Gaza : les buts affirmés d’Israël ne sont qu’un mensonge grandiloquent
Lorsqu’on se trouve à Gaza et qu’on voit les destructions de tout près, la conclusion la plus évidente est que les buts affirmés d’Israël ne sont qu’un mensonge grandiloquent, du même tonneau que « un peuple sans terre pour une terre sans peuple », emballé et vendu au monde entier.
Susan Abulhawa, 27 juin 2024
Les maths sont très utiles afin de prouver ce que je dis.
Et voici donc quelques chiffres pour commencer.
Destruction de bâtiments
•En avril 2024, quelque 360 000 bâtiments ont été détruits, parmi lesquels 405 écoles et universités, 700 hôpitaux et antennes de soins de santé, 290 mosquées et trois églises. Au vu de l’estimation de l’organisation de contrôle de l’ONU, l’OCHA, qui dit qu’à chaque heure, 12 bâtiments sont détruits à Gaza, le chiffre calculé en tenant compte des mois de mai et de juin est de 377 280 bâtiments.
Morts et blessures dues aux tirs directs
•Le nombre de martyrs enregistré ce mercredi était de 37 718. Il convient de remarquer que ce chiffre ne comprend que les martyrs qui ont été identifiés au moyen de leur nom et de leur numéro d’identification civile via le ministère de la santé à Gaza, qui est soumis à un siège permanent. En raison des pannes des systèmes d’enregistrement imputables aux destructions sévères des infrastructures et aux pertes de personnel, ce chiffre constitue une sous-estimation flagrante, même avec ses paramètres limités. En s’appuyant sur les chiffres plus appropriés d’environ 370 personnes tuées quotidiennement, multipliés par 264 (le nombre de jours écoulés depuis le début du génocide), le nombre réel est plutôt proche de 97 680 martyrs. (Selon l’estimation de l’OCHA, de 15 martyrs par heure, en 264 jours, c’est-à-dire 6 336 heures, ce nombre serait d’environ 95 040 martyrs.).
•L’estimation corrigée du nombre de martyrs est de 260 pour 100 supérieure au nombre stagnant signalé. Il est raisonnable d’ajuster le nombre de blessés (actuellement de 86 377) selon le même pourcentage, ce qui porterait ce nombre à 224 580. (Selon l’estimation de l’OCHA, de 35 blessés par heure, ce nombre serait de 221 760.)
La mort par manque de médicaments et en raison de conditions chroniques
•Remarque importante : Le nombre ci-dessus ne reprend pas les milliers de martyrs non identifiés, dont certains ont été retrouvés dans des fosses communes ; ni ceux qui sont arrivés sans tête ou déchiquetés en fragments impossibles à identifier ; ni ceux qui ont été inhumés par leurs proches sans passer par le système des hôpitaux ; ni ceux qui sont morts de faim ; ni ceux qui sont morts en raison du manque d’accès à des médicaments d’importance vitale ; ni ceux qui sont morts d’infections ou de maladies contagieuses.
•En tenant compte de 1 100 patients devant être dialysés, de 2 000 cancéreux et de 341 000 individus dépendant de médicaments pour gérer des maladies chroniques (45 000 maladies cardiovasculaires, 71 000 diabètes, 225 000 hypertensions), la pénurie extrême de médicaments vitaux n’a cessé – et cela ne s’arrêtera pas – de provoquer des décès dus au fait qu’Israël empêche le passage des fournitures en tous genres. Si une estimation très prudente de 5 pour 100 de ces patients doivent mourir pour cette raison (et s’ils ne sont pas déjà morts), cela nous fait encore 17 050 personnes de plus.
•Cependant, un taux de mortalité plus exact (toutes causes confondues), pour un diabète mal traité, est de 13,6 pour 100 (portant la mortalité à 9 869 personnes) ; de 37 pour 100 pour une hypertension non contrôlée (se traduisant par 83 250 personnes) ; les dialyses non effectuées et les patients du cancer auront un taux de mortalité très élevé. Une estimation prudente pour ce groupe est de 30 pour 100, soit 930 patients.
•Ensemble, cela nous fait 94 049 personnes (je ne prends pas les maladies cardiovasculaires uniquement, puisque les patients tendent à présenter des comorbidités et qu’il y aurait de ce fait un chevauchement dans les chiffres).
Les personnes mortes ou en train de mourir de faim
•Selon un rapport de la Classification de la sécurité alimentaire intégrée appuyée par l’ONU (IPC), quelque 495 000 Palestiniens de Gaza sont confrontés à une faim « catastrophique », ce qui signifie qu’ils souffrent d’un manque extrême de nourriture débouchant sur une malnutrition aiguë parmi les jeunes enfants, un risque imminent de faim permanente et donc de mort. Si nous y allons d’une estimation prudente de 5 pour 100 de décès de faim dans cette population, nous en arrivons à 24 750 personnes mortes ou en train de mourir de faim.
•La mortalité basée sur des données pour la malnutrition aiguë est approximativement de 20 pour 100. Cependant, la classification actuelle n’a pas encore atteint des niveaux de famine totale, ce qui rend raisonnable l’estimation actuelle.
Les personnes portées manquantes, présumées mortes ou kidnappées
•Environ 21 000 enfants ont été portés disparus et n’entrent pas dans les comptes. Certains sont restés coincés sous les décombres, certains ont été kidnappés par les soldats israéliens, alors que d’autres se sont tout simplement égarés dans le chaos. Étant donné la proportion relativement égale entre adultes et enfants à Gaza, on peut présumer avec une certaine certitude que le nombre des adultes non repris est du même ordre, ce qui multiplie par deux ce nombre de personnes manquantes et le porte ainsi à 42 000.
La mort par maladie
•En raison de la destruction des infrastructures de l’eau et de son assainissement, associée aux restrictions sur l’entrée de l’aide à Gaza, l’offensive israélienne a débouché sur une propagation de maladies transmissibles et causées par l’eau, comme la jaunisse aiguë (due principalement à l’hépatite A), la diarrhée aiguë (accompagnée de sang dans les selles), la gale et les poux, les démangeaisons cutanées, la variole et les infections respiratoires aiguës, qui atteignaient un total de 1 440 805 cas à la date du 10 juin. Si un seul pour 100 de ces patients succombent à ces conditions graves, cela nous donnera quelque chose comme 14 408 individus tués indirectement par le siège et les bombardements israéliens de Gaza.
•La mortalité résultant de la jaunisse aiguë ou hépatite A est faible (2,5 pour 100 chez les adultes et moins de 1 pour 100 chez les enfants) ; donc une estimation de mortalité de 1 pour 100 convient pour cette catégorie, soit 817 personnes) ; la mortalité résultant de la diarrhée va de 4,27 à 12 pour 100 (de 20 722 à 58 238 personnes) ; la mortalité due à la variole est de 1 à 3 pour 100, en fonction de la pression (de 854 à 2 561 personnes) ; le taux de mortalité due à des troubles respiratoires aigus va de 27 à 45 pour 100, selon la sévérité (ou entre 233 592 et 389 320 personnes). Tout mis ensemble et ajusté aux données scientifiques, les chiffres pour cette catégorie de martyrs vont de 255 985 à 450 936 personnes.
Résumés des estimations
En s’appuyant sur ces estimations, tant prudentes que déduites des données, les chiffres réels sont de l’ordre de grandeur suivant :
•377 280 bâtiments détruits complètement ou en partie
•Entre 95 040 et 97 680 martyrs
•221 760 blessés
•24 750 personnes mortes ou en train de mourir de faim
•42 000 personnes portées manquantes (présumées mortes, kidnappées par les forces d’occupation israéliennes, voire peut-être victimes de l’un ou l’autre trafic).
Les chiffres suivants représentent une estimation prudente ou la fourchette inférieure de population basée sur les données :
•Entre 17 050 et 94 049 personnes atteintes de maladies chroniques et mortes par manque de médicaments
•Entre 14 408 et 255 985 personnes mortes d’épidémies résultant de l’offensive israélienne
Cela signifie que le nombre réel de morts est plus proche d’entre 194 768 et 511 824 personnes, avec 221 760 blessés. Et ce n’est qu’un début.
Ces chiffres ne comprennent pas les milliers de personnes qui ont été kidnappées et sont actuellement torturées dans les goulags israéliens : trois douzaines d’entre elles au moins ont été torturées à mort ou sont mortes dans des conditions extrêmement insupportables.
Certaines vies comptent plus que d’autres
Les estimations ici sont raisonnables mais des études sur le terrain doivent être réalisées immédiatement. Les institutions internationales doivent évaluer d’urgence la mortalité réelle, toutes causes confondues, résultant directement et indirectement de l’offensive israélienne contre Gaza.
Jusqu’à présent, des 240 captifs israéliens à Gaza, on suppose qu‘Israël en a tué lui-même 50, soit directement (en les abattant), soit indirectement (en bombardant les bâtiments dans lesquels ils se trouvaient) et a assuré la libération de 112 d’entre eux : 105 via des accords négociés avec le Hamas, et sept au cours de missions de « sauvetage ».
La mission de « sauvetage » direct la plus récente s’est traduite par la libération de quatre captifs dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Un total de 274 Palestiniens et plusieurs captifs israéliens ont été tués au cours de la même opération.
Au moins un représentant américain estime qu’il vaut la peine de sacrifier des centaines de Palestiniens pour quatre Israéliens. Il semble que seules certaines vies comptent.
Je laisse les lecteurs calculer eux-mêmes quel est le niveau de mort et de destruction infligés à Gaza par captif ou par combattant du Hamas.
Il ne peut y avoir qu’une seule conclusion, entre les deux proposées ici. Soit l’armée israélienne est la force la plus incompétente à avoir jamais opéré sur cette planète – et elle n’est dotée d’aucune capacité fiable de collecte de renseignements – soit Israël est une nation sadique animée d’une intention de génocide contre une population autochtone, et son projet ressemble donc très fortement à tous les projets coloniaux de peuplement qui ont émaillé l’histoire.
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Publié le 27 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Susan Abulhawa est née en 1967 en Palestine, de parents réfugiés de la guerre des Six-Jours. Élevée en partie au Koweït, en Jordanie et dans la partie occupée de Jérusalem-Est, elle vit maintenant aux États-Unis.
Susan Abulhawa est l’auteur de « Les Matins de Jénine » (édité en français chez Buchet-Chastel en 2008), qui a remporté le Best Book Award 2007 dans la catégorie Fiction historique.
Elle est commentatrice politique, activiste pour les droits humains et fondatrice d’une organisation internationale pour la défense des enfants.
Son premier recueil de poésie « My voice sought the wind » est publié en 2013 chez Just World Books. Sa deuxième publication en français, « Le Bleu entre le ciel et la mer » (« The Blue between Sky and Water »), est édité chez Denoël, en 2016. Son dernier roman s’appelle Against the Loveless World. Bloomsbury et est édité chez Bloomsburry, Londres, en 2020