Une offensive israélienne des plus meurtrières détruit 70 pour 100 des rues de Jénine

Une offensive de l’armée israélienne en Cisjordanie occupée est entrée dans son septième jour, mardi, détruisant dans son sillage la grande majorité des infrastructures routières du camp de réfugiés de Jénine.

 

31 août 2024. Les bulldozers de l'armée israélienne ont arraché le revêtement de 70 pour 100 des rues de Jénine, détruisant plus d'une vingtaine de kilomètres du réseau de distribution d'eau et des égouts de la ville.

31 août 2024. Les bulldozers de l’armée israélienne ont arraché le revêtement de 70 pour 100 des rues de Jénine, détruisant plus d’une vingtaine de kilomètres du réseau de distribution d’eau et des égouts de la ville. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)

 

Tamara Nassar, 4 septembre 2024

D’après le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne, depuis le 28 août, l’offensive israélienne a tué au moins 33 Palestiniens, dont sept enfants, et en a blessé près de 130, au moment où les troupes sionistes ont lancé leur grande opération meurtrière contre les camps de Jénine, de Nur Shams à l’est de Tulkarem, et d‘al-Faraa, dans les contreforts de la vallée du Jourdain, au sud de Tubas.

Des centaines de soldats à bord de jeeps militaires et assistés par des bulldozers et des drones ont bloqué hermétiquement les villes et les camps de réfugiés et ont infligé une dévastation généralisée aux infrastructures, aux routes et aux réseaux de distribution d’eau.

L’armée a également coupé le courant.

Ces raids ont lieu sous la direction du Shin Bet, l’agence intérieure israélienne d’espionnage et de torture.

Au moins 19 Palestiniens ont été massacrés par les forces israéliennes dans le gouvernorat de Jénine, quatre à Tubas, sept à Tulkarem et trois dans la zone sud de Hébron, a également rapporté le ministère de la Santé.

On dit de l’offensive israélienne qu’elle est la plus grande depuis la seconde intifada, voici plus de 20 ans.

Les tueries qui se suivent depuis mercredi dernier portent à plus de 650 le nombre de Palestiniens tués par les forces d’occupation israéliennes et les colons en Cisjordanie occupée depuis le 7 octobre. Des milliers d’autres ont été blessés dans cette recrudescence de la violence israélienne qui n’est dépassée que par l’ampleur de la boucherie qui se déroule à Gaza.

Au moins 156 des tués en Cisjordanie occupée étaient des enfants, dont deux citoyens américains.

 

L’attaque contre Jénine

Malgré des rapports à propos du retrait non officiel des troupes israéliennes des zones de Tulkarem et de Tubas, elles continuent d’opérer à Tulkarem, où elles ont provoqué des destructions quasi généralisées.

Muhammad Abdullah Kanaan, 14 ans, rendait visite à son frère aîné en compagnie de son père quand, le 28 août, les forces israéliennes ont entamé l’offensive contre le nord de la Cisjordanie occupée. Cette attaque les a empêchés de retourner chez eux, au camp de réfugiés de Tulkarem.

Quand les forces israéliennes ont semblé se retirer plus ou moins de la zone, Muhammad et son père ont tenté de rentrer chez eux, au camp.

Un tireur embusqué israélien planqué dans un bâtiment résidentiel à l’entrée du camp a tiré sur l’adolescent et sur son père, frappant Muhammad d’une balle en pleine tête à une distance de 250 mètres et blessant le père à la poitrine.

À l’aube du 2 septembre, les forces israéliennes accompagnées de bulldozers ont envahi Tulkarem et son camp de réfugiés, encerclant les hôpitaux, patrouillant dans les rues et attaquant les résidents palestiniens.

Pendant ce temps, elles intensifiaient également leur attaque contre le camp de réfugiés de Jénine, en l’assiégeant et en le laissant sans vivres ni eau ni électricité.

Les forces israéliennes ont fait sauter des maisons du camp, qui héberge 20 000 Palestiniens.

Les militaires ont démoli des magasins commerciaux, ont défoncé les routes à l’aide de leurs bulldozers et ont arrêté et interrogé des résidents.

L’offensive israélienne en cours, estime l’armée, a forcé 85 pour 100 de la population du camp à fuir, surtout vers la ville de Jénine.

Ceux qui sont restés se sont terrés chez eux, bien que 80 pour 100 du camp n’ait plus accès à l’eau, a déclaré la municipalité de Jénine.

Israël a sorti un ordre d’évacuation vers un hôpital public de Jénine, lequel traite actuellement quelque 150 patients.

Vu l’intensification des attaques israéliennes, certains restaurants et commerces de la zone ont annoncé qu’ils distribueraient gratuitement du pain, des légumes et des denrées alimentaires aux résidents.

Le 31 août 2024, en pleine offensive militaire israélienne, des Palestiniens s'enfuient du camp de réfugiés de Jénine.

Le 31 août 2024, en pleine offensive militaire israélienne, des Palestinien.ne.s s’enfuient du camp de réfugiés de Jénine. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)

 

Mardi, les forces israéliennes ont assiégé la maison d’un Palestinien « recherché » et l’ont criblée d’obus et de balles.

Lujain Osama Musleh, une adolescente de 16 ans, était à l’intérieur de sa maison familiale à une cinquantaine de mètres de là quand un sniper israélien lui a tiré une balle dans la tête par une fenêtre, a rapporté Defense for Children International – Palestine (DCI-P).

Ensuite, pendant une dizaine de minutes, les forces israéliennes ont empêché une ambulance d’atteindre Lujain. Finalement, quand elle a pu être transférée à l’hôpital public de Jénine, on a annoncé qu’elle était décédée entre-temps.

Le 1er septembre, les forces israéliennes ont pourchassé et abattu deux adolescents roulant à moto près de l’entrée du village de Kafr Dan, à l’ouest de Jénine.

Samedi après-midi, Abdullah Abdulnaser Masoud, 17 ans, et son cousin de 12 ans, Muhammad Mahmoud Masoud, se trouvaient tous deux sur le siège arrière d’une moto conduite par le frère d’Abdullah, Amir, âgé de 23 ans.

Ils revenaient à cet instant de Jénine, assiégée sans accès à la nourriture, « après avoir livré des sacs de pain », a révélé une enquête de DCI-P sur le terrain.

Trois véhicules de l’armée israélienne les ont pourchassés alors qu’ils retournaient vers leur village.

Amir, qui conduisait, a perdu le contrôle de la moto et les deux ados sont tombés sur le sol, puis ont continué à courir vers l’entrée de leur village.

Cinq soldats israéliens sont descendus de leurs véhicules et ont tiré à balles réelles sur les garçons à une distance de 40 mètres. Les balles ont frappé l’ado de 17 ans à la tête et celui de 12 ans à deux reprises dans le dos – une des balles ressortant par devant.

Les soldats israéliens ont alors empêché pendant 40 minutes les ambulances d’atteindre les garçons, selon l’enquête de DCI-P.

Quand les garçons sont arrivés à l’hôpital, on n’a pu que constater leur décès.

Après avoir tué les deux ados, les forces israéliennes ont ensuite arrêté Amir.

Plus tard, le soir même, des véhicules israéliens ont envahi le village de Silat al-Harithiya, au nord-ouest de Jénine, ce qui a incité les habitants à affronter les soldats afin de défendre leur village.

Deux enfants palestiniens auraient lancé des explosifs artisanaux en direction des véhicules.

Quelque 40 minutes plus tard, un missile tiré depuis un drone israélien a ciblé les deux adolescents, tuant Laith Marwan Shawahneh, 16 ans, et blessant grièvement l’autre enfant, qui a été hospitalisé dans un état critique, a rapporté DCI-P.

 

Destruction de la plupart des rues

Les bulldozers de l’armée israélienne ont arraché le revêtement de près de 70 pour 100 des rues de Jénine et ont détruit plus de 20 kilomètres du réseau de distribution d’eau et des égouts de la ville, a déclaré la municipalité de Jénine.

Des prises de vue publiées dans les médias sociaux montrent des bulldozers détruisant la voirie et les devantures des maisons et commerces.

L’armée israélienne dit qu’elle procède de la sorte afin de dissuader les organisations de résistance de poser des engins explosifs en dessous des routes.

Les Palestiniens peuvent faire exploser ces engins à distance, lesquels ont déjà tué et blessé un certain nombre de soldats israéliens, ces derniers mois.

Ces engins ont été plus largement utilisés par la résistance armée dans les zones nord afin de résister aux incursions israéliennes dans leurs camps de réfugiés et dans leurs quartiers.

Les engins explosifs improvisés

« constituent la principale méthode de défense des camps »

affirme Jon Elmer, un journaliste contributeur de The Electronic Intifada.

Les bulldozers israéliens défoncent les rues, détruisent les infrastructures civiles, les magasins et les zones résidentielles. Les énormes véhicules endommagent également les réseaux de distribution d’eau et les égouts, ils empêchent tout mouvement, y compris celui des ambulances qui tentent d’atteindre les blessés.

Bien que toute cette destruction des infrastructures vitales soit provoquée sous le prétexte d’extraire d’éventuels engins explosifs des routes, les Palestiniens interprètent ces pratiques comme des punitions collectives en guise de représailles.

 

Des Palestiniens examinent les dégâts des rues défoncées par les bulldozers israéliens le 1er septembre, après un raid de l'armée sioniste dans le quartier est de la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée.

Des Palestiniens examinent les dégâts des rues défoncées par les bulldozers israéliens le 1er septembre, après un raid de l’armée sioniste dans le quartier est de la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)

 

De plus, il est loin d’être certain que cette tactique soit efficace pour réduire la menace des engins explosifs improvisés, qui se sont grandement améliorés, ces derniers mois.

« En transformant les rues en gravats, on peut enterrer plus facilement et plus rapidement des explosifs dans le sol, parce qu’il n’est plus recouvert d’asphalte, après quoi on peut les dissimuler sous les gravats qu’on a déterrés »,

dit Elmer.

« Les Israéliens disent que cela leur donne la liberté d’opérer mais, en réalité, cela facilite le placement des explosifs mêmes – de sorte qu’il s’agit tout simplement d’une mesure punitive »,

ajoute Elmer.

« C’est une punition pour les camps, en raison de leur méthode de défense. »

Un journaliste du Times of Israel a demandé à un officier israélien du génie si cela rendait plus difficile à l’avenir de localiser des nouvelles bombes posées sous des routes défoncées, à quoi l’homme a répondu qu’il s’agissait en effet d’« un dilemme ».

Un soldat israélien a été tué le 27 août au cours d’affrontements entre les troupes israéliennes et les combattants de la résistance armée à Jénine qui défendaient le camp de réfugiés au moment de l’offensive.

 

Un « mini Gaza »

Les appels des dirigeants israéliens à transformer la Cisjordanie en un « mini Gaza » « se traduisent en opérations militaires », a mis en garde lundi le bureau des droits humains aux Nations unies.

« La violence génocidaire d’Israël risque de s’étendre de Gaza et de gagner les territoires palestiniens occupés dans leur ensemble »,

a déclaré Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et Gaza.

« Il y a de plus en plus de preuves qu’aucun Palestinien n’est en sécurité sous le contrôle sans entrave d’Israël. »

Francesca Albanese a mis en garde :

« L’État d’apartheid israélien cible Gaza et la Cisjordanie en même temps, dans le cadre d’un processus général d’élimination, de remplacement et d’expansion territoriale. »

« La très longue impunité octroyée à Israël facilite la dé-palestinisation des territoires occupés, laissant les Palestiniens à la merci des forces qui poursuivent leur élimination en tant que groupe national. »

 

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Publié le 4 septembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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