La salade du jardin suspendu repousse la faim et le génocide
Omar avait décidé de ne pas obéir aux ordres de l’armée israélienne d’évacuer le nord de la bande de Gaza au début du génocide, le 7 octobre 2023. Il avait décidé de rester chez lui.
Rasha Abou Jalal, 29 août 2024
Parmi les grondements des incessants bombardements israéliens, mon frère Omar a cueilli sa première tomate et son premier concombre de la petite pépinière qu’il a installée sur le toit de sa maison.
« C’était la première salade que j’ai eue depuis des mois »,
m’a dit mon frère lors d’une conversation téléphonique.
« Je me sens comme si j’avais réalisé quelque chose d’aussi fort que Neil Armstrong quand il a posé le pied sur la lune. »
Omar avait décidé de ne pas obéir aux ordres de l’armée israélienne d’évacuer le nord de la bande de Gaza au début du génocide, le 7 octobre 2023. Il avait décidé de rester chez lui.
Mais Omar avait peur pour sa femme et ses enfants, si bien qu’il les a fait partir avec ma famille et moi vers le sud de la bande de Gaza.
Depuis lors, hormis quelques déplacements temporaires pour des raisons de sécurité, Omar a vécu seul dans sa maison.
Les forces israéliennes ont débarqué le 27 octobre dans le quartier résidentiel de Gaza où vit mon frère.
L’armée israélienne a empêché l’entrée de vivres élémentaires tels légumes et viande dans le nord de la bande de Gaza, tentant ainsi de faire fuir les résidents vers le sud.
Malgré cela, des dizaines de milliers de citoyens, comme mon frère Omar, restent opiniâtrement chez eux dans le nord et refusent de s’en aller.
Du fait de la « politique d’affamement » et de la destruction par Israël des zones agricoles de la ville, les prix des légumes ont augmenté de façon exponentielle.
Avant qu’Israël ne lance ses attaques, un kilo de tomates coûtait deux shekels (environ 55 cents). Aujourd’hui, son prix peut être de 300 shekels (81,77 dollars). Le prix d’un kilo de poivrons verts ne dépassait pas 5 shekels (1,36 dollar). Aujourd’hui, il peut atteindre 600 shekels (plus de 160 dollars).
Un jardin sur le toit
Pour tenter de se nourrir, Omar, comme bien des résidents du nord de la bande de Gaza, a planté diverses variétés de légumes sur le toit de sa maison.
Omar a racheté des bassins et des cuvettes dans ce qu’il restait d’exploitations agricoles détruites, les a placés sur le toit de sa maison et les a remplis de terre. Il a pu extraire les graines des légumes qu’il avait et, en mars dernier, il les a plantées dans ses récipients.
Omar a planté des tomates, des concombres, des aubergines et des pommes de terre, et ça l’a aidé à se souvenir du rôle que l’agriculture tant à petite qu’à grande échelle a pu jouer dans l’enclave.
Selon le Centre satellite des Nations unies et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies (FAO), la bande de Gaza dispose de 151 kilomètres carrés de terres agricoles, ce qui constitue environ 41 pour 100 de la superficie du territoire côtier.
La contribution du secteur agricole au PIB de la bande de Gaza s’élevait à environ 11 pour 100, en 2022, détaillait un rapport publié par le Bureau central palestinien de la statistique.
Un autre rapport, cette fois d’Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med), a fait savoir qu’au cours de la guerre actuelle, les forces d’occupation israéliennes ont détruit plus de 75 pour 100 des terres agricoles à Gaza.
« L’armée israélienne s’est employée méthodiquement à détruire le bétail, les terres agricoles et les fermes à volaille de façon constante et ce, dans l’intention manifeste d’affamer la population et de lui refuser l’accès aux aliments de base que sont les fruits, les légumes et la viande blanche ou rouge. Ceci a rendu la survie de la population dépendante de la décision israélienne de permettre ou d’interdire l’entrée de l’aide humanitaire »,
a écrit Euro-Med.
Omar dit que parfois d’énormes avions cargos parés des couleurs de la Jordanie, des EAU ou d’un autre pays ont largué des tonnes de nourriture. Des Gazaouis désespérés ont été tués ou blessés par l’armée israélienne qui traquait les convois de vivres ou par des largages humanitaires quand les parachutes ne s’ouvraient pas.
Hussam Abu Qamar, un généraliste des cliniques de l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, l’UNRWA, a expliqué à The Electronic Intifada que les résidents de Gaza
« souffraient de taux sévères de malnutrition en raison de la guerre en cours contre la bande de Gaza ».
Abu Qamar a ajouté que les résidents du nord de la bande de Gaza dépendaient de légumes en conserve, riches en conservateurs, comme source principale d’alimentation, mais que cet apport calorique ne contribuait guère à éviter la malnutrition.
Le bureau gouvernemental des médias de Gaza a déclaré en juin :
« Le recours à l’affamement, à la soif et au refus de soins médicaux comme arme par la brutale occupation sioniste au cours de cette agression sauvage est un crime de guerre aggravé qui confirme son crime incessant et majeur de génocide contre notre peuple à Gaza, et ce, au vu et au su du monde entier. »
Faire face à cette réalité rend probablement la salade d’Omar (qui est passé de 80 kg avant la guerre à 55 aujourd’hui) un peu plus goûteuse à mesure qu’il persévère face aux crimes de guerre et au génocide.
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Rasha Abou Jalal est journaliste. Elle vit et travaille à Gaza.
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Publié le 29 août 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine