En Palestine occupée, même la danse peut vous mener en prison.

Surtout si cette danse tire son inspiration de l’histoire et de l’héritage de la Palestine.

Ata Khattab sur scène. (Photo : Hafez Omar)

Ata Khattab sur scène. (Photo : Hafez Omar)

Ciaran Tierney, 9 avril 2021

L’arrestation en février et le prolongement de la détention sans accusation du chorégraphe très apprécié Ata Khattab souligne bien la façon dont la menace de la culture et de l’identité palestiniennes est perçue par les forces israéliennes d’occupation.

Dans le monde entier, des collectifs de danse et des groupes de défense des droits réclament aujourd’hui la libération d’Ata, détenu dans une prison israélienne de triste réputation depuis un raid à son domicile cisjordanien, au beau milieu de la nuit du 2 février.

Les membres de sa famille et des voisins avaient été réveillés à 4 heures du matin en raison du vacarme provoqué par les soldats israéliens en entrant de force dans la maison familiale à al-Bireh et en hurlant le nom d’Ata.

L’arrestation d’Ata, coordinateur artistique de la Troupe de Danse Populaire palestinienne E-Funoun, mondialement connue, met en évidence la façon dont ceux qui font la promotion de la culture palestinienne sont très régulièrement ciblés par les autorités israéliennes, disent les membres de la famille et les collègues.

Il fait partie de la seconde génération de sa famille à être visé de cette façon. Son père, Muhammad Ata Khattab, avait lui aussi été emprisonné quand Ata était encore enfant.

Il y a deux semaines, sa famille a découvert qu’Ata avait contracté le Covid-19 après avoir été détenu dans le centre de détention de l’infâme Mission russe, bien qu’il ait été gardé en enfermement solitaire depuis le raid effectué dans la maison familiale.

Il n’a pas pu voir un avocat durant ses 21 premiers jours de détention.

Les prisonniers du centre d’interrogatoire passent pour ainsi dire chaque minute de chaque journée en enfermement solitaire, ce qui donne lieu de croire qu’il a été exposé au Covid-19 par l’un de ses interrogateurs israéliens.

L’histoire se répète

Ata, 31 ans, a dirigé des tournées internationales avec El-Funoun afin de promouvoir la dabkeh, une danse traditionnelle palestinienne, et son arrestation a mobilisé des collectifs de danse dans des pays tels les États-Unis, l’Irlande, la Belgique, le Royaume-Uni et la Norvège qui, précédemment, avaient pu apprécier ses performances enflammées.

Ironiquement, le numéro de danse en solo qui, en 1917, avait valu à Ata une standing ovation à l’Université nationale d’Irlande (NUI) à Galway, explorait ses propres souvenirs d’enfant, lors des absences prolongées de son père du domicile familial, après avoir été arrêté et emprisonné par l’armée israélienne.

Muhammad est l’un des fondateurs d’El-Funoun. Sa famille croit qu’il est ciblé pour son travail dans la sauvegarde et la promotion du riche héritage culturel palestinien et parce qu’il est une figure de pointe de la vibrante renaissance de la dabkeh.

La troupe a été créée en 1979 par un petit groupe d’hommes et de femmes qui étaient bien décidés à présenter et préserver d’authentiques musiques et danses palestiniennes, malgré l’hostilité des autorités militaires israéliennes – et ce, longtemps avant l’arrivée de l’Autorité palestinienne – et les tentatives systématiques en vue d’opprimer la culture traditionnelle palestinienne.

« J’ai été arrêté pendant trois mois et placé en détention administrative à cause des chansons que nous chantions »,

a expliqué Muhammad à The Electronic Intifada.

Israël emprisonne régulièrement des gens, dont des enfants, en détention administrative, c’est-à-dire un emprisonnement sans accusation ni procès, renouvelable de six mois en six mois.

« Conformément aux lois internationales, les gens qui vivent sous occupation ont le droit de lutter jusqu’à ce que l’occupation cesse »,

a expliqué Muhammad.

« Mais les Israéliens font leurs propres lois. Ils n’autorisent pas les manifestations, ils ne permettent pas aux gens de brandir le drapeau palestinien et ils ne leur permettent pas non plus de parler de l’occupation sioniste. Telle est la réalité de la vie sus l’occupation. »

En 2017, Addameer, une organisation défendant les droits des prisonniers palestiniens, a estimé que plus de 800 000 Palestiniens, soit plus de 20 pour 100 de la population totale des territoires palestiniens occupés, avaient été arrêtés par les forces israéliennes depuis le début de l’occupation par Israël en 1967. On estime qu’environ 40 pour 100 de la population masculine des territoires occupés a été arrêtée au moins une fois durant ces cinq dernières décennies.

Muhammad a encore déclaré que son fils était visé parce qu’il dirigeait des jeunes de la troupe de danse. Le matin de son arrestation, les soldats israéliens ont également fait état de son militantisme en tant que dirigeant estudiantin, a expliqué Muhammad à The Electronic Intifada.

Engagé pour une Palestine libre

Depuis sa création, El-Funoun est engagé en faveur de la diversité et, parmi ses danseurs, il regroupe des hommes, des femmes, des enfants, des chrétiens, des musulmans et des membres des communautés minoritaires.

Actuellement, la troupe compte environ 230 membres. Les dirigeants comme Ata travaillent en tant que bénévoles.

L’accent est mis sur l’importance de l’action collective et de l’unité par le biais de la danse, ainsi que sur l’importance du rôle joué par les femmes dans la lutte palestinienne.

Ata Khattab. (Photo : Samer Nazzal)

Ata Khattab. (Photo : Samer Nazzal)

Noora Baker, qui dirige les entraînements et l’expérimentation à El-Funoun, estime que l’arrestation de Palestiniens au milieu de la nuit est un événement récurrent pour les gens qui vivent sous occupation.

« C’est ce qu’ils font. Ils s’amènent au beau milieu de la nuit, défoncent les portes et perturbent gravement la paix du voisinage »,

déclare Baker.

« En Palestine, vous pouvez être emprisonné pour vos idées et vos valeurs. Beaucoup de prisonniers ne sont que des numéros, pour le public et ils ne sont pas considérés comme des êtres humains. Une chose qu’ils ont tous en commun, toutefois, qu’ils soient artistes ou charpentiers, c’est qu’ils croient tous en une seule et même chose : une Palestine libre. »

Charlotte Kates, porte-parole de Samidoun, un autre groupe de défense des droits des prisonniers, a déclaré que l’arrestation d’Ata exemplifiait l’attaque actuelle contre les travailleurs culturels et artistes palestiniens.

« Régulièrement, nous voyons des artistes, danseurs, poètes et gens de scène palestiniens ciblés par l’occupation israélienne au cours de raids nocturnes brutaux et soumis à des interrogatoires très longs, systématiquement caractérisés par des tortures et toutes sortes de violences », a expliqué Kates à The Electronic Intifada.

Et de poursuivre en décrivant un processus d’ « arrestation sans accusation ni procès, ou de simulacres de procès devant des tribunaux militaires israéliens », lesquels condamnent plus de 99 pour 100 des Palestiniens comparaissant devant eux.

« L’arrestation, l’incarcération et l’interrogatoire d’Ata Khattab est une infâmie et les efforts consentis par les collectifs de danseurs et d’artistes en Irlande, aux États-Unis et ailleurs en vue d’obtenir sa libération sont des efforts de solidarité extrêmement importants. »

Actuellement, 4 450 Palestiniens sont détenus en Israël comme prisonniers politiques. Parmi ceux-ci, 440 (10 pour 100) sont en détention administrative.

Les ordonnances d’arrestation administrative, d’abord introduites en Palestine par le mandat colonial britannique, ont été adoptées par le gouvernement israélien en tant que mécanismes de répression des Palestiniens, destiné à éviter toute procédure juridique, puisque que ces ordonnances ne nécessitent ni motif d’accusation ni procès.

Ces ordonnances sont décrétées pour des périodes allant jusqu’à six mois à la fois, mais sont renouvelables à l’infinie, ce qui signifie que les Palestiniens peuvent être emprisonnés pendant plusieurs années d’un seul tenant. Jusqu’à présent, la plus longue détention administrative a duré huit ans.

Les détentions administratives sont souvent autorisées sur base de « preuves secrètes », lesquelles peuvent n’être rien de plus que des mots sortis de la bouche de l’un ou l’autre fonctionnaire des renseignements israéliens.

Le travail d’El-Funoun célèbre la détermination et la résistance palestinienne face à une adversité constante, par le biais de spectacles de danse édifiants qui ont trouvé un écho chez le public tant en Palestine que dans le monde entier.

Une telle façon de défier Israël, malheureusement, à son prix aussi.  

« En Palestine, tout le monde est soumis à l’oppression sur base quotidienne, que vous soyez en prison ou que vous déambuliez dans la rue », a ajouté Baker.

« Ata est un artiste qui n’a pas hésité à s’exprimer ouvertement sur la façon dont on traite notre peuple, et il est très populaire parmi les jeunes. »

Ata reste en détention. En principe, il doit comparaître devant un tribunal militaire le 18 avril, nous explique son père.


Publié le 9 avril 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Ciaran Tierney est un blogger titulaire de diverses récompenses et un ancien journaliste de la presse écrite. Twitter : @ciarantierney. Site internet : ciarantierney.com.

Rappelons-nous le danseur de debke Mustapha Awad, Belge d’origine palestinienne, qui a été arrêté en Israël en août 2018, alors qu’il voulait uniquement visiter le pays de ses grands-parents. Mustapha a passé 253 jours en détention en Israël.  C’est grâce à la mobilisation de la société civile belge qu’il a finalement été libéré. Le gouvernement belge l’avait bel et bien laissé tomber.

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