L’appel à la mutinerie est révélateur d’une faille croissante dans la société israélienne

Le 25 mai, une vidéo (à voir en bas de l’article) est apparue sur les réseaux sociaux israéliens. Elle montrait, debout face à une caméra, un homme armé et masqué, vêtu d’un uniforme de l’armée israélienne et brandissant la menace d’une mutinerie.

 

Le 25 mai, une vidéo est apparue sur les réseaux sociaux israéliens. Elle montrait, debout face à une caméra, un homme armé et masqué, vêtu d'un uniforme de l'armée israélienne et brandissant la menace d'une mutinerie.

Capture d’écran de la vidéo ci-dessous

 

Mati Yanikov, 1er juin 2024

 

Dans un message adressé au ministre de la Défense Yoav Gallant, au chef d’état-major Herzi Halevi et au Premier ministre Benjamin Netanyahou, le soldat de réserve disait que Gallant devait démissionner, et il prévenait que 100 000 réservistes à Gaza n’avaient pas l’intention de « remettre les clefs de Gaza à une quelconque Autorité palestinienne » ou autre « entité arabe », et il ajoutait que ces soldats ne prendraient leurs ordres qu’auprès de Netanyahou.

Parmi les nombreuses personnes qui ont partagé cette vidéo, figurait Yair Netanyahou, le fils du Premier ministre israélien, qui, plus tard, l’a supprimée suite à la controverse qui en a résulté.

En dépit du masque, le fusil de la vidéo affiche un nom, « Luzon », ce qui a contribué finalement à identifier l’homme quelques jours plus tard : Il s’agit d’Ofir Luzon, un activiste de droite originaire de Herzliya, une ville au nord de Tel-Aviv, et supporter du parti Likoud local, qui est également le parti de Netanyahou.

Luzon est un soldat de réserve qui sert à Gaza, bien que la vidéo n’ait probablement pas été filmée à Gaza, mais plutôt dans un bâtiment abandonné de la région de Tel-Aviv. Apparemment, il agissait seul.

Depuis, les médias israéliens ont publié un grand nombre de ses messages sur les médias sociaux dans lesquels il exprime des points de vue de droite. On le voit également en compagnie de ministres du Likoud et de membres du conseil municipal de Herzliya, menaçant les gauchistes et les Israéliens qui protestent contre la refonte judiciaire, s’opposant à Gallant ou exprimant son enthousiasme à propos de l’attaque imminente contre Rafah.

 

Le lendemain

Le contexte immédiat de la vidéo était un ultimatum récent lancé par Benny Gantz, un membre du cabinet de guerre israélien, dans lequel il demandait que l’on réponde pour le 8 juin à ses préoccupations à propos de la gestion de l’offensive israélienne contre Gaza et de ses lendemains, sans quoi il menaçait de démissionner du gouvernement.

Le scénario du « lendemain » est un sujet de débat houleux, au sein du cabinet de guerre. Gantz veut la clarté à propos d’une « alternative de gouvernance » du Hamas pour diriger Gaza, en envisageant une administration internationale, arabe et palestinienne pour traiter les affaires civiles de Gaza.

Toutefois, Netanyahou insiste pour qu’il n’y ait pas de discussion de scénarios d’après-guerre ni de discussion non plus sur qui devrait diriger Gaza, prétendant que tant que le Hamas n’a pas été vaincu, de telles discussions n’ont « pas de sens ».

Netanyahou a exprimé une forte opposition à la reprise par l’Autorité palestinienne et il maintient qu’Israël doit garder « le contrôle sécuritaire sur tout le territoire à l’ouest du Jourdain », c’est-à-dire sur Israël, la Cisjordanie ou toute la zone s’étendant du fleuve à la mer.

Ceci est en opposition directe à ce que veut Gallant, qui presse Netanyahou de déclarer qu’Israël ne reprendra pas le pouvoir civil ni ne maintiendra une occupation militaire à Gaza.

 

Une armée qui se désintègre

Le contexte plus large, toutefois, est sensiblement différent et il doit composer avec une dynamique que certains analystes israéliens décrivent comme faisant partie de la « désintégration » de l’armée.

Avec la vidéo de Luzon, c’est peut-être la première fois qu’une expression ouverte de mutinerie sort des rangs de l’armée israélienne mais, au cours de l’actuel génocide, les réservistes israéliens à Gaza ont régulièrement désobéi aux ordres et ce, dès le début, en octobre.

L’armée israélienne a admis qu’elle avait des problèmes de discipline et des difficultés dans le contrôle de ses effectifs. Jusqu’à présent, on a pu voir ces questions sur les médias sociaux, et particulièrement sur TikTok, où des soldats se sont filmés en train de prononcer des discours politiques, de saccager des maisons, de vandaliser des boutiques, de faire sauter des universités et de commettre d’autres crimes de guerre.

Ces problèmes disciplinaires ont également fait surface dans des graffiti nationalistes sur les maisons et propriétés de Gaza. Certains appelaient à la revanche et certains à la reconstruction des colonies juives dans le territoire.

L’armée n’a pas enquêté autour de la plupart de ces incidents, peut-être par crainte de pressions de la part des politiciens d’extrême droite ou de protestations émanant de l’expérience, et ce, au sein même de l’armée.

En novembre, un ordre notifié aux soldats d’effacer leurs propres graffiti a débouché sur un tollé public de la part de politiciens d’extrême droite, dont le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, qui a invité Gallant à annuler cet ordre.

Certains soldats ont refusé ouvertement de s’y conformer.

 

La chaîne de commandement

Outre les problèmes disciplinaires avec les réservistes, les problèmes dans la chaîne de commandement ont également été exposés, et plus particulièrement entre le chef d’état-major et les commandants de division sur le terrain.

Ignoble personnage, bien sûr, que ce Barak Hiram, qui a donné l’ordre de bombarder une colonie israélienne à proximité de Gaza lors de l’attaque du 7 octobre et qui a également donné l’ordre de bombarder une université de Gaza sans autorisation préalable, prétend l’armée.

Le général de brigade Dan Goldfuss, entre-temps, a été réprimandé suite à une déclaration dans les médias dans laquelle il expliquait que les dirigeants nationaux devaient « se montrer dignes des soldats ».

Que ce soit du côté des commandants de division ou des simples soldats, il est clair que l’armée israélienne est confrontée à un problème croissant de discipline.

C’est un problème qui provient non seulement des divisions politiques de plus en plus profondes au sein de la société israélienne, mais aussi des conflits de classe et d’identité. Bien des réservistes et des soldats réguliers sont traditionnellement extraits des zones marginalisées et proviennent souvent de contextes religieux et d’extrême droite.

Il est difficile de prédire si 100 000 soldats vont en fait désobéir aux ordres de retrait de Gaza, pour autant que cet ordre vienne, par ailleurs.

Mais la vidéo de Luzon ne tombe pas dans le vide. C’est plutôt l’expression la plus récente d’une faille croissante au sein de l’armée israélienne et, plus généralement, dans la société israélienne.

Vidéo TOI : Un soldat des FDI brandit la menace d’une mutinerie dans une vidéo effrayante.

 

 

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Mati Yanikov est un activiste anticolonial qui vit à Haïfa.

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Publié le 1er juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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