Bombarder et affamer Gaza ne pourra inverser l’échec stratégique d’Israël

Le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et d’autres acteurs régionaux comme Ansarullah au Yémen sont nés de l’occupation étrangère et de son refus d’accorder l’autodétermination. Il n’y aura pas de paix tant que le contexte qui donne naissance à la résistance armée ne changera pas fondamentalement, et il n’y aura pas de changement fondamental sans résistance armée.

 

Le 25 juin, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza, des Palestiniens pleurent la perte d'un être cher après une attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Maghazi.

Le 25 juin, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza, des Palestiniens pleurent la perte d’un être cher après une attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Maghazi. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 25 juin 2024

 

Il n’y a pas de répit pour les Palestiniens de Gaza qui sont en proie à un long traumatisme, à une incertitude et une terreur incessantes depuis plus de huit mois, tout en étant privés des nécessités élémentaires de leur survie, tels des vivres, de l’eau et un abri.

Ces tout derniers jours à Gaza, on a pu voir se succéder les crimes de guerre israéliens au cours de ce qui est devenu une nouvelle norme dans l’horreur, quand Israël, avec le soutien de Washington, anéantit les lois internationales en même temps que les corps, les foyers et les rêves des Palestiniens.

Mais toute cette destruction ne se traduit en aucun cas par une victoire stratégique. Quand la fumée se lève au-dessus d’un Gaza en ruine, il s’avère de plus en plus clairement que la campagne israélienne d’élimination va se solder par un échec.

Dimanche, une frappe aérienne israélienne a tué au moins huit personnes dans un centre de formation utilisé comme point de distribution d’aide par l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine.

Juliette Touma, une porte-parole de l’agence, a déclaré que 190 sites de l’UNRWA avaient été touchés depuis le début octobre, dont la « grande majorité de nos bâtiments à Gaza ». Près de 200 employés de l’agence ont été tués au cours de la même période.

Samedi, une attaque israélienne qui visait prétendument un important commandant du Hamas a tué 24 Palestiniens, quelques jours après que le principal porte-parole de l’armée israélienne avait reconnu qu’il était impossible « de faire disparaître le Hamas ».

Dix-huit autres personnes ont été tuées samedi, rapporte-t-on, lors d’une frappe contre des maisons du quartier de Tuffah, à Gaza même.

Ces attaques meurtrières avaient succédé à des tirs d’artillerie sur al-Mawasi, qui avait pourtant été déclaré « zone humanitaire » par Israël. L’attaque de vendredi a tué au moins 25 personnes. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré que ses bureaux et ses logements avaient été gravement endommagés par les tirs d’obus.

Dimanche, les chars israéliens se sont avancés jusqu’aux abords du camp pour personnes déplacées à al-Mawasi.

L’agence d’information Reuters a décrit l’opération comme

« faisant partie d’une poussée vers le nord et l’ouest de Rafah au cours de laquelle ils avaient fait sauter des dizaines de maisons, ces derniers jours ».

 

La faim

Les Palestiniens de Gaza, qui sont en état de siège total depuis octobre et dont la capacité de production alimentaire a subi des destructions considérables, n’ont guère obtenu de secours, après des mois de famine.

Deux bébés sont morts de malnutrition ces derniers jours, rapportent les responsables de la santé de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza. Au moins 31 enfants de Gaza sont morts de malnutrition ou de déshydratation depuis octobre, bien que le personnel médical affirme que les chiffres réels sont probablement bien plus élevés.

L’ONG américaine Save the Children a déclaré lundi qu’on estime que jusqu’à 21 000 garçons et filles

« ont été portés manquants dans le chaos de la guerre à Gaza ; un grand nombre d’entre eux ont été piégés sous les décombres, arrêtés par Israël, enterrés anonymement dans des fosses communes ou perdus par leurs familles ».

Les récents déplacements massifs provoqués par l’offensive israélienne à Rafah ont

« séparé plus d’enfants encore et accru une nouvelle fois la tension sur les familles et les communautés qui s’en occupent »,

a ajouté l’ONG.

Au moins 37 600 personnes ont été tuées à Gaza depuis le 7 octobre, selon les autorités du territoire, bien que le nombre réel soit probablement bien plus élevé, avec les milliers de personnes portées manquantes sous les décombres ou dont les corps n’ont pas été retrouvés d’une façon ou d’une autre ; ces personnes ne sont reprises dans les chiffres reconnus.

Les hôpitaux de Gaza ont été systématiquement détruits ; des centaines de médecins, d’infirmier.e.s et de spécialistes médicaux ont été tués ou arrêtés ; les infrastructures de l’eau et de la santé ont été anéanties et les personnes chargées de les réparer ont été tuées aussi, comme le prouve la frappe contre les travailleurs municipaux qui a fait six morts vendredi.

Plus de 10 000 personnes à Gaza doivent être évacuées pour des traitements de blessures traumatiques, ou de cancers, de maladies cardiaques et de problèmes de santé mentale, selon le haut responsable de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Chris Sidoti, l’un des spécialistes des droits humains chargé par le Conseil des droits humains de l’ONU d’examiner le système d’oppression israélien dans son ensemble, a déclaré la semaine dernière qu’il n’avait

« pas l’autorité pour émettre des évaluations de moralité ».

Mais il a quand même dit qu’en s’appuyant sur son mandat qui consistait à

« émettre des évaluations d’actes criminels (…), la seule conclusion qu’on pouvait tirer était que l’armée israélienne est l’une des armées les plus criminelles au monde ».

Les actions épouvantables d’Israël à Gaza ont pulvérisé les principes fondamentaux des lois de la guerre, comme l’explique le bureau des droits humains de l’ONU dans un rapport récent qui examine l’utilisation d’

« armes explosives dont les effets se propagent sur de vastes zones dans des quartiers densément peuplés ».

Les violations flagrantes des lois internationales, comme les attaques contre un point de distribution arborant le drapeau des Nations unies ou contre les bureaux du Comité international de la Croix-Rouge, sont devenues si fréquentes qu’elles semblent désormais la norme.

 

Un échec stratégique

Moralité et légalité à part, la conduite d’Israël à Gaza constitue un échec stratégique retentissant.

Israël s’est retrouvé pris dans un bourbier, à Gaza. Son armée n’a libéré que sept des plus de 200 otages détenus par le Hamas et d’autres organisations armées dans le territoire depuis le 7 octobre.

La moitié environ ont été libérés dans le cadre d’un accord d’échange négocié avec le Hamas en novembre. Un nombre croissant d’otages – bien plus important que celui libéré par l’armée – sont morts en captivité.

Certaines des huiles de l’armée israélienne tentent d’extraire l’armée d’une guerre d’usure dans laquelle les parents de centaines de soldats disent que leurs enfants meurent sans but bien précis.

Lors d’une interview récente réalisée par le diffuseur israélien Channel 13, Daniel Hagari, le porte-parole de l’armée, a déclaré que

« l’idée selon laquelle il est possible de détruire le Hamas (…) jette de la poudre aux yeux du public ».

L’armée israélienne a tenté de déformer la remarque de Hagari en disant qu’il faisait référence au Hamas

« en tant qu’idéologie et en tant qu’idée ».

Les commentaires du porte-parole peuvent avoir été destinés à préparer le public israélien à un avenir dans lequel le Hamas restera au pouvoir à Gaza.

Des reportages tant dans les médias israéliens que dans les médias internationaux suggèrent que l’armée est impatiente de s’éloigner de la guerre à haute intensité à Gaza. Il existe un désaccord public croissant entre l’armée d’une part et le Premier ministre Benjamin Netanyahou et ses alliés à la ligne dure d’autre part, qui veulent que la guerre continue indéfiniment, selon toute apparence, de faire rage à Gaza et ce, au service de leurs propres intérêts.

Hagari a affirmé ces derniers jours que l’armée israélienne « était très proche du démantèlement des bataillons du Hamas à Rafah », et il faisait état d’un tassement des combats intenses dans la région la plus au sud de Gaza, le long de la frontière avec l’Égypte, où l’armée a subi de lourdes pertes.

Yossi Kuperwasser, un général à la retraite, ancien chef de cabinet du ministère des Affaires stratégiques d’Israël, a été cité dans The Washington Post pour avoir dit que l’armée

« terminait actuellement tous ses objectifs pratiques à Rafah et qu’on pouvait se mettre à discuter de ce que cela signifiait pour un échange d’otages ».

 

Alors qu’il n’a exclu aucun accord permettant au Hamas de s’accrocher au pouvoir à Gaza, Netanyahou a admis dimanche, dans une interview sur la chaîne israélienne Channel 14, que

« la phase intense des combats contre le Hamas était pratiquement terminée ».

La position du Hamas est qu’il n’y aura aucun échange de prisonniers sans un accord qui mettra un terme à la guerre, ce que Netanyahou rejette catégoriquement. Mais la fin de la guerre à Gaza sera nécessaire pour faire diminuer les combats d’intensité moyenne entre Israël et le Hezbollah au Liban, lesquels ont monopolisé l’attention des efforts diplomatiques en vue d’éviter que l’affaire ne dégénère en une confrontation totale.

 

Le Liban

Les mois de combat entre Israël et le Hezbollah menacent de dégénérer en une confrontation totale encore plus catastrophique que celle à laquelle on a assisté à Gaza.

La semaine dernière, dans un discours prononcé après des annonces disant que l’armée israélienne avait approuvé des plans en vue d’une offensive au Liban, le dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah a déclaré qu’il n’y aurait aucun endroit sûr en Israël si une attaque généralisée devait être déclenchée contre le Liban.

Nasrallah a également menacé Chypre, toute proche et État membre de l’Union européenne, au cas où elle permettrait à Israël de se servir de ses installations militaires pour attaquer le Liban.

Entre-temps, le Hezbollah a diffusé des montages de prises de vue effectuées par drone et par imagerie satellitaire et enregistrées apparemment sans avoir été détectées, montrant des sites militaires, des centrales électriques et des sites d’extraction pétrolière israéliens – tous étant des cibles potentielles en cas de confrontation militaire à grande échelle.

António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a lancé une mise en garde :

« Les habitants de la région et les gens du monde entier ne peuvent accepter que le Liban devienne un autre Gaza. »

Guterres a ajouté qu’

« un geste irréfléchi – une erreur de calcul – pouvait déclencher une catastrophe qui irait bien au-delà de la frontière et, franchement, bien au-delà de toute imagination ».

Les EU disent qu’ils n’ont pas envie d’assister à une telle escalade, mais ils n’ont en aucun cas agi de façon décisive pour l’empêcher.

Jake Sullivan, conseiller en sécurité nationale du président Joe Biden, a admis récemment qu’un cessez-le-feu à Gaza allait favoriser « le calme au Liban ».

Pourtant, Washington ne cesse d’aider Israël à prolonger la guerre à Gaza, au détriment de la vie des Palestiniens et des Libanais.

Mais la diplomatie à la dérive de Washington ne se soldera pas de façon heureuse pour son allié génocidaire. Le soutien inconditionnel et sans hésitation de Washington à Tel-Aviv encourage Israël à s’embarquer sur la voie de l’autodestruction.

L’encre ne manque pas en Israël, à propos de la rupture interne imminente, comme le fait remarquer l’écrivaine Helena Cobban.

L’administration Biden a, dit-on, formulé des garanties qu’elle allait soutenir pleinement son allié dans une guerre contre le Hezbollah, mais sans toutefois déployer des troupes américaines.

Une telle guerre se traduirait par l’obligation pour les Israéliens de passer toute une année dans leurs abris anti-bombes, a fait savoir l‘analyste militaire Elijah Magnier :

 

Vidéo Israël vs Hezbollah (en anglais) :

 

 

Shaul Goldstein, le patron de la société responsable du planning des infrastructures électriques d’Israël, l’a dit carrément : « Nous ne sommes pas préparés pour une vraie guerre. »

 

Prudence

L’impasse dans laquelle se trouve Israël face aux Brigades Qassam du Hamas à Gaza devrait l’inciter davantage à la prudence quant à une confrontation avec un ennemi bien plus impressionnant au Liban.

Au lieu de rompre le soutien populaire à la résistance armée, le Hamas gagne en force, et de façon non négligeable en raison de la brutalité et de l’ampleur des destructions infligées aux Palestiniens de Gaza.

Dans une analyse récente destinée à Foreign Affairs, Robert Pape, un politologue qui n’éprouve guère de sympathie pour le Hamas, examine « pourquoi la stratégie perdante d’Israël rend son ennemi plus fort ».

Pape explique que, pour des organisations comme le Hamas, la capacité de recruter des combattants désireux de mourir pour la cause est une source clé de son pouvoir. Et la capacité de recruter est enracinée dans

« l’échelle et l’intensité du soutien qu’un groupe tire de sa communauté ».

Les sondages d’opinion montrent un soutien répandu au Hamas de la part des Palestiniens, bien plus important que celui engrangé par son principal rival, la faction du Fatah. Au lieu de battre les Palestiniens et de les soumettre, la campagne militaire d’Israël à Gaza a vu une montée correspondante du soutien des Palestiniens à la résistance armée contre Israël.

Pape attribue également la popularité à la hausse du Hamas à ce qu’il appelle sa « propagande sophistiquée », avec les vidéos de ses forces infligeant des coups aux troupes israéliennes à Gaza.

Et, alors que ces vidéos peuvent évidemment avoir quelque chose de convaincant, la popularité et la légitimité d’organisations comme le Hamas au sein des communautés qui les ont vues naître, sont mieux comprises dans le cadre de la résistance autochtone contre un oppresseur étranger.

Le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et d’autres acteurs régionaux comme Ansarullah au Yémen sont nés de l’occupation étrangère et de son refus d’accorder l’autodétermination.

Il n’y aura pas de paix tant que le contexte qui donne naissance à la résistance armée ne changera pas fondamentalement, et il n’y aura pas de changement fondamental sans résistance armée.

 

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 25 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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