Une interview de Khaled Barakat sur la résistance palestinienne
Orinoco Tribune a interviewé l’activiste et écrivain palestinien Khaled Barakat dans le contexte de l’agression génocidaire contre Gaza par l’occupation israélienne, suite à l’opération palestinienne Déluge d’al-Aqsa de la résistance palestinienne, le 7 octobre dernier.
L’interview a été réalisée Saheli Chowdhury et Dalal pour Orininoco Tribune, le 5 novembre 2023. Nous publions ici des extraits.
Khaled Barakat est un activiste et penseur palestinien qui vit actuellement au Canada. Homme de gauche et voix révolutionnaire à propos de la Palestine, il a été la cible de nombreuses campagnes de diffamation en Occident, visant à le réduire au silence et à le criminaliser, en compagnie d’autres personnes qui, comme lui, luttent pour les droits palestiniens dans la diaspora. En 2019, il a été expulsé d’Allemagne en raison de son activisme. Au Canada aussi, il a été la cible de menaces et de harcèlement émanant de plusieurs côtés, dont le parlement.
Le 5 novembre, il était interviewé par Orinoco Tribune sur l’opération Déluge d’al-Aqsa menée par la résistance palestinienne et sur ses retombées, à savoir l’actuelle agression de l’entité sioniste contre les Palestiniens de Gaza et ceux de Cisjordanie et des territoires occupés de 1948, et sur la façon dont la situation actuelle en Palestine peut impacter le scénario géopolitique mondial.
La résistance palestinienne de 2006 au Déluge d’al-Aqsa
Selon Barakat, l’opération Déluge d’al-Aqsa est une conséquence naturelle de la façon dont la résistance palestinienne s’est développée depuis 2005-06, depuis « la fin de l’ère Arafat et le début (…) d’une Autorité palestinienne réactionnaire et fantoche dirigée par Mahmoud Abbas ».
« C’était une nouvelle époque qui requérait les élections de l’Autorité palestinienne, élections auxquelles le Hamas participa, et qu’il remporta, » explique Barakat, faisant allusion aux élections générales de 2006 remportées par le Hamas à une majorité écrasante, dans la bande de Gaza.
Il poursuit en expliquant que les États-Unis et ses États satellites n’ont pas reconnu les résultats électoraux, qu’ils « voulaient que le Hamas devienne une agence sécuritaire », à l’instar de l’Autorité palestinienne, « afin de s’engager envers les accords d’Oslo » et de « reconnaître Israël ».
Quand le Hamas a refusé de céder aux exigences occidentales, « elles ont mené une guerre contre notre peuple et contre la résistance, et Gaza a été soumise immédiatement à un siège ».
Depuis lors, Gaza subit un blocus total.
« Selon moi, la résistance a fait ce qu’il fallait quand elle a mis le holà à l’équipe d’Oslo à Gaza et qu’elle a contrôlé Gaza intégralement »,
poursuit Barakat,
« parce que cela signifiait que la résistance disposait désormais, je ne veux pas dire d’une terre libérée en Palestine… mais semi-libérée. J’ai été à Gaza après cela, et vous pouvez actuellement faire toute la route de Rafah à Beit Hanoun sans rencontrer un seul checkpoint. Essayez de faire ça en Cisjordanie, d’un village à l’autre, vous tomberez immanquablement sur un checkpoint israélien. »
Barakat donne également un aperçu de la façon dont la résistance palestinienne fonctionne à Gaza.
« Gaza est très petit, 2,1 millions de Palestiniens qui vivent sur moins de 360 km². Ainsi donc, l’idée était de construire un autre Gaza sous Gaza »,
explique-t-il.
« Ces réseaux de tunnels couvrent près de 360 milles [environ 575 km, NdT] sous Gaza parce que c’est la seule façon par laquelle la résistance palestinienne peut en fait se défendre, stocker ses armes, réaliser ses programmes et ses formations / entraînements et, en même temps, être en mesure de riposter. »
Selon l’activiste, la résistance palestinienne a analysé les aspects de chaque agression israélienne depuis 2008 jusqu’à nos jours.
« En 2019, ils ont adopté la stratégie de défense de Gaza, qui comprenait le scénario selon lequel Israël allait se lancer dans quelque chose du style invasion terrestre (…) coupant Gaza en trois parties, puis tentant d’encercler la ville, comme ils le font maintenant »,
explique-t-il.
« Ils ont développé une stratégie et ils ont organisé trois formations militaires majeures autour de cette stratégie. Ainsi donc, pour chaque scénario auquel les commandants israéliens envisagent maintenant de recourir, les commandants palestiniens savent exactement comment ils peuvent le contrer. »
L’activiste, toutefois, insiste sur le fait que, depuis cette préparation, la résistance à Gaza ne dispose pas de systèmes de défense aérienne pour répondre aux bombardements aériens des forces d’occupation.
Quant à la relation entre le peuple palestinien et la résistance palestinienne, il la décrit comme
« la relation entre le sang et la chair d’une part et le corps de l’autre ». « Si vous essayez de les séparer, ils saigneront. Si vous essayez de séparer la résistance du peuple, ils saigneront »,
dit-il.
« Quand nous parlons de la détermination de Gaza, nous ne parlons pas seulement de la détermination de la résistance armée, nous parlons des pêcheurs, des fermiers, des travailleurs, des enseignants, des médecins. Ce sont les classes populaires qui, en fait, effectuent les tâches du sumud ou de la détermination. »
« Le 7 octobre a été en quelque sorte l’accumulation de toute cette expérience »,
dit-il.
« Ce n’est pas qu’une opération militaire, pour nous. Elle entraîne bien des conséquences stratégiques, en tant qu’acte héroïque de la résistance palestinienne. »
Ceci n’est pas un conflit entre Israël et le Hamas
Barakat condamne le discours des médias occidentaux faisant état d’un
« conflit entre Israël et le Hamas ». « Ce qui se passe à Gaza est une guerre totale menée par Israël contre le peuple palestinien de Gaza »,
insiste-t-il.
« Quand on dit que c’est une guerre entre Israël et le Hamas, c’est une distorsion très classique et manifestement sioniste de la situation réelle. »
« Quand nous entendons un sioniste dire : ‘Nous n’avons aucun problème avec les Palestiniens, nous combattons simplement le Hamas’, nous savons qu’il veut nous dire que les Palestiniens n’ont pas de droits et pas de cause »,
poursuit-il.
« C’est une tentative en vue d’ignorer notre existence… et de donner aux forces d’occupation sionistes et à la communauté internationale américano-européenne la licence d’assassiner et de tuer autant de Palestiniens qu’elles le désirent. »
« Si le problème d’Israël concernait le Hamas et si la guerre était contre le Hamas, dans ce cas, pourquoi avons-nous 10 000 personnes tuées et plus de 3 000 sous les décombres, dont une très grande partie d’enfants et de femmes qui ne sont pas membres du Hamas ? » (*)
se demande-t-il.
« Si c’était vrai, pourquoi Israël mène-t-il la guerre contre notre peuple en Cisjordanie et à Jérusalem et dans les Territoires occupés de 1948 ? Si la guerre était contre le Hamas, dans ce cas, pourquoi ciblent-ils les nationalistes et les Palestiniens de gauche ? Il y a plus de 10 000 prisonniers politiques palestiniens, dont plus de 50 pour 100 de nationalistes. Israël mène une guerre contre tous les Palestiniens… mais essaie de dépouiller le peuple palestinien de sa cause en tant qu’organisation de libération nationale. »
Il explique ensuite qu’il n’y a là rien de neuf. Entre 1967 et 1973, l’entité sioniste a prétendu :
« Nous n’avons aucun problème avec les gens de Gaza, notre problème, c’est avec le Front populaire pour la libération de la Palestine – le FPLP – à l’époque où le Front dirigeait la lutte armée à Gaza »,
déclare Barakat.
« Ils ont également utilisé cette excuse pour envahir le Liban et détruire le pays, prétendant que leur problème était avec l’OLP [Organisation de libération de la Palestine] et non avec les réfugiés palestiniens. »
« Cela ne se limite pas à l’expérience palestinienne. Je pense que les colonisateurs utilisent toujours cette ligne »,
dit-il, rattachant l’expérience palestinienne à celle des peuples colonisés de toute la planète.
“Si vous posez la question aux gens d’Afrique du Sud, d’Inde, d’Irlande, d’Algérie, des autochtones ici dans l’île de la Tortue [EU-Canada], ils ont entendu ça d’une façon ou d’une autre de la bouche de leurs oppresseurs. »
Barakat répond aussi au discours en provenance de certains milieux, en particulier des libéraux occidentaux, disant que le Hamas a été à l’origine créé par Israël pour diviser le mouvement palestinien et affaiblir l’OLP.
« Israël n’a pas créé le Hamas. Le Hamas a été fondé le 9 décembre 1987, lors de la Première Intifada »,
dit-il.
« Depuis lors, Israël cible le Hamas, tue ses dirigeants, assassine ses commandants militaires, tue et emprisonne ses membres… Si Israël avait créé le Hamas, pourquoi dans ce cas n’avons-nous même pas un document qui le montre ? »
Il explique que le Hamas tire son origine du mouvement de la Société des Frères musulmans qui avait été créée en 1928, vingt ans avant la création d’Israël. Israël a tenté de créer un mouvement religieux pour remplacer l’OLP, mais il a échoué dans sa tentative.
« Aujourd’hui, l’OLP et la direction de l’Autorité palestinienne sont des traîtres et des outils dans les mains d’Israël »,
dit-il.
« Et le Hamas dirige la résistance palestinienne, mais pas seulement la résistance armée. Si vous considérez les élections, disons les élections du mouvement estudiantin ou les élections ouvrières ou n’importe quel genre d’élections d’assemblées réellement populaires, le Hamas y remportera la majorité. Le peuple palestinien vote pour le Hamas. Dans les plus prestigieuses des universités libérales palestiniennes, le Hamas gagnera les élections au conseil estudiantin. Même dans les universités chrétiennes, le Hamas gagnera en s’attirant des votes de chrétiens. Cela signifie-t-il que le peuple palestinien ne comprend pas le Hamas ? Et que ces libéraux occidentaux comprennent mieux la situation que nous ? Je ne pense pas qu’ils soient naïfs ou ignorants quand ils répètent cela, il s’agit d’une distorsion calculée. L’idée qui sous-tend ces allégations consiste à dire que les Palestiniens ne sont pas capables de créer leur mouvement et que quelqu’un d’autre doit l’avoir fait pour eux. »
Barakat met l’accent sur le fait que le Hamas est un mouvement de libération nationale du peuple palestinien.
Il rappelle que les médias occidentaux ne mentionnent jamais que le Hamas a en réalité été élu par les Palestiniens.
« Ils disent des choses du genre : Le Hamas contrôle Gaza, ou : Le Hamas a fait un coup d’État, comme si un gouvernement élu allait faire un coup d’État contre lui-même »,
dit-il.
« Ce sont exactement des insanités que les médias occidentaux produisent pour tromper les gens. »
Quand on l’interroge à propos du rejet exprimé par certaines sections de la gauche occidentale envers les mouvements anti-impérialistes à base religieuse, comme le Hamas, Barakat appelle cela
« une extension d’une tournure d’esprit colonialiste ».
« Ils veulent une résistance palestinienne qui correspond à leur image et leurs critères et non à l’image de ce qu’est la réalité et de ce que sont les Palestiniens »,
dit-il. Et d’ajouter que les mêmes sections de la gauche critiquaient le FPLP marxiste-léniniste quand il dirigeait la lutte armée dans les années 1960-1970, qualifiant l’organisation de « trop extrémiste ».
À ce propos, il retrace l’histoire de l’origine des tendances anti-impérialistes islamiques dans la région.
« Dans les années 1950, notre peuple criait des slogans en faveur du socialisme »,
commente-t-il.
« Ils soutenaient Nasser en Égypte… Et il n’y avait nulle part dans le mouvement d’organisations religieuses effectuant les moindres tâches de libération nationale. Affectés par la situation dans le monde entier – le Vietnam, Cuba, l’Algérie, les mouvements de libération nationale en Asie et en Afrique – les Palestiniens ont fondé le FPLP, le FDLP et d’autres forces progressistes. Mais les choses ont changé. Et la raison du changement des choses n’est pas que les gens se trompent, mais que ces partis politiques ou ces entités politiques n’ont pas apporté ce qu’ils étaient censés apporter. Qu’il s’agisse de Gamal Abdel Nasser et des mouvements nationalistes arabes qui ont été battus en 1967, ou qu’il s’agisse des organisations socialistes et des partis politiques qui ont connu la régression en 1990 avec l’effondrement de l’Union soviétique et du bloc socialiste. »
« Les classes populaires et les classes ouvrières ne vont pas se reposer en attendant que la gauche se reconstruise »,
insiste Barakat.
« Elles vont soutenir les forces qui combattent toujours. Et, quand il y a un vide, quelqu’un ressent le besoin de le combler. C’est dans cette atmosphère, avec la Grande Révolution de 1979 en Iran, qu’une ère nouvelle a débuté dans la région »
et les mouvements religieux ont repris la tâche de la résistance palestinienne.
Il interpelle l’islamophobie inhérente dans le point de vue « n’importe qui sauf le Hamas » et déclare :
« Nous faisons partie du discours de la théologie de la libération. Il n’y a pas que les églises, les mosquées peuvent être révolutionnaires aussi… Si une mosquée appelle à la libération de la Palestine et à l’égalité et au soutien des gens marginalisés et des travailleurs, dans ce cas, cette mosquée joue un rôle louable, un rôle positif. Mais si une mosquée appelle à soutenir le prince saoudien et à prolonger la vie de bin-Salman d’Arabie saoudite, c’est une mosquée réactionnaire et un imam réactionnaire. De la façon dont nous considérons les églises, nous devrions considérer les mosquées avec la même objectivité et de la même façon. »
« Ceux qui veulent voir la gauche se dresser et disposer de capacités militaires devraient aller soutenir la gauche, au lieu de dire qu’ils n’aiment pas le Hamas »,
conseille-t-il.
C’est précisément une très mauvaise position et pas un seul Palestinien ne la respecterait, et certainement pas un membre de la gauche révolutionnaire. »
Cela n’existe pas, « les deux camps »
Quand on l’interroge sur le sujet du Hamas qui tue des « civils israéliens », Barakat insiste en disant qu’il importe de clarifier ce que signifie ce terme.
« Quand nous parlons de colons israéliens, nous parlons de colons qui sont armés »,
explique-t-il.
« Je les qualifie de paramilitaires et ils agissent sous la couverture et le soutien absolu de l’armée officielle israélienne. Un colon israélien peut entrer dans sa colonie et, dix minutes plus tard, en ressortir avec tout son barda militaire et son fusil… Ils attaquent les Palestiniens, brûlent leurs fermes, incendient des maisons, font tout ce que fait l’armée israélienne, sauf qu’ils sont plus dangereux encore du fait qu’ils n’ont aucune responsabilité officielle. Actuellement, ils distribuent des tracts en Cisjordanie en disant aux Palestiniens : « Attendez votre Nakba. » Ainsi donc, faire la distinction entre un colon civil et un militaire est tout simplement une blague. Chaque colon israélien dans notre patrie est une cible légitime pour notre résistance, et la chose doit être on ne peut plus claire ! »
« Quand certaines personnes disent « les deux camps ont commis des actes de violence », quand elles disent que le colonisateur est le même que le colonisé, elles disent littéralement que la personne qui torture le prisonnier et le prisonnier sont les mêmes et, ainsi donc, blâmons-les tous deux »,
poursuit Barakat.
« Si, demain, les prisonniers palestiniens déclenchent une émeute dans les prisons israéliennes, ils seront probablement condamnés pour recours à la violence. C’est un sectarisme d’une très grande étroitesse d’esprit ! »
« Ils ne comprennent pas la réalité du peuple palestinien et ils parlent depuis leurs zones très confortables, pour essayer de juger la lutte palestinienne »,
déclare-t-il encore.
« Ces personnes condamnent habituellement toute résistance, qu’elle soit du Hamas ou pas. Leur idée, c’est qu’ils veulent blâmer la victime et en même temps blâmer Israël. Mais, en réalité, tout le monde blâme Israël parce qu’il est l’occupant. Ainsi donc, si nous portons ce cas devant les Nations unies, devant l’Assemblée générale, ou devant n’importe quel forum populaire, ils vont blâmer Israël, parce qu’Israël est l’agresseur, l’oppresseur, la force occupante. Mais blâmer la victime est une position très lâche. »
« Les Israéliens ne font pas la différence entre un combattant du Hamas et un combattant palestinien de gauche ou un combattant nationaliste »,
fait-il remarquer.
« Ils cibleront toute forme de résistance palestinienne. C’est pourquoi la résistance armée palestinienne est très unie, malgré les conditions économiques et sociales très rudes, même malgré nos différences. »
Les conséquences du Déluge d’al-Aqsa
Selon l’activiste palestinien, le succès de l’opération Déluge d’al-Aqsa a fait exploser le mythe prétendant que l’arme israélienne était bien organisée et invincible.
« La résistance palestinienne a surpris tout le monde et particulièrement l’ennemi, parce que les Israéliens n’ont pas anticipé cette offensive »,
déclare Barakat.
Et d’ajouter que la résistance a même été surprise de voir comment le système militaire israélien s’effondrait aussi facilement.
« En fait, ils n’ont utilisé que 1 200 combattants, dans cette offensive, et contre le fameux Bataillon de Gaza, l’une des divisions les mieux équipées d’Israël »,
explique-t-il.
« Le Bataillon de Gaza est une petite armée israélienne déployée autour de Gaza ; il possède ses renseignements militaires, ses unités d’élite, toutes sortes d’armes, des chars, des bases militaires… et il s’est effondré en quelques heures. »
« Nous voyons que dans les deux dernières semaines qui ont suivi l’invasion terrestre, les Israéliens sont restés dans leurs chars »,
ajoute-t-il.
« Ils ne veulent pas sortir de leurs chars et ils se font attaquer par la résistance palestinienne, je veux dire, ils (les Israéliens) ne sont pas des combattants. On les envoie là-bas sans stratégie et sans tâches militaires spécifiques. L’occupation est très confuse et la méfiance règne dans ses rangs de même qu’on constate une grande absence de confiance entre le commandement de l’armée et la direction politique. »
Selon Barakat, la destruction et le génocide actuellement perpétrés par Israël à Gaza constituent un signe de l’insouciance de l’entité d’occupation face à la défaite. C’est également la réponse du « camp impérialiste » à sa défaite.
« On voit là la façon d’agir des EU. Celle de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la France et autres, ce n’est pas uniquement Israël »,
fait-il remarquer.
“Israël commet les crimes de guerre, mais quand vous regardez les armes utilisées, quand vous regardez le soutien qu’il reçoit, quand vous regardez le soutien politique et celui des médias, c’est un camp impérialiste tout entier, qui se tient derrière Israël. »
Il insiste également sur les propres intérêts personnels du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, dans cette guerre.
« Si elle se termine là, maintenant, Netanyahou tombe demain »,
dit-il.
« Je pense que, dans les derniers sondages, 76 pour 100 des Israéliens n’en veulent plus comme Premier ministre et ils estiment qu’il devrait démissionner. Quand un dirigeant mène une guerre avec ce genre de chiffres, c’est qu’il est faible et vaincu, et son front interne est très fragile et, ainsi donc, Israël va être vaincu à coup sûr, dans cette bataille. La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est de tuer plus de Palestiniens encore, et c’est ce qu’ils font et ils le font 24 heures sur 24… Ils savent qu’ils ont été vaincus le 7 octobre, et sur le terrain, et moralement, parce qu’il n’y a aucune bravoure dans le fait qu’un pilote israélien monte dans son F-16 et balance des bombes sur des enfants. »
« Ainsi donc, les EU essaient d’amener Israël à tenter de penser à une façon d’en sortir vaincu, certes, mais pas totalement »,
ajoute-t-il.
« Ils essaient de mettre la pression sur la résistance palestinienne pour qu’elle fasse certaines concessions. »
Toutefois, selon Barakat, la résistance n’acceptera pas moins que la réalisation de ses objectifs originaux, qui comprennent la libération des prisonniers politiques palestiniens, la fin du siège de Gaza et l’arrêt des profanations ou de la désacralisation des sites religieux musulmans et chrétiens par les colons sionistes.
Selon Barakat, un autre succès du Déluge d’al-Aqsa a été de lier la lutte du peuple de Gaza à celle des Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem, dans les territoires occupés de 1948, ainsi qu’à celle des Palestiniens de la diaspora, et particulièrement des générations plus jeunes.
En ce qui concerne les Israéliens capturés par la résistance, Barakat déclare :
« La raison pour laquelle Israël veut les tuer, c’est parce qu’il [Israël] a peur de ce qu’ils vont dire sur la résistance. Comment ils ont été traités décemment, avec respect, qu’ils n’ont pas été torturés. »
Par ailleurs, « voyez comment eux, les Israéliens, torturent nos prisonniers ».
L’opération a également mis en évidence la défaite de l’Autorité palestinienne, qui n’est autre qu’une « autorité israélienne avec un visage palestinien », fait remarquer Barakat.
« Il existe des études qui datent d’avant le 7 octobre et qui donnaient à Mahmoud Abbas [le président de l’AP] 8 ou 10 pour 100… Dans toutes les élections, la plupart des sondages donnent aux factions de la résistance propalestinienne une majorité écrasante allant jusqu’à 80 pour 100 ; ainsi donc, sur le plan interne, la situation a changé. »
« Actuellement, Mahmoud Abbas n’a aucune légitimité »,
dit Baraka dans la même veine.
« Cette autorité ne représente pas le peuple palestinien. Elle n’a pas été élue par le peuple palestinien et elle essaie d’attendre et de voir le résultat de cette guerre contre Gaza, en espérant qu’elle pourra revenir cette fois en chevauchant un char israélien ou un char américain. Cela n’aura pas lieu. Tout le monde sait que l’AP est une marionnette d’Israël et, elle restera en place. Mais, si cela devait s’arrêter ou si elle devait cesser d’être un outil utile pour Israël et les E U, ils y mettront un terme et créeront en lieu et place une entité différente. »
Barakat poursuit en décrivant le rôle de la Palestine dans la situation géopolitique régionale.
« Notre peuple en Asie de l’Ouest est un contingent qui fait face directement à l’impérialisme et la Palestine est en toute première ligne de front, là »,
dit-il.
« Je ne puis considérer les mouvements de solidarité en Iran, au Liban ou Pakistan de la même façon que le mouvement de solidarité en Suisse. Ils combattent pour la Palestine parce que la Palestine est en fait leur cause. Elle n’est pas simplement une idée, pour eux, mais elle est connectée à leurs existences et à la destinée de leur peuple et de leur pays et à l’avenir de leur pays… Par exemple, en Algérie, il ne s’agit pas simplement pour le peuple d’Algérie de soutenir ses frères et sœurs palestiniens, mais la Palestine est une question nationale algérienne. »
« Prenez en considération le fait que nous vivons dans une période de transition, nous sommes en train de passer d’un monde à l’autre, un monde qui est dominé par les États-Unis pour en faire un système unipolaire »,
poursuit-il.
« Habituellement, dans ces périodes de transition, un tas de choses restent dans le flou… Je pense que la situation après le 7 octobre a changé considérablement pour notre camp, pour le camp palestinien, pour le camp révolutionnaire et pour ceux qui veulent accepter le pluralisme au sein de la révolution, au sein du camp de la résistance. »
Quid de la « solution à deux États » ?
Barakat qualifie la solution à deux États d’« agression contre le peuple palestinien » et de légitimation du colonialisme.
« La solution à deux États n’est pas quelque chose qui a été créé après Oslo »,
dit-il.
« Elle a été créée au moment de la partition de la Palestine en 1947-1948, quand les colonisateurs ont parlé d’un État juif et d’un État arabe de Palestine. À l’époque, ils voulaient simplement diviser les pays entre sud et nord et ils ont pensé que c’était le même pour la Palestine. Eh bien, nous n’avons pas eu une guerre civile en Palestine pour diviser la Palestine entre le sud et l’Occident. Ce que nous avons eu, c’est un mouvement colonialiste de peuplement soutenu par les puissances impérialistes, et ils voulaient déplacer le peuple palestinien et établir ce régime raciste en Palestine afin de dominer la région. Non pas afin de dominer la Palestine. La Palestine est sous occupation, mais ce qu’ils voulaient qu’Israël fasse, c’est devenir une base afin de menacer la région… Que les Palestiniens se battent ou pas, le régime sioniste est en contradiction avec le peuple libanais, le peuple syrien, le peuple du Pakistan, de l’Iran, etc. »
Pour cette raison,
« le Hezbollah, Ansarullah, l’Algérie, l’Iran, les peuples de la région comprennent très bien que la Palestine est leur cause »,
estime Barakat.
« Pour que les peuples de la région bénéficient du développement, qu’ils aient la liberté, la démocratie, pour qu’ils renaissent, nous devons examiner quel est l’obstacle qui nous empêche d’aller de l’avant vers notre développement économique, notre richesse, nos ressources. C’est l’impérialisme et le sionisme. Ce sont les EU et Israël et, bien sûr, les régimes réactionnaires arabes qui sont les avocats de la solution à deux États. »
Quant à ceux qui soutiennent la cause palestinienne et qui défendent pourtant la solution à deux États, Barakat a pris l’exemple de la Chine.
« Quand nous demandons à nos camarades du Parti communiste chinois : ‘Voulez-vous diviser Taïwan ou donner chaque pouce à Taïwan ?’, ils disent ‘Non, nous avons une politique de la Chine unique’,
explique-t-il.
“Eh bien, nous avons une politique de la Palestine unique nous aussi. Pourquoi irions-nous donner 80 pour 100 de notre terre à des colons sionistes racistes ? »
Il explique en outre que même Israël ne veut pas appliquer la solution à deux États.
« Avant le 7 octobre, ils essayaient de convaincre l’Autorité palestinienne d’accepter un gouvernement d’autogestion et de déclarer que la solution à deux États n’était plus viable »,
dit-il.
« La solution à deux États devient une limite très haute pour Israël et les puissances occidentales et les régimes réactionnaires arabes. »
Selon Barakat, même si la solution à deux États était viable, il n’est pas possible de l’appliquer.
« Où allez-vous avoir ces deux États ? »,
demande-t-il.
« Il n’y a plus de Cisjordanie, les sionistes l’ont accaparée tout entière pour leurs peuplements et leurs colonies. Gaza est en état de siège. »
« Même si les colons quittent la Cisjordanie, même s’ils sont d’accord de démanteler toutes leurs colonies en Cisjordanie, même s’ils lèvent le siège de Gaza, la solution à deux États ne sera pas une solution viable pour notre peuple »,
insiste Barakat.
« S’ils veulent avoir Israël, ils peuvent l’avoir en Australie ou aux États-Unis. Au Canada. Ils peuvent donner un peu de terre, en France ; la Hollande, peut-être, pourrait donner un peu de terre et créer Israël là-bas. Mais, en Palestine, il n’y a pas de place pour Israël, il n’y a pas de place pour le sionisme. »
« La libération de la Palestine, c’est le but et c’est un but noble »,
dit-il.
« Et il ne s’agit pas seulement de la libération des Palestiniens, mais aussi de la libération de tout le monde, en Palestine. Parce que la seule façon dont nous pouvons libérer les sionistes de leur idéologie raciste, c’est de les vaincre. Vous ne pouvez enseigner l’égalité à des colonisateurs par la théorie ou à travers le dialogue. Il vous faut les vaincre d’abord et ce n’est qu’alors qu’ils comprendront. »
« La résistance gagne en force après chaque bataille et ceux qui prétendent que la résistance n’a pas obtenu la victoire deviennent plus faibles et de plus en plus à côté de la plaque »,
conclut Barakat.
« La résistance, ce n’est pas que lutter contre Israël, c’est aussi créer de l’espoir et créer une voie alternative pour remplacer celle qu’on nous impose depuis 1948… Se rendre ne mène pas au développement, mais la résistance peut le faire ; se rendre ne mène pas au pluralisme et à la démocratie, mais la résistance peut le faire. Ainsi donc, la voie de la résistance est la voie dont les impérialistes et les sionistes ont peur parce qu’elle pourrait mener à un monde totalement nouveau. C’est pourquoi la libération de la Palestine n’est pas une tâche aisée, puisqu’elle signifie un changement dans la région et un changement dans le monde. »
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Publié le 5 novembre 2023 sur Orinoco Tribune
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine