Gaza : Une photo donne de l’espoir à la mère d’un homme porté manquant

L’espoir, c’est votre mère qui prend de l’âge et qui, tous les quelques jours, parcourt un kilomètre ou plus pour se rendre dans un café où l’on vend des cartes d’accès à Wi-Fi et pour demander à un employé sur place de relier son téléphone à internet.

 

Gaza : Une photo donne de l'espoir à la mère d'un homme porté manquant. Photo : En juillet, Al Jazeera a publié une prise de vue montrant deux hommes manifestement utilisés comme boucliers humains à Gaza. L'homme à droite sur la photo pourrait être le frère de l'auteur.

En juillet, Al Jazeera a publié une prise de vue montrant deux hommes manifestement utilisés comme boucliers humains à Gaza. L’homme à droite sur la photo pourrait être le frère de l’auteur.

Tamer Ajrami, 24 septembre 2024

Elles obtient une heure d’accès à internet pour 50 cents environ.

Elle m’appelle en Belgique, insiste pour parler, qu’importe la faiblesse de la connexion. Elle désespère de recevoir des nouvelles de son plus jeune fils (mon frère cadet), Ahmed. Elle ne cesse de demander après lui, qu’importe ce qui se passe autour de nous. Elle veut savoir.

Parfois, l’heure se termine alors qu’internet est trop faible pour qu’elle obtienne la moindre information.

Sa seule question est toujours : « Où est Ahmed ? »

« Il est porté manquant », lui dis-je.

Elle répond :

« Les gens fuient constamment, ils se déplacent de l’est vers l’ouest, d’une région vers l’autre. Les gens courent comme si c’était le Jour du Jugement. C’est terrifiant. Comment se fait-il que personne ne l’a encore vu ? »

Je tente de la réconforter, en lui disant :

« S’il était en face de toi, tu pourrais ne pas le reconnaître. Il pourrait avoir laissé pousser une barbe, ou perdu du poids… »

Elle acquiesce, et dit :

« Oui, c’est vrai, la guerre nous change tous. »

Mais, ensuite, elle s’effondre en pleurant pour son fils chauffeur de taxi.

« Mon petit me manque. Il me manque : je ne pouvais m’endormir sans être sûre qu’il était à la maison. Je lui cuisinais ses desserts favoris tous les jours. Il est la lumière de ma vie, mon soutien, mon bébé. »

 

Garder l’espoir

C’est comme si l’esprit de ma mère lui disait que le pire est arrivé.

Mais elle s’accroche à l’espoir.

Elle demande : « Comment pourrait-il supporter de ne pas m’appeler ? »

Je lui dis : « Il n’a pas de téléphone ; il ne peut pas communiquer. »

Cela l’apaise, du moins pendant quelque temps.

Un jour ou deux passent, puis les doutes reviennent et elle pleure de nouveau.

Pour moi, c’est clair. Mon cœur me dit qu’Ahmed n’est plus en vie.

Mon père et mes autres frères ont cherché dans tous les hôpitaux et ont interrogé tous nos amis et proches. Personne ne l’a vu. C’est comme s’il avait disparu dans l’atmosphère.

Qu’est-ce qui pourrait empêcher un jeune homme de contacter sa mère, à moins que quelque chose de terrible ne se soit produit ?

Pourrait-il avoir fui vers le nord ?

Mais personne ne l’a vu.

Pourquoi n’a-t-il contacté personne ?

 

La quête de réponses

Le problème des personnes manquantes à Gaza est significatif. Allez tout simplement sur Facebook et vous verrez d’innombrables messages implorant des informations :

« Untel ou Untel est porté manquant depuis un certain temps; la dernière fois qu’on l’a vu, il portait un t-shirt blanc dans telle ou telle zone. »

Les textes sont les mêmes, mais les histoires diffèrent. Il y a ceux qui pleurent la perte d’êtres bien-aimés. Savoir qu’ils ont été tués apporte au moins une réponse à la question « vivant ou mort ».

Les personnes manquantes se voient même refuser les rituels du décès. Leurs familles ne peuvent faire leur deuil ni organiser des funérailles. Elles sont laissées dans un vide, peut-être plus oubliées que d’autres encore. Même pleurer officiellement leurs morts va sans doute devoir attendre quatre ans avant qu’un tribunal ne les déclare morts.

La santé de ma mère est défaillante. Son taux de sucre dans le sang et sa tension artérielle sont élevés. Ses reins vont probablement la lâcher un jour ou l’autre, prédisent les médecins. Elle a déjà dû passer quatre jours à l’hôpital.

Elle me dit :

« Tamer, tu es notre espoir. Tu es en dehors de Gaza, demande autour de toi ; peut-être a-t-il [Ahmed] été emprisonné par l’armée d’occupation. »

Elle croit que si Ahmed avait su qu’elle était à l’hôpital, il serait venu en courant.

Peut-être ma mère a-t-elle raison ? Qui pourrait savoir cela mieux qu’une mère ?

C’est ainsi que j’ai loué les services d’un avocat à Jérusalem, Khaled Zabarqa, le meilleur que j’aie pu trouver. C’est l’avocat qui représentait Ahmed Manasra, qui a été condamné en 2016 à 12 ans de prison, alors qu’il n’avait que 14 ans.

L’affaire Manasra a déclenché un tollé au niveau international et les experts en droits humains ont dit :

« C’est une tache pour nous tous en tant que membres de la communauté internationale des droits de l’homme. »

J’ai demandé à Zabarqa de vérifier si mon frère était repris sur la liste des prisonniers détenus par le Service carcéral israélien (IPS). Je n’ai plus eu de ses nouvelles depuis tout un temps, mais je me suis accroché à l’espoir.

Ma mère a fini par se rendre à la boutique internet tous les jours, pour me demander : « L’avocat a-t-il répondu ? »

Je lui dis que je l’appellerai quand il y aura des nouvelles.

« Ne t’inquiète pas, je viendrai tous les jours », dit-elle.

« Je vais vendre ma bague. J’achète internet tous les jours, et je ne cesserai d’attendre. Quoi de neuf ? J’attends. »

Plusieurs jours se sont écoulés avant que Zabarqa ne me dise que le nom d’Ahmed ne figurait pas sur la liste des prisonniers en Israël.

J’ai dit à ma mère qu’Ahmed n’était pas en prison, qu’il était manquant.

Peut-être est-il à Rafah ou à Gaza, et la situation est difficile. J’essaie de la rassurer en lui disant qu’il l’appellera quand il en aura la possibilité.

Parfois, je parviens à la calmer. Parfois pas.

 

L’espoir revient

Vous pourriez vous demander ce que mon père pense de la situation.

C’est un homme fort, silencieux, qui accepte ce que le sort lui apporte.

À un moment, il m’a dit : « Ta mère est fatiguée. » Sans le dire explicitement, c’était comme s’il m’avait demandé de ne pas la priver de son rêve que son fils était vivant et qu’il allait la contacter.

Comme si mon père pouvait voir l’esprit de ma mère s’effacer.

Les gens à Gaza meurent de déchirement et de chagrin. L’espoir confère de la force à l’âme et apporte de la lumière dans les ténèbres.

Je crains les larmes de ma mère, de sorte que j’essaie de lui parler avec assurance, en lui disant qu’Ahmed va revenir.

J’ai même lancé une initiative, en offrant 200 dollars à toute personne qui le retrouverait et j’ai demandé à ma mère de faire passer le mot chez les amis à propos de la récompense.

Je lui dis :

« Il est peut-être allé dans le sud et il n’a pas voulu que tu sois triste parce qu’il s’en allait. »

Son espoir remonte, et elle dit :

« Quand il reviendra, je dirai à son père qu’il le réprimande, pour m’avoir fait passer par tout cela ! »

Je souris tristement, et je dis :

« D’abord, retrouvons-le et, alors, tu pourras faire tout ce que tu veux. »

Puis, le 17 août, l’espoir est revenu dans tous nos cœurs.

Une photo a été publiée en même temps qu’un article dans Haaretz. Elle montrait des Palestiniens utilisés comme boucliers humains devant un char.

J’ai senti qu’Ahmed pouvait être l’un d’eux. Il avait quitté la maison pour se rendre dans le sud et il pouvait avoir rencontré l’armée, qui l’aurait désormais utilisé comme bouclier humain.

Ma mère était sûre qu’il figurait bien sur la photo que nous avons vue. Notre père semblait sceptique.

J’ai ressenti de la joie, mais c’est alors que la crainte s’est installée.

Que s’est-il passé, après cela ?

L’armée l’a-t-elle forcé à entrer dans un tunnel qui a ensuite explosé ?

Et s’il avait refusé de coopérer et qu’ils l’avaient tué ?

A-t-il été emmené dans une prison secrète sans que son nom soit repris ?

Je ne sais pas. Mais, au moins, l’espoir est revenu chez ma mère.

C’est ainsi que, via WhatsApp, j’ai adressé un message à Zabarqa, l’avocat, en lui disant :

« C’est mon frère. La photo n’est pas claire, mais peut-être pourriez-vous découvrir ce qu’il est advenu des deux prisonniers sur la photo. »

Il m’a demandé : « Lequel est votre frère ? » Je lui ai dit : « Celui de droite, avec le t-shirt gris. »

Et, aujourd’hui, nous attendons en nous accrochant à une lueur d’espoir afin de soulager le cœur d’une femme âgée et rendre à mon père sa grâce habituelle.

 

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Tamer Ajrami est étudiant en Sciences politiques et vit en Belgique.

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Publié le 24 septembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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