7 octobre 2024, un an de soulèvement du ghetto de Gaza – Partie 1. L’apocalypse.

Est-ce le soulèvement du ghetto de Gaza le 7 octobre 2023 qui a déclenché le génocide israélien à Gaza ? Ou, au contraire, la tempête d’Al Aqsa était-elle précisément un ultime soulèvement contre le génocide silencieux et planifié qui se déroule depuis des années en Palestine occupée et qui est maintenant entré dans sa phase finale sous les yeux du monde entier ? 

 

Des familles déplacées par le conflit à Gazacomptent sur l'aide alimentaire de l'ONU.

Photo UN news © WFP/Ali Jadallah

 

 

Luk Vervaet, 26 septembre 2024
 

Le dimanche 15 septembre 2024, quelques semaines avant le premier anniversaire de la tempête d’Al Aqsa, le ministère de la Santé de Gaza dénombrait 41 206 morts et 95 337 blessés palestiniens depuis le début de l’invasion et du génocide israéliens à Gaza. Une semaine plus tard, on comptait déjà 41 431 morts et 95 818 blessés. La majorité des victimes sont des femmes et des enfants.

À l’instant où vous lisez ces lignes, il y en a sans doute déjà des dizaines, voire des centaines d’autres.

« En réalité, nous parlons de centaines de milliers de Palestiniens »,

écrit Paul Larudee, dont plus de la moitié sont des enfants, qui sont morts à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Il n’y a pas seulement les 41 000 morts identifiés, ceux dont on sait qu’ils ont été tués. Il y a aussi ceux qui ont été tués indirectement : par la faim, par la maladie, par la soif. Ou parce qu’ils sont morts sans avoir été comptabilisés. Les bébés, les mères enceintes, les écoliers, tous ceux qui sont morts indirectement, tous ont été tués par une politique israélienne qui les a délibérément assassinés ».

Dans un rapport récent, Devi Sridhar, professeur de santé publique mondiale à l’université d’Édimbourg, écrit que le nombre réel de victimes du génocide israélien en septembre 2024 peut être estimé à 335 500 et pourrait être encore plus élevé. Elle s’appuie pour cela sur une estimation réalisée par des chercheurs en santé publique qui ont recensé les décès survenus lors de conflits antérieurs. Leur estimation a été publiée dans la revue médicale scientifique The Lancet en juillet 2024. 

Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies pour la Palestine, a réagi en ces termes :

« Lorsque je lis les rapports des experts en santé, je commence à penser avec horreur que si l’attaque d’Israël n’est pas stoppée, la quasi-totalité de la population de Gaza finira par être exterminée au cours des prochaines années ». 

Sur les 365 kilomètres carrés de Gaza, où la densité de population est la plus élevée au monde, à peine un bâtiment tient debout. Selon Philippe Lazzaroni, commissaire général de l’UNRWA, deux bâtiments sur trois à Gaza ont été endommagés ou détruits. 

La quasi-totalité du territoire de Gaza a été déclarée zone militaire israélienne et zone à haut risque. Depuis le 8 octobre 2023, la population palestinienne est chassée comme un troupeau de bétail, du nord au centre, puis au sud, où 1,7 million de personnes ont trouvé refuge, à Rafah et dans ses environs, selon les Nations unies. Dans des tentes ou des structures de fortune faites de bois et de toile de nylon. Puis vint l’offensive israélienne contre Rafah et l’ordre de se déplacer vers l’ouest : près d’un million de Palestiniens ont fui la ville et ses environs pour se réfugier dans des tentes sur la côte de la bande de Gaza. Les familles ont déménagé sept à huit fois, pour être bombardées encore et encore, avec la question lancinante : où aller, où aller ?

Le 9 juillet 2024, dix experts et rapporteurs spéciaux de l’ONU ont publié une communication indiquant que les décès récents de trois enfants palestiniens (âgés de six mois, 13 ans et neuf ans), dus à la faim et à la malnutrition, ne laissent aucun doute sur le fait que la famine s’est propagée dans toute la bande de Gaza.

« Les trois enfants sont morts de malnutrition et d’un manque d’accès à des soins de santé appropriés. Lorsque le premier enfant meurt de malnutrition et de déshydratation, il devient irréfutable que la famine a éclaté. Nous déclarons que la campagne de famine délibérée et ciblée menée par Israël contre le peuple palestinien est une forme de violence génocidaire et a conduit à la famine dans toute la bande de Gaza »,

affirment les experts.

Les premières pluies sont tombées à Gaza à la fin du mois de septembre.

 

La pluie tombe sur Gaza.

Cartoon publié sur palinfo.com

 

Mais, selon les chiffres du bureau des médias du gouvernement de Gaza, l’armée israélienne a pratiquement détruit tous les égouts et les canalisations d’eau. Il en résulte d’inévitables inondations dues à l’eau polluée qui jaillit des égouts détruits. Et ce n’est pas tout. Au cours de la prochaine saison hivernale, lorsque les inondations deviendront plus fréquentes, la population n’aura qu’un choix : sombrer dans les eaux usées du paysage urbain en ruine de Gaza ou être engloutie par la marée montante dans les camps de tentes au bord de la mer.

Dans le même temps, l’offensive contre les Palestiniens de Cisjordanie bat son plein, de même que l’offensive contre le Liban, toujours selon le même scénario fasciste : des centaines de civils meurent sous les bombes et des dizaines de milliers d’autres fuient. Plus de 500 Libanais morts en un jour ! Dans le même temps, il s’agit d’une stratégie israélienne visant à détourner l’attention du monde de Gaza, où la population continue à être bombardée et meurt en silence.

 

Et nous ?

Il est irréfutable qu’Israël n’a pu attaquer la Cisjordanie et le Liban que parce qu’il n’y a aucune réponse des gouvernements américains, européens ou arabes au génocide en cours à Gaza.

Alors même que j’écris, je pense : pourquoi écrire ? À quoi cela sert-il ? En quoi cela aide-t-il la population de Gaza ? Qui nous écoute encore, si ce n’est ceux qui savent déjà et ont déjà tout entendu ?

Peut-être que tout ce qui m’importe, c’est de partager la douleur et l’impuissance d’un ancien collègue, un enseignant en prison, qui m’a écrit en mars de cette année :

« Plus jamais ça ! Pas en mon nom ! Tu sais de quoi je parle, n’est-ce pas ? Inacceptable, intolérable, insupportable, dégoûtant, à vomir, les événements de Gaza me rendent malade. »

Je partage son sentiment. Je ne sais plus combien de fois j’ai cliqué sur les smileys « Triste » ou « En colère » sur les réseaux sociaux devant les images de tant de souffrances. Et combien de fois j’ai aimé des posts et des articles pro-palestiniens, pour les voir ensuite disparaître, prétendument parce que les publications n’étaient pas conformes aux « normes ou règles » (pro-israéliennes) de Facebook et d’autres médias (sociaux).

Certains partageront le sentiment de mon ancien collègue. D’autres parleront d’empathie ou de culpabilité déplacées ou exagérées. Un état dépressif, sans doute. Mais cela peut être aussi tout simplement l’inverse. N’est-ce pas notre société qui est malade de son manque d’empathie et que le premier cordon sanitaire qu’il faut briser, c’est celui du manque d’identification et de solidarité ?

Nous qui nous sommes tant engagés pour la protection des enfants depuis la Marche blanche et l’affaire Dutroux, où voyons-nous aujourd’hui des Marches blanches pour les enfants de Gaza ? Quand cesserons-nous de nous mobiliser uniquement pour ce qui nous touche directement ? Quand les syndicats réagiront-ils ? Quand toutes les universités se mettront-elles en grève générale pour soutenir les courageux occupants des facultés ? Quand romprons-nous avec tous les partis, avec tous les candidats aux élections qui continuent à soutenir Israël ou ne font que bafouiller quelques mots de pitié pour Gaza ?  Quand nous considérerons-nous enfin comme des citoyens du monde et non d’un pays, ou pire, d’un État ? Ce qui nous permettrait, comme le disait Che Guevara dans sa lettre d’adieu à ses enfants :

« Surtout : être capable de ressentir au plus profond de soi toujours n’importe quelle injustice, contre n’importe qui, n’importe où dans le monde. » 

Nie Wieder, plus jamais, plus jamais. Nous l’avions écrit en grosses lettres dans les livres d’histoire, après la guerre, après le ghetto de Varsovie, après Hiroshima, après Auschwitz, après Dachau, après Buchenwald. Mais, comme l’a dit Arundhati Roy lors d’une conférence sur Gaza, le « Nie » et le « Never » sont tombés. Tout ce qui reste, c’est « Wieder » et « Again » et « Again ». Les horreurs d’il y a 80 ans sont revenues à la vie dans Gaza 2024.

Vous vous imaginez dans le film Zone d’intérêt, où les bourreaux nazis vivent une vie parfaitement normale de l’autre côté du mur du camp de la mort d’Auschwitz. Tout comme nous, à côté de Gaza.

« L’Europe s’est comportée comme quelqu’un qui s’amuse sur un manège à côté du mur du ghetto (de Varsovie) dimanche, alors que de l’autre côté des gens meurent dans les flammes. L’indifférence et le crime, c’est la même chose. Penser à ce manège, aux flammes et aux insurgés permettra peut-être d’attirer l’attention du monde sur le génocide ».

Ces mots sont ceux de Marek Edelman, l’un des leaders de l’insurrection du ghetto de Varsovie et en même temps l’un des rares survivants. Il les a écrits en 1945 dans son livre  Mémoires du ghetto de Varsovie, deux ans après la répression du soulèvement du ghetto et son extermination jusqu’au dernier homme et à la dernière femme.

Ces mots peuvent être répétés mot pour mot aujourd’hui à propos de Gaza.

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Deuxième partie. Chronique d’un génocide planifié

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Publié le 26 septembre 2024 sur le blog de Luk Vervaet

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