Facebook réduit au silence les voix palestiniennes

Des militants BDS de Gaza ont tenté de promouvoir sur Facebook une vidéo comparant Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid. La plate-forme a rejeté la promotion et en a bloqué le compte rendu. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé.

Illustration provenant de la campagne « Facebook, we need to talk » (Facebook, nous devons parler). (Image : Jewish Voice for Peace / Voix juive pour la paix)

Illustration provenant de la campagne « Facebook, we need to talk » (Facebook, nous devons parler). (Image : Jewish Voice for Peace / Voix juive pour la paix)

Aya Al Ghazzawi (militant BDS vivant à Gaza), 9 avril 2021

Récemment, un groupe de militants BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) de Gaza, The Gaza Voice (la Voix de Gaza), a célébré la Semaine israélienne de l’apartheid (IAW), un événement annuel qui a été lancé pour la première fois en 2005 au Canada et qui, aujourd’hui, est organisé chaque année dans plus de 250 villes du monde entier afin d’accroître la conscientisation autour du régime israélien d’apartheid et de mobiliser internationalement le soutien des masses. D’ordinaire, les activités de l’IAW comprennent des rencontres intellectuelles, des événements populaires et artistiques palestiniens, l’invitation d’orateurs de niveau local ou mondial, des projections de films documentaires suivies de discussions et du travail en réseau avec diverses campagnes de solidarité avec la Palestine ainsi que des mouvements propalestiniens. Cette année, toutes les activités à Gaza, ainsi que dans d’autres parties du monde, ont été organisées en ligne en raison des restrictions imposées par la Covid-19. 

L’un des principaux outils utilisés par la Voix de Gaza pour éduquer les gens à propos de l’IAW, ce sont les sites des médias sociaux. Le contenu diffusé sur ces médias est très varié ; des infos entre autres sur l’apartheid, les crimes israéliens, l’intersectionnalité, des invitations à des événements, des nouvelles ou encore des reportages. Par exemple, la Voix de Gaza a produit une simple vidéo traitant du contexte historique du terme « apartheid » et comparant l’apartheid israélien et l’apartheid sud-africain tout en recourant à un langage juridique. De même, l’équipe a produit un manifeste du boycott à l’adresse des femmes afin de propager la conscience à propos de la signification de BDS et du rôle important que les femmes peuvent jouer dans la lutte palestinienne, et ce, à tous les niveaux.

Toutefois, Facebook et ses plates-formes ont rejeté une demande de promotion sponsorisée des matières susmentionnées après avoir mis pas moins de 24 heures pour considérer la demande, l’avoir acceptée pendant quelques heures avant de la supprimer entièrement. Il n’y avait portant dans le contenu aucun terme qui aurait pu déclencher directement l’algorithme de Facebook ou enfreindre les normes et directives de la communauté. Cette action a été suivie d’un « blocage » de la page afin de la rendre moins visible au public. En outre, de nombreux abonnés ont mentionné qu’ils avaient brusquement cessé involontairement de suivre et d’« aimer » la page sans en être au courant. Et, du fait que les modalités de service de Facebook mentionnent aussi que des informations à l’usage des utilisateurs sont partagées entre les plates-formes de Facebook, comme Instagram et WhatsApp, si un message est mis en évidence ou interdit, le contenu en a été rejeté sur diverses plates-formes. L’action de Facebook s’inscrit dans sa tendance à censurer les contenus palestiniens et à réduire au silence les voix palestiniennes.

La censure par Facebook des contenus palestiniens est devenue la norme

On dit que Facebook va décider dans les deux semaines à venir s’il va inclure le mot « sioniste » dans sa politique concernant les propos haineux. Cela tend à confondre antisionisme d’une part et antisémitisme et discours haineux d’autre part, mais aussi à réduire au silence les Palestiniens et à les priver de leur droit à la liberté d’expression, étant donné l’existence anormale qu’ils sont forcés de mener.   

Ce n’était pas la première fois qu’une telle chose est arrivés à la Voix de Gaza et ce ne sera pas la dernière. Les partisans de la Palestine qui postent des messages sur la Palestine ou qui dénoncent les crimes de guerre israéliens voient souvent leur contenu soit détruit soit bloqué. Nombre de ces usagers sont interdits durant une période qui varie entre une semaine et à jamais. Cela devient tangible quand des gens connus et des gens d’influence parlent de la Palestine.

En juillet dernier, Facebook a détruit un message adressé à la militante et avocate des droits humains palestino-américaine Noura Erekat concernant le meurtre de son cousin Ahmed Erekat par les forces israéliennes d’occupation à l’un de leurs check-points en Cisjordanie, et ce, sous le prétexte de harcèlement et intimidation brutale.

Simultanément, Instagram a supprimé une photo publiée par le mannequin palestino-italien Bella Hadid du passeport palestinien de son père avec la mention « violence graphique ».

En mai, cette même année, Middle East Eye rapportait que plus de 50 journalistes et militants palestiniens avaient eu leur page de profil détruite par Facebook, avec une notification disant que leurs pages avaient été désactivées parce qu’elles « ne se conformaient pas aux normes de notre communauté ».

La censure de Facebook n’a rien de surprenant

Un important et récent rapport de la chercheuse belge Alysia Grapek montre que,

« en 2019, Facebook a révélé sa coopération avec le gouvernement israélien là où il était possible de voir comment l’information était partagée entre les plates-formes et le gouvernement. En 2019, Facebook s’est plié à 79 % des demandes du gouvernement israélien en vue de supprimer des données d’utilisateurs. Les raisons de ces demandes n’ont pas été révélées. » 

Cela n’a rien de surprenant, surtout après que Facebook et Instagram ont désigné Emi Palmor dans leur Commission de contrôle indépendante (Independent Oversight Board). Palmor est un ancien directeur général de de la Cyber Unit du ministère israélien de la Justice et il était responsable de la suppression sur Facebook de milliers de pièces à contenu palestinien. 

La directrice des relations internationales de 7amleh, Alison Carmel, a expliqué à Mondoweiss que

« même si beaucoup d’Israéliens qualifiés pouvaient être choisis pour cette fonction, Facebook est allé chercher Emi Palmor, qui a un long passé de gestion des efforts du gouvernement israélien en vue de censurer tout contenu palestinien ainsi que les personnes qui soutiennent les droits humains palestiniens. C’est une évolution dangereuse susceptible d’impacter les droits de l’homme et la liberté d’expression durant des décennies. »

« Ces deux ou trois dernières années, nous en avons appris beaucoup sur les dangers de la ‘cancel culture’ (ou culture de l’annulation) et sur la crise de la liberté d’expression qui sévit dans nos universités, mis il est très clair que ce problème supposé ne s’applique qu’à certains points de vue. Les gens qui encouragent ces discours se moquent de ce que les Palestiniens ou leurs partisans soient littéralement réduits au silence. Leurs voix ne comptent pas.» 

Qu’est- ce qui détermine ce qui doit être censuré ?

Le rapport de Grapek a étudié les contenus palestiniens en anglais qui ont été bloqués et censurés afin d’analyser les actuels mécanismes de censure de Facebook et de voir si certains mots spécifiques déclenchent l’algorithme de Facebook. 

L’étude a découvert ce qui suit :

  • Les normes de la communauté et l’application des directives indiquent que des opinions et interprétations subjectives constituent une composante importante dans l’évaluation de ce qui, comme contenu, doit être censuré ou peut être permis.
  • L’application des normes de la communauté et l’absence de définition pour des termes importants – comme « antisémite » – laissent la part très belle à l’interprétation.
  • Les contenus tournant autour des existences et expériences du peuple palestinien et de l’occupation par Israël de la Palestine sont plus activement examinés et censurés par Facebook.

Les campagnes de protestation contre Facebook

Dernièrement, plus de 40 organisations en faveur de la justice sociale aux EU et dans le monde entier, dont MPower Change, We Are Not Numbers, Media Justice, 7amleh, Jewish Voice for Peace, Adalah Justice Project, BDS Movement, Eyewitness Palestine et Palestine Legal, ont organisé une campagne baptisée « Facebook We Need to Talk » (Facebook, nous devons parler) afin de protester contre la possible démarche de Facebook en vue de restreindre l’emploi du terme « sioniste » (et partant, « sionisme ») en tant que propos haineux. La campagne a adressé une pétition de 9 000 signatures à Sheryl Sandberg et Mark Zuckerberg, respectivement directrice opérationnelle et directeur exécutif de Facebook.

L’an dernier, des groupes propalestiniens comme Jewish Voice for Peace (JVP – Voix juive pour la paix), en coalition avec 7amleh, The Palestine Institute for Public Diplomacy, Palestine Solidarity Campaign et le Mouvement BDS pour les droits palestiniens ont lancé une campagne pour que Facebook se concentre plutôt sur la suppression des discours de haine et non sur la censure des discours légitimes des Palestiniens et des amis de la Palestine – et, en même temps, pour qu’Emi Palmor s’en aille.


Publié le 9 avril 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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