Je suis une Palestinienne de Gaza et non une Gazaouie
Je suis une Palestinienne de Gaza et non une Gazaouie.
Je m’identifie comme une Palestinienne de Gaza, une ville côtière avec des racines profondes dans la Palestine historique.
Malak Hijazi, 27 juin 2024
Elle se distingue comme l’une des plus anciennes villes du monde. Elle transcende sa réputation en tant que zone de guerre uniquement ; nous ne dépendons pas de la seule aide humanitaire, pas plus que nous ne cherchons la pitié.
Les gens de Gaza ont de l’éducation, avec de nombreuses écoles et universités qui enrichissent notre communauté, très bombardée actuellement en raison du génocide israélien en cours à Gaza.
De nombreuses plates-formes médiatiques occidentales décrivent les gens de Gaza comme des Gazaouis plutôt que comme des Palestiniens de Gaza. Toutefois, un grand nombre de résidents de la bande de Gaza ne sont pas d’ici, à l’origine, de sorte que dire d’eux qu’ils sont simplement des Gazaouis est trompeur.
En outre, Israël n’occupe pas Gaza ; il occupe toute la Palestine. Utiliser le terme « Gazaouis » au lieu de « Palestiniens de Gaza » peut déboucher sur un isolement politique et social, puisqu’il se concentre uniquement sur la géographie plutôt que sur une identité plus large en présentant Gaza comme une sorte de no man’s land complètement muré.
Insister sur « Palestiniens de Gaza » souligne la connexion avec le combat plus large pour l’autodétermination en les situant au sein même du discours et du contexte palestiniens élargis.
Les images d’enfants affamés et de familles sans logis inondent les médias sociaux, mettant en exergue de nombreuses tragédies humanitaires.
Toutefois, il est impératif de rappeler que toutes ces choses sont des retombées de l’occupation israélienne, dont Israël porte la responsabilité première, dans le même temps que l’impunité accordée par les Américains perpétue les souffrances.
Se contenter de présenter les Palestiniens à Gaza uniquement au travers de ces images réduit notre cause à une simple question humanitaire tout en réduisant ses dimensions politiques.
Une oppression systémique
L’administration américaine grossit toujours l’importance de l’apport d’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza et ignore complètement le fait qu’un cessez-le-feu immédiat et un retrait israélien sont essentiels.
Ce qui se passe en Palestine est une oppression systémique et une dépossession du peuple palestinien de sa terre, de ses ressources et de ses droits.
Avec des passages frontaliers ouverts, la catastrophe humanitaire ne connaîtrait pas l’escalade. Elle est systématique et calculée, en dépouillant les événements de leur contexte afin de prolonger la guerre le plus longtemps possible.
Le problème est que les médias sont en effet parvenus à promouvoir cette image des Palestiniens à Gaza. J’ai découvert cela quand j’ai quitté Gaza l’an dernier pour la première fois et que j’ai rencontré des gens de différentes communautés. Quand ils ont découvert que j’étais de Gaza, je me suis retrouvé bombardé de questions.
Ce questionnement persistant afin de savoir si les gens de Gaza se livrent à des activités quotidiennes comme le shopping, l’enseignement, le sport ou le voyage est devenu ennuyeux et offensant. Malgré la longueur du siège et de l’isolement, les 2,3 millions d’habitants de Gaza s’arrangent pour aller à l’école et à l’université, pour trouver de l’emploi et, parfois, pour voyager quand le passage de Rafah vers l’Égypte devient accessible.
En Égypte, il a été tout de suite manifeste pour les Égyptiens que je n’étais pas égyptienne. Les commerçants égyptiens m’imposaient des prix pour touristes quand j’achetais leur marchandise. Malgré mes tentatives en vue d’imiter leur dialecte, ils savaient toujours qui j’étais et ils m’accueillaient en me lançant un amical « bienvenue en Égypte ».
Toutefois, au Qatar, mes amis jordaniens, qui sont palestiniens à l’origine, se moquaient sans arrêt de ma façon de parler. Ils prétendaient que je parlais aussi vite que les Égyptiens et que j’avais des caractéristiques faciales et un sens de l’humour similaires à ceux de ces mêmes Égyptiens. Ils sont même allés jusqu’à suggérer que les Gazaouis étaient à l’origine des Égyptiens, un discours que j’ai trouvé plutôt déroutant.
Alors que cela ne me pose pas de problème de ressembler à un Égyptien ou de parler comme lui ou même d’avoir des origines égyptiennes, mes grands-parents, en fait, sont des Palestiniens de Dayr Sunayd. Ils célébraient le Festival de Nabi Rubin (un village situé à 18 km au sud de Jaffa, NdT) et passaient leurs vacances à Jaffa, qui était plus chic que la ville de Gaza, à l’époque, même si Gaza était plus proche. Ils ne célébraient jamais Sham Ennessim (un festival national égyptien, NdT) ni ne visitaient Alexandrie.
Je leur disais en plaisantant : « Vous ne pourriez être plus palestiniens que moi », puisque ma famille avait été élevée dans le camp de Jabaliya, où a éclaté la Première Intifada. Quand il était encore enfant, mon père a perdu d’innombrables fois son argent de poche tout en sautillant et en jetant des pierres aux soldats d’occupation israéliens.
Quand un professeur libanais a appris que j’étais de Gaza, il m’a dit en plaisantant : « Ainsi donc, tu n’es pas de la ‘Palestine réelle’ » et il s’est mis à rire tout seul de sa plaisanterie.
Pourquoi Gaza n’est-il pas considéré comme réel ? Pourquoi n’est-il pas considéré comme palestinien ? Je n’ai pas répondu. Je ne savais pas ce que je devais dire quand quelqu’un mettait en doute mon identité.
Un jour, alors que je donnais un exposé et que j’étais très excité par mon sujet, le seul commentaire que j’ai reçu de mon professeur était que je ne parlais pas comme une Gazaouie. Il avait dit que je parlais comme quelqu’un de Jérusalem.
Je n’ai jamais mis les pieds à Jérusalem et je n’ai jamais entendu parler quelqu’un de là. J’aurais voulu lui dire qu’à Gaza, il y avait de nombreux dialectes. Vous ne pouvez vous attendre à un seul dialecte pour plus de 2 millions de personnes, dont 70 pour 100 sont des réfugiés originaires de diverses villes et villages de Palestine.
Toutefois, je m’étais abstenu de lui dire quoi que ce soit, parce que j’étais tout simplement soulagé de voir que mon professeur n’avait pas éreinté mon travail.
Des rencontres révélatrices
Un jour, j’ai fait la rencontre passablement intrigante d’une fille de Naplouse, une ville que mon père aimait beaucoup, de l’époque où il était à l’université. Il rêvait souvent d’y retourner, mais les restrictions israéliennes rendaient la chose impossible.
De façon surprenante, la première question de la fille ne concernait pas notre identité palestinienne partagée, mais elle voulait savoir si Abu Obaida, le porte-parole du Hamas, était un parent, une question dont je me serais attendu de la part d’un Israélien, mais pas d’une compatriote palestinienne. Elle se disait choquée par le recours de l’armée israélienne aux bombardements, plutôt que d’exprimer ses appréhensions pour Gaza. Elle ignorait complètement que les Palestiniens de Gaza ne peuvent se rendre en Cisjordanie.
C’était étrange. Malgré nos contextes géographiques différents – moi, qui viens d’un village côtier et elle d’une localité de montagne – nous partageons un héritage palestinien. C’était étrange d’être questionné à propos des plats traditionnels à Gaza. Gaza n’est pas un pays indépendant; il fait partie de la Palestine. Je n’ai pas besoin de dire aux autres Palestiniens que, comme eux, je mange de la maqlouba ou de la mujadara.
Lors de la Foire du Livre de Doha, où j’ai travaillé pendant une année, j’ai eu une conversation avec un client soudanais qui, au départ, m’avait pris pour un Syrien. En apprenant que j’étais un Palestinien de Gaza, il avait dit :
« Quoi qu’il en soit, vous avez une bonne éducation et vous êtes intelligent. »
Pourquoi présumait-il que les Gazaouis n’étaient pas intelligents ?
Cela m’avait irrité encore plus quand il m’avait demandé s’il y avait des écoles et des universités à Gaza. Cela ne différait pas de l’époque où un Américain avait été surpris d’apprendre que j’étais de Gaza et que j’avais Snapchat sur mon téléphone, comme si télécharger une application était une tâche ardue.
Ce qui m’avait brisé le cœur encore plus, c’est quand j’avais dit : « Gaza me manque vraiment », et un collègue syrien m’avait répondu :
« Qu’est-ce qui te manque ? La destruction ? Quand les Syriens disent que Damas leur manque, il y a là quelque chose de tangible à quoi ils peuvent aspirer. Vous n’avez même pas cela. »
Ces mots m’accablaient lourdement, non seulement parce qu’ils étaient inappropriés, mais aussi parce qu’ils venaient d’un Arabe, et non d’un Occidental.
À ceux qui sont induits en erreur par les images de bombardements : L’agression en Palestine s’étend bien au-delà de Gaza, et Gaza n’est pas une région autonome mais plutôt une partie de la Palestine occupée.
Ces réalités ne font pas de moi un étranger. Les gens de Gaza ne cherchent pas la sympathie de la communauté internationale. L’aide humanitaire est juste un aspect de leurs besoins. Gaza est la patrie de nombreux individus talentueux et autres intellectuels.
Les Palestiniens de Gaza cherchent tout simplement à être traités comme des humains ordinaires, méritant le respect parce qu’ils font preuve de résilience en se hasardant dans la vie quotidienne au milieu d’une adversité épouvantable.
Le génocide
Il ne s’agit pas non plus d’une guerre ou d’un conflit entre le Hamas et Israël.
Il s’agit d’un génocide perpétré par l’occupation israélienne contre les Palestiniens de la bande de Gaza.
Cela n’a jamais tourné autour des otages ; c’est un prétexte pour poursuivre le nettoyage ethnique qui a débuté en 1948.
Les Palestiniens de Cisjordanie ne vivent pas pour l’instant leur meilleure époque ; les soldats israéliens ont envahi les camps de Jénine et de Tulkarem des dizaines de fois, tuant bien des gens sur place. Ils ont établi plus de checkpoints militaires encore. La violence des colons a significativement augmenté depuis le 7 octobre et les projets de peuplement se sont étendus à un rythme effrayant.
Israël ne nous traite jamais comme des Gazaouis ou comme des Cisjordaniens ; Israël nous traite comme des Palestiniens qui méritent une seule chose : être tués, arrêtés ou expulsés.
Et si le projet d’expulsion américano-israélien est mené à bien dans la bande de Gaza, il sera appliqué de la même façon en Cisjordanie.
Ne me dites pas que je suis une Gazaouie. Je suis un Palestinienne de Gaza qui vit sous une menace israélienne constante envers son existence, comme c’est exactement le cas pour tous les autres Palestiniens.
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Malak Hijazi est écrivain et vit à Gaza.
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Publié le 27 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine