Israël a transformé un camp de réfugiés en ville fantôme

Une fois le retrait confirmé par les autorités de Gaza, la famille a choisi de revenir au camp de réfugiés de  Jabaliya et de voir ce qu’il en était. Rien ne pouvait préparer Walid à la scène terrible qui l’attendait.

 

Destructions massives, au camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza.

Destructions massives, au camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza. (Photo : Khaled Daoud / APA images)

 

Khuloud Rabah Sulaiman, 20 juin 2024

Il a fallu longtemps à Walid Ribhi pour découvrir l’endroit où vivaient ses parents. Tout ce qui se trouvait dans les alentours avait été complètement détruit.

Walid a eu besoin de l’aide de voisins assis au milieu des décombres de leurs anciennes maisons pour situer ce qu’il cherchait.

Le spectacle était choquant. Il n’y avait plus la moindre trace de l’immeuble à deux étages de ses parents.

Et les autres maisons du quartier avaient toutes disparu elles aussi.

« On aurait dit qu’un ouragan avait frappé le quartier et englouti complètement tous les bâtiments »,

dit Walid.

Après avoir quitté le quartier où ses parents avaient leur maison, Walid avait cherché une école dans laquelle il avait trouvé refuge au cours de la présente guerre.

Il n’avait reconnu l’école qu’à un signe sur sa porte. L’école et cinq autres à proximité avaient été détruites ou gravement endommagées.

La scène qui s’était déroulée au marché de Jabaliya avait été particulièrement sinistre.

Walid avait une boutique de vêtements, au marché. Quand il avait compris qu’elle n’était plus que ruines, comme bien d’autres, il s’était mis à pleurer.

Ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait privé de son commerce.

Précédemment, Walid avait tenu un magasin à al-Rimal, un district de Gaza. Il était situé à la tour Shorouq, qu’Israël avait bombardée lors de l’attaque de mai 2021 contre Gaza.

Avant l’actuelle guerre, Walid avait un appartement à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza. Quand il avait été détruit lors des premières semaines de la guerre, Walid était venu habiter chez ses parents, à Jabaliya.

Ses parents avaient évacué leur maison et étaient partis vers le sud.

Walid, sa femme et leurs trois enfants étaient restés à Jabaliya tout au long de l’invasion terrestre israélienne en novembre. Bien que les troupes israéliennes fussent venues très près de la maison, l’immeuble était resté intact.

Finalement, les troupes israéliennes s’étaient retirées de Jabaliya, après cette invasion. Elles sont revenues dans le camp le mois dernier.

Pour Walid et sa famille, l’invasion de mai a été pire que tout ce qu’ils avaient jamais vécu jusque alors.

Environ une semaine après le début de l’invasion, Israël avait bombardé des maisons toutes proches. La violence semblait bien plus intense qu’en novembre.

Craignant pour leur vie, Walid et sa famille s’étaient embrassés les uns les autres et avaient récité la shahada – un témoignage final des musulmans face à Dieu.

« Quand le bombardement s’est arrêté, nous avons ouvert les yeux et avons remercié Dieu d’être encore en vie »,

dit Walid.

 

Un bain de sang

Le lendemain, l’armée israélienne a tiré des obus sur le quartier. L’armée s’est approchée de la zone où vivait Walid, avec des chars et des bulldozers.

Sous l’attaque venue à la fois de la terre et du ciel, la famille s’est enfuie vers une école de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine.

L’endroit n’était pas sûr du tout.

Quelques jours plus tard, l’armée israélienne a pénétré au cœur du camp, infligeant des destructions massives.

Walid et sa famille ont alors décidé de quitter l’école. Avant qu’ils puissent s’en aller, les Israéliens l’ont encore bombardée à coups d’obus.

La famille s’est cachée jusqu’au moment où elle a trouvé le moyen de sortir.

Au moment où ils s’en allaient, Walid a vu des tentes montées de bric et de broc qui se faisaient attaquer alors que des gens se trouvaient toujours à l’intérieur.

« Leurs voix sont toujours gravées dans ma tête »,

dit-il.

« Ces voix me pourchassent tout le temps, que je sois éveillé ou que je dorme. »

« Je suis toujours choqué qu’une école de l’UNRWA, censée être protégée par les lois internationales, ait été transformée en un bain de sang. »

La famille ne savait plus où aller.

Devant leurs yeux, un groupe de personnes ont été abattues par un missile tiré depuis un drone. Les trois personnes qui se sont précipitées pour secourir les victimes se sont elles aussi fait tirer dessus à coup d’obus.

Deux sur les trois ont réussi à survivre. La troisième est restée sur place à se vider de son sang.

La famille a poursuivi sa route, et les enfants étaient de plus en plus angoissés en raison des nombreux cadavres qu’ils voyaient sur le sol.

Finalement, la famille s’est retrouvée près d’une école dans le sud de Jabaliya. Après s’y être abritée pendant une semaine, ils ont été réveillés en pleine nuit.

Le bruit qu’ils entendaient était celui de l’école qui se faisait bombarder à coup d’obus.

Une nouvelle fois, ils ont donc fui vers une autre école – cette fois à l’ouest de Gaza. C’est le dernier endroit où ils se sont réfugiés avant que les troupes israéliennes ne se retirent de Jabaliya.

Une fois le retrait confirmé par les autorités de Gaza, la famille a choisi de revenir à Jabaliya et de voir ce qu’il en était.

Rien ne pouvait préparer Walid à la scène terrible qui l’attendait.

Malgré le fait qu’il en a été tout retourné, Walid a monté une tente tant bien que mal et a juré qu’il allait rester à Jabaliya.

« Je sais que les puits et les panneaux solaires ont été détruits »,

dit-il.

« Mais nous travaillons pour avoir de l’eau et de l’électricité. Nous allons trouver une solution. »

 

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Khuloud Rabah Sulaiman est une journaliste qui vit et travaille à Gaza.

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Publié le 20 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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