À Haïfa, les protestations brisent la muraille de la peur

Lundi 27 mai, à la suite d’un énième bain de sang à Rafah, quelque 300 personnes, des Palestiniens et leurs alliés, se sont rassemblées au square du Prisonnier, dans le quartier historique de la Colonie allemande de la ville basse, à Haïfa.

 

Depuis très longtemps, Haïfa est un foyer de protestation en Palestine '48. Ici, lors des protestations de l'Intifada de l'Unité, en mai 2021

Depuis très longtemps, Haïfa est un foyer de protestation en Palestine ’48. Ici, lors des protestations de l’Intifada de l’Unité, en mai 2021. (Photo : Mati Milstein / NurPhoto via ZUMA Press)

 

Mati Yanikov, 8 juin 2024

Le square du Prisonnier est l’appellation non officielle donnée par les manifestants à une place située au milieu de la rue d’al-Carmel (aujourd’hui rue Ben-Gourion), un lieu traditionnel de rassemblement pour les protestations palestiniennes dans la ville.

Au fil des années, le square a été témoin de nombreuses manifestations contre les divers massacres et bombardements à Gaza, ou en guise de soutien aux prisonniers, ou encore autour des questions locales, telle la criminalité, concernant les Palestiniens à Haïfa.

Il a été le lieu de concentration des manifestations de l’Intifada de l’Unité, en 2021, et des protestations de 2023 contre l’expulsion planifiée des Bédouins palestiniens vivant dans la région du Néguev et à bien d’autres sujets encore.

De ce fait, la police israélienne ne cesse de tenir ce square à l’oeil. Par exemple, le 18 octobre, à la suite du bombardement de l’hôpital al-Ahli à Gaza, la police a occupé le square et a empêché les gens de protester en mettant l’accent sur la répression immédiate et en arrêtant toute personne qui avait le malheur d’arborer une pancarte ou d’élever la voix.

La répression rapide et les conditions généralement effrayantes de la dictature qu’est devenu Israël au lendemain du 7 octobre ont suffi pour intimider les gens et les réduire au silence.

Pendant quelque temps, du moins.

 

Des fissures dans le mur

Le 27 mai, l’atmosphère était du même genre, mais avec une différence significative : cette fois, les gens n’avaient pas l’intention d’abandonner la rue si facilement.

La police avait initialement décidé d’autoriser les gens à se rassembler, tout en maintenant cependant une présence menaçante et en procédant occasionnellement à des arrestations et en confisquant des pancartes.

La police a prétendu qu’il n’y avait pas eu de directives en vue de faire disparaître les pancartes de protestation critiquant les crimes de guerre israéliens à Gaza. Mais on s’est rendu compte à de nombreuses occasions que c’est précisément ce que la police avait pourtant fait.

La manifestation du 27 mai n’a pas été différente. Deux protestataires ont été arrêtés alors qu’ils déployaient un calicot disant « Arrêtez le massacre ».

Un protestataire brandissant un portrait de Walid Daqqah – mort alors qu’il était emprisonné en Israël depuis près de 40 ans – a été arrêté également sur des accusations de soutien au terrorisme.

La police a aussi arraché un drapeau palestinien à un manifestant, de même que, systématiquement, tous les écriteaux et pancartes portant les mots « meurtre », « assassinat », « massacre » ou « génocide ».

Après une heure de slogans de soutien à Gaza, et au moment où quelques contre-manifestants d’extrême droite portant des drapeaux israéliens se sont pointés de l’autre côté de la route, la police a déclaré la manifestation illégale et s’est mise à disperser la foule.

Selon la législation israélienne, une action de protestation permanente ne comprenant ni défilé ni discours politique ne requiert pas d’autorisation. Mais les protestations palestiniennes sont souvent dispersées sous le prétexte qu’elles troublent la tranquillité publique.

Une fois la manifestation déclarée illégale, la police montée a chargé la foule et les gens se sont mis à courir dans toutes les directions. Huit personnes ont été arrêtées avec une certaine violence.

L’« ordre » a été restauré. Mais le mur de la crainte s’est retrouvé sérieusement fissuré.

Haïfa, 27 mai, rassemblement contre le génocide à Gaza

 

Certains manifestants ont été hospitalisés à la suite de la dispersion et des arrestations accompagnées de violence. Plusieurs personnes qui ont comparu devant le juge le lendemain matin présentaient des hématomes et des blessures.

Certains ont également fait état de violences verbales alors qu’ils se trouvaient toujours au poste de police.

 

Une attaque violente

Trois jours plus tard, le 30 mai, une autre manifestation était organisée au square du Prisonnier. Cette fois, la police décidait de recourir de nouveau à son modus operandi du 18 octobre.

De grands nombres de policiers occupaient le square à l’avance et une quantité intimidante de flics déguisés ou sans uniforme interrogeaient les gens en route vers le square et prenaient leurs cartes d’identité.

Une vingtaine de contre-manifestants sionistes d’extrême droite s’étaient déjà rassemblées de l’autre côté de la rue, agitant des drapeaux israéliens et chantant des chansons nationalistes.

Les manifestants allaient décider en toute dernière minute de se rassembler sur un autre square. Quand les gens se sont massés et se sont mis à scander des slogans en faveur de Gaza, toutefois, la police a débarqué rapidement, a déclaré la manifestation illégale et a ordonné aux gens de se disperser immédiatement.

Refusant de se laisser intimider, les protestataires sont restés obstinément sur place et ont continué de donner de la voix.

Une fois de plus, la police allait opter pour la violence et charger la foule à cheval. De nouveau, il allait y avoir plusieurs arrestations.

Dans le chaos qui s’en est suivi, les gens se sont mis à courir dans des directions différentes et à reprendre spontanément leur manifestation là où ils se trouvaient.

Une foule de protestataires a ensuite débouché dans la rue Allenby toute proche – qui s’appelait rue al-Zaytoun, avant la colonisation sioniste et la Nakba de 1948 – et ils ont défilé le long de la rue, agitant des drapeaux palestiniens et chantant des chansons de soutien à Gaza, à ses habitants et à la Palestine de façon plus générale.

L’atmosphère était à l’allégresse. Les gens acclamaient depuis leurs fenêtres et balcons et les voitures qui passaient donnaient du klaxon en guise de soutien, confirmant ce que nous savions déjà : Haïfa est et reste palestinienne.

La police suivait. Avec des agents à cheval et d’autres à moto qui chargeaient dans la foule, les manifestants s’échappaient et se réfugiaient dans les immeubles et dans les allées étroites de la Colonie allemande, pour se regrouper à nouveau, l’instant d’après, dans la rue al-Carmel et recommencer de plus belle.

Rassemblement à Haïfa

Rassemblement à Haïfa

Rassemblement à Haïfa

Rassemblement à Haïfa

 

Après quelques nouvelles parties du chat et de la souris qui allaient encore durer quelques heures, un groupe de manifestants se reformait à nouveau au square du Prisonnier et décidait de mettre un terme à la manifestation qu’ils avaient tout le temps prévue à cet endroit.

Malgré les efforts les plus zélés de la police de Haïfa, elle n’est pas parvenue à réprimer les foules. Son comportement agressif n’a eu pour résultat que de scinder une manifestation en plusieurs manifestations parallèles.

On a assisté à un sentiment de foule manifeste, d’une foule qui a repris possession de ses rues et qui a tenu bon face à la répression de l’État.

Haïfa 6

De nouveau, huit personnes ont été arrêtées.

L’une d’entre elles, Eran Maoz, a refusé de reconnaître l’autorité du tribunal, d’être représentée par un avocat ou de signer la moindre condition de remise en liberté. Face au juge, il a déclaré qu’Israël commettait bel et bien un génocide à Gaza.

Il n’allait pas, par conséquent, accepter la légitimité de la procédure.

Il est resté deux jours en garde à vue mais a finalement été relâché sans conditions.

Un autre protestataire, Nizar Ghanadri, a été détenu en garde à vue pendant trois jours, accusé d’avoir agressé un policier. Il a été relâché et placé en résidence surveillée, après avoir payé une caution de juste un peu plus de 1 000 dollars et il a été interdit de séjour à Haïfa pour 15 jours.

Seul le temps nous dira si la vague actuelle de renouveau dans l’activisme palestinien en Palestine occupée en 1948 se transformera en un substantiel mouvement de rue contre les atrocités d’Israël à Gaza.

Mais, en dépit des tentatives de la police en vue de réprimer toute expression palestinienne de répulsion envers le génocide de Gaza, les gens sont de plus en plus intraitables et il ne sera plus aussi facile pour les autorités israéliennes de leur faire baisser la tête, cette fois.

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Mati Yanikov est un activiste anticolonialiste qui vit à Haïfa.

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Publié le 8 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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