Un bombardement israélien tue des dizaines de personnes réfugiées dans une école de l’ONU

Au moins 36 500 Palestiniens ont été tués à Gaza ces huit derniers mois au cours de ce qu’une mise en garde de la Cour internationale de l’ONU a qualifié de génocide plausible.

 

Des Palestiniens observent les conséquences d'une attaque israélienne contre une école de l'ONU accueillant des personnes déplacées dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, le 6 juin.

Des Palestiniens observent les conséquences d’une attaque israélienne contre une école de l’ONU accueillant des personnes déplacées dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, le 6 juin. (Omar Ashtawy/ APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 7 juin 2024

Jeudi matin, dans le centre de Gaza, Israël a bombardé une école des Nations unies où des Palestiniens déplacés avaient cherché refuge. Au moins 33 personnes ont été tuées, dont 12 femmes et enfants, selon le ministère de la santé du territoire.

Au moins 36 500 Palestiniens ont été tués à Gaza ces huit derniers mois au cours de ce qu’une mise en garde de la Cour internationale de l’ONU a qualifié de génocide plausible.

Trois éminentes organisations palestiniennes des droits humains ont déclaré qu’au moins quatre missiles avaient frappé le bâtiment sud de l’école dans le camp de réfugiés de Nuseirat.

Les armes tirées par Israël ont

« percé directement le toit des deuxième et troisième étages, provoquant des dégâts dans plusieurs classes ainsi que la destruction quasi totale de l’immeuble de trois étages »,

et leurs réservoirs d’eau.

 

Au moins quatre missiles avaient frappé le bâtiment sud de l'école de l'ONU dans le camp de réfugiés de Nuseirat

 

 

« Choqué »

Près de 6 000 personnes déplacées s’abritent dans l’école qui a été bombardée, selon le bureau des droits humains de l’ONU, qui a déclaré qu’il avait été « choqué » par les rapports concernant l’attaque.

Josep Borrell, le responsable de la politique étrangère de l’UE, a déclaré que cette attaque devait « faire l’objet d’une enquête indépendante », conformément à la dernière série de mesures provisoires décrétées par la Cour internationale de Justice. Borrell a également insisté en faveur de la proposition de cessez-le-feu en trois phases émise par Washington.

Tant le Washington Post que CNN ont rapporté que des armes fournies par les EU avaient été utilisées lors de l’attaque meurtrière, dont les survivants ont affirmé qu’elle avait eu lieu sans le moindre avertissement.

« CNN a identifié des fragments d’au moins deux bombes GBU-39 de fabrication américaine et de diamètre restreint (SDB), dans une vidéo prise sur les lieux mêmes par un journaliste travaillant pour CNN »,

a déclaré le réseau.

Le Washington Post a analysé les prises de vue vérifiées enregistrées par un témoin oculaire et affirme qu’elles montrent bien la « pointe avant » d’une bombe GBU-39.

Emad Abu Shawish, qui a enregistré la prise de vue analysée par le journal, a déclaré qu’il avait été réveillé par la déflagration et qu’il avait vu des gens « dégageant des civils morts et blessés des décombres », a rapporté le Washington Post.

« Des couches de bébé, de la nourriture, des couvertures et des matelas étaient disséminés parmi les débris »,

ajoutait le journal.

Sans fournir la moindre preuve, Israël a prétendu que l’école était utilisée comme base par le Hamas et que des membres de sa force d’élite Nukhba se trouvaient dans le bâtiment, a rapporté Haaretz, le quotidien de Tel-Aviv.

Le Hamas a réfuté les dires d’Israël.

L’armée israélienne a prétendu qu’elle avait pris des mesures pour limiter les préjudices infligés aux civils et qu’elle n’avait visé que les locaux de l’école dont « les rapports des renseignements avaient indiqué qu’ils hébergeaient des terroristes », peut-on lire dans Haaretz.

Peter Lerner, le principal porte-parole anglophone de l’armée israélienne, a admis que l’attaque meurtrière contre Nuseirat constituait la cinquième fois au cours du mois écoulé qu’Israël s’en prenait à des sites de l’ONU sous le prétexte qu’ils étaient utilisés comme bases par les organisations armées palestiniennes.

Au moins 450 personnes déplacées ont été tuées depuis le 7 octobre alors qu’elles s’étaient réfugiées dans des sites de l’ONU, estime l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine.

« Cibler les installations de l’ONU ou les utiliser à des fins militaires ne peut devenir la nouvelle norme »,

a déclaré jeudi Philippe Lazzarini, le directeur de l’UNRWA.

 

L’illégalité

B’Tselem, une organisation israélienne des droits humains, a déclaré que même si les allégations d’Israël selon lesquelles l’école de Nuseirat servait à « planifier des opérations militaires » étaient vraies, « cela ne pouvait justifier les préjudices massifs infligés aux civils ».

L’organisation des droits a expliqué que la frappe qui avait mis en danger et tué des civils était caractéristique de la campagne militaire israélienne à Gaza et elle a insisté auprès de

« la communauté internationale » pour qu’elle utilise tous les outils à sa disposition pour faire cesser les combats et faire progresser un accord sur les otages ».

De même, le bureau des droits humains de l’ONU a déclaré être

« profondément préoccupé par le fait que cette frappe suggère une incapacité de la part de l’armée israélienne à se conformer strictement aux lois internationales humanitaires ».

« Alors qu’Israël a prétendu que des Palestiniens armés utilisaient l’école comme base opérationnelle, ce qui en soit équivaudrait à une violation des lois internationales humanitaires, ceci ne permettrait ni ne justifierait des violations des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution » ,

a ajouté le bureau de l’ONU.

Le principe de distinction des lois internationales humanitaires dit que les parties d’un conflit armé

« doivent à tout moment faire la distinction entre civils et combattants »,

selon le Comité international de la Croix-Rouge.

“Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent pas être dirigées contre des civils.”

Francesca Albanese, spécialiste indépendante des droits humains à l’ONU, a déclaré que

« les attaques sans discrimination qui ne font pas la distinction entre des cibles militaires et des personnes et objets protégés, ne peuvent être proportionnelles et sont toujours illégales ».

Dans une tentative en vue de justifier ses attaques, Israël a menti, précédemment, à propos des infrastructures civiles – tels des hôpitaux – qui étaient utilisées comme bases militaires par les organisations armées palestiniennes.

Entre-temps, Israël a transformé les écoles et hôpitaux de l’UNRWA à Gaza en cantonnements militaires à partir desquels il peut mener des attaques contre les Palestiniens.

Gaza : Écoles et hôpitaux transformés en bases militaires

 
Un hôpital « surpeuplé »

Mercredi, Al Mezan, une organisation palestinienne des droits humains, a mis en garde, au moment où Israël progressait à Rafah, à l’extrême sud de Gaza, contre le fait qu’il avait intensifié ses attaques dans le centre de Gaza et que l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, le principal établissement de soins de santé fonctionnant dans la région, était « surpeuplé de patients blessés ».

« Nous nous attendons à ce que la situation continue de se détériorer », a prédit l’organisation à juste titre.

Le bureau des droits humains de l’ONU a lui aussi déclaré mercredi qu’il était « profondément embarrassé » à propos de l’intensification des opérations militaires israéliennes dans la partie centrale

« qui s’étaient traduites par plus de morts, de mutilations et de déplacements encore chez les civils palestiniens déjà passablement épuisés et touchés depuis longtemps par la souffrance ».

Les avions de combat israéliens ont pilonné les camps de réfugiés surpeuplés de la partie centrale de Gaza et « aucun ordre d’évacuation n’a été sorti pour ces zones », a ajouté le bureau des droits humains.

Au moins 70 Palestiniens ont été tués et des centaines d’autres blessés par les frappes israéliennes dans la nuit de mardi.

Mercredi, Médecins sans frontières (MSF) a déclaré qu’au moins 70 morts et 300 blessés avaient été transférés à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa au cours de ces dernières 48 heures.

L’organisation a ajouté que

« ces incidents répétés, avec de grands nombres de victimes, poussaient le système de la santé au point d’effondrement et, quant à la situation sur les terrain, nos équipes la décrivent comme ‘apocalyptique’ ».

Des Palestiniens déplacés transférés de force depuis Rafah en mai doivent maintenant se rendre une fois de plus dans la partie centrale de Gaza, et ils ne disposent que de très peu de ressources et de services élémentaires, voire pas du tout.

Jeudi, l’ONG britannique Medical Aid for Palestinians a déclaré que l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa était

« débordé ou surpeuplé en raison de l’intensification des attaques militaires »

dans le centre de Gaza ces quelques derniers jours.

Plus de 300 patients « ont été admis pour des traitements urgents » dans la seule journée de mercredi.

« Nombreux sont ceux, parmi le million de personnes qui ont été forcées de fuir Rafah », y compris le personnel de l’ONG, qui « cherchent à se réfugier désormais » dans le centre de Gaza,

a ajouté l’ONG.

 

Une crise qui s’est encore aggravée

Israël a aggravé la crise humanitaire à Gaza le mois dernier, au moment où il s’est emparé du passage de Rafah à la frontière égyptienne et où il l’a fermé, étranglant ainsi le transfert de l’aide humanitaire et des marchandises vers le territoire et empêchant l’évacuation des patients nécessitant des traitements médicaux urgents.

Dans un épisode récent de l’émission en direct de The Electronic Intifada, Tarek Loubani, un médecin urgentiste venu de l’Ontario et qui a travaillé régulièrement à Gaza, a expliqué comment la fermeture de Rafah s’est traduite par le décès évitable de dizaines de patients blessés par les frappes aériennes israéliennes.

 

Vidéo EI : Les horribles effets des brûlures corporelles infligées par les armes israéliennes.

 

Entre-temps, la fermeture empêche l’apport de médicaments à Gaza et elle a interrompu le transfert dans les deux sens de praticiens médicaux internationaux, ce qui permettrait de soutenir leurs collègues palestiniens débordés et épuisés.

Firk Shalltoot, directeur à Gaza de Medical Aid for Palestinians, a mis en garde :

« Les hôpitaux dans tout Gaza sont au bord de l’effondrement »

et il a demandé au Royaume-Uni

« de faire cesser immédiatement les transferts d’armes vers Israël, lesquels pourraient être utilisés dans la poursuite des atrocités ».

CNN a fait remarquer que l’attaque contre Nuseirat était

« la seconde fois en deux semaines que CNN était à même de vérifier l’emploi de munitions fabriquées aux EU dans des attaques meurtrières d’Israël contre des Palestiniens déplacés ».

Les missiles GBU-39 d’origine américaine utilisés par Israël pour éliminer deux commandants du Hamas dans le quartier de Tal al-Sultan à Rafah, fin mai, ont provoqué un incendie qui a tué au moins 46 Palestiniens dans un campement pour personnes déplacées, ce qui a déclenché une condamnation à l’échelle mondiale.

L’administration Biden a encouragé Israël à utiliser des armes plus précises, comme les bombes GBU-39 d’un diamètre plus petit et elle a suspendu la livraison des bombes anti-bunker bien plus lourdes. Mais l’emploi par Israël des armes de diamètre plus petit dans des zones densément peuplées s’est soldé, de façon prévisible, par des pertes civiles élevées, comme on l’a vu à Tal al-Sultan et à Nuseirat.

Le Réseau Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med) a estimé qu’entre la mi-octobre et fin avril, Israël avait largué quelque 70 000 tonnes de bombes sur Gaza, dont la superficie est la même que celle de la ville de Las Vegas.

Le massacre de Nuseirat a eu lieu en même temps que des mises en garde concernant « l’urgence sanitaire déjà très grave à Gaza », comme l’a rapporté UN News, et alors que les Palestiniens déplacés « n’ont pas d’autre choix que de vivre parmi les décombres et dans les installations détruites de l’UNRWA ».

Ces conditions effroyables vont encore empirer et des épidémies de maladies évitables vont se répandre plus largement au moment où les températures estivales vont monter, a ajouté UN News.

Catherine Russell, la directrice du fonds de l’ONU pour l’enfance, l‘UNICEF, a déclaré que

« les enfants à Gaza vivent à côté de montagnes de déchets et d’eaux usées brutes alors que les services élémentaires en sont à un point de rupture ».

Entre-temps, 9 enfants sur 10 dans le territoire ont connu une insécurité alimentaire dramatique, estime l’UNICEF.

Le haut responsable de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a prévenu que le manque d’eau potable propre risquait de provoquer la propagation du choléra.

Le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine a déclaré fin mai qu’il était possible, « sinon probable », que la famine règne dans le nord de Gaza, malgré la disponibilité accrue de l’aide alimentaire et une hausse de l’approvisionnement du marché en mars et avril.

Mercredi, des dizaines d’organisations de la société civile palestinienne et internationale ont lancé un

« appel urgent pour que la bande de Gaza soit déclarée zone frappée par la famine ».

Les organisations ont déclaré que

« l’acte consistant à causer la famine et à détruire les ressources indispensables à la vie à Gaza »,

constitue une violation des mesures provisoires de la Cour internationale de Justice,

« ouvrant ainsi la possibilité de poursuivre devant cette même cour les personnes responsables de la livraison de l’aide ou qui la retardent ».

Karim Khan, le procureur principal de la Cour pénale internationale, a décidé de sortir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre d’Israël et son ministre de la Défene, en invoquant leur refus de fournir des essentiels vitaux aux civils palestiniens de Gaza.

Les organisations de la société civile ont invité l’ONU et l’Autorité palestinienne à

« déclarer Gaza zone frappée par la famine en raison de la faim, de la pollution de l’environnement et de la propagation de maladies »

et à prévoir « d’élever les niveaux de secours d’urgence ».

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 7 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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