évacuation, depuis octobre.

Plus d’un million de Palestiniens ont fui vers Rafah après avoir été déplacés à plusieurs reprises d’autres zones. Certaines de ces zones, y compris les quartiers qu’Israël a ordonné d’évacuer ce lundi, avaient été précédemment déclarées « zones sûres » par l’armée.

Israël a bombardé toutes les zones de Gaza sans se soucier de ce que son armée les ait déclarées « zones sûres » ou pas. Al-Mawasi a été « soumis à maintes reprises à des frappes aériennes, y compris la semaine dernière », ont déclaré les trois organisations palestiniennes des droits humains.

« Les gens n’ont nulle part où aller, puisqu’il n’y a plus un seul endroit de sûr, dans toute la bande de Gaza », ont ajouté les organisations.

 

Moins de quinze heures après avoir largué des tracts avec des ordres d’évacuation ne laissant pas le temps aux familles de s’en aller, les avions de combat israéliens ont bombardé intensément Rafah. Mardi, Israël a invité les organisations internationales à quitter les zones où l’armée opère.

L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a déclaré qu’elle ne quitterait pas ces zones et que la question était de savoir si l’agence allait être en mesure de continuer de fournir de l’aide, au cas où les passages de Rafah et de Kerem Shalom devaient rester fermés.

 

Jens Laerke, un porte-parole de l’OCHA, a déclaré que « les centaines de milliers de personnes qui se trouvent là courraient un risque imminent de mort s’il devait y avoir un assaut » contre Rafah.

 

Une opération militaire de premier plan pourrait non seulement résulter en un « massacre de civils », mais porterait également « un coup incroyable à l’opération humanitaire » dans la totalité de Gaza, puisque Rafah sert de hub pour l’aide entrant dans le territoire.

« Leur souffrance doit cesser »

Mardi, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a demandé la réouverture immédiate des passages de Rafah et de Kerem Shalom, en faisant remarquer que les réserves en carburant seront épuisées d’ici quelques heures à peine.

« Les lois internationales humanitaires sont sans équivoque : les civils doivent être protégés – qu’ils quittent Rafah ou qu’ils restent dans la ville »,

a déclaré Guterres.

« Un assaut contre Rafah serait une erreur stratégique, une calamité politique et un cauchemar humanitaire »,

a-t-il ajouté, appelant

« ceux qui ont quelque influence sur Israël de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour contribuer à éviter une tragédie plus grande encore. »

Les directeurs des trois organisations palestiniennes des droits humains ont mis en garde contre

« un effondrement extrême de l’infrastructure d’aide humanitaire déjà très précaire ».

« De plus, les efforts indispensables et salvateurs des agences humanitaires, déjà soumises à un assaut incessant de la part d’Israël, devront affronter des défis plus grands encore »,

ont ajouté les organisations.

Les organisations palestiniennes ont réclamé

« un embargo sur les armes dans les deux sens, des sanctions économiques, y compris le gel des avoirs de tous les hauts responsables du gouvernement et de l’armée d’Israël, ainsi que des interdictions de voyager et des désinvestissements de toutes les activités israéliennes »

en Cisjordanie et à Gaza.

Les organisations ont aussi insisté auprès des États pour qu’ils soutiennent les efforts de responsabilisation à la Cour internationale de justice et à la Cour pénale internationale.

« Après sept mois de génocide en direct, les Palestiniens de Gaza en ont vu assez et leur souffrance doit cesser »,

ont-elle dit.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 7 mai 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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