Les familles méritent qu’on leur réponde à propos des 88 corps renvoyés dans un conteneur

Des travailleurs portent un corps non identifié découvert à l'hôpital Nasser à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Des milliers de personnes ont été portées manquantes, à Gaza, et leurs familles désespèrent de recevoir des nouvelles.

Des travailleurs portent un corps non identifié découvert à l’hôpital Nasser à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Des milliers de personnes ont été portées manquantes, à Gaza, et leurs familles désespèrent de recevoir des nouvelles. (Photo : Rizek Abdeljawad / Xinhua)

 

Fedaa al-Qedra, 1er octobre 2024

L’angoisse déchirante qui étreint de nombreuses familles palestiniennes depuis des mois à propos de leurs proches portés manquants a éclaté à la surface le 25 septembre, lorsque 88 corps non-identifiés ont été découverts dans un conteneur transporté par un camion qui, a-t-on rapporté, venait d’un passage vers Gaza contrôlé par les Israéliens.

Les corps sont arrivés à l’hôpital Nasser de Khan Younis sans la moindre donnée d’accompagnement. On n’avait noté aucun nom, aucun âge, aucun endroit de découverte, selon le ministère de la Santé, qui a refusé de les recevoir et a renvoyé le camion vers le passage d’où il était venu.

« Nous ne pouvons leur permettre de disparaître dans une tombe anonyme »,

a expliqué le ministère dans une déclaration qui confirmait le nombre de corps.

« Chacune de ces personnes a une famille, une histoire, une vie qui méritent qu’on les reconnaisse. Nous demandons que leur humanité soit honorée. »

Plus de 10 000 personnes à Gaza ont été portées manquantes. Nombreuses sont celles que l’on croit ensevelies sous les décombres, mais les autorités de Gaza ont également accusé Israël d’avoir fait systématiquement disparaître de grands nombres de personnes.

Pour les familles, l’absence d’informations est angoissante.

Ahmed Kafarna, dont le fils Salah a disparu voici près d’un an, a décrit son tourment.

« Depuis des mois, nous vivons dans l’incertitude. Mon fils est-il en vie ? Et voici que maintenant, on parle de ces corps, mais comment pouvons-nous savoir si l’un d’eux est notre fils bien-aimé ? »

« Les parents ne devraient pas enterrer leur enfant sans savoir. Pas de cette façon. »

Sa voix a vacillé, au moment où une émotion brutale s’est emparée de lui, mais il a continué de parler :

« Tout ce qu’il nous faut, ce sont des réponses. Nous avons besoin de savoir. »

Sans un corps pour faire leur deuil, bien des familles ont du mal à gérer leur chagrin. Elles ne peuvent organiser de funérailles ni non plus créer un espace afin de commémorer leur être cher, puisqu’il leur est refusé que la tombe soit refermée.

Khaled, dont l’ami Mahdi Abu Seedo, 28 ans, a disparu, n’a pu que répéter l’angoisse d’Ahmed Kafarna.

« Chaque jour a l’air d’un jeu cruel. On s’accroche à l’espoir et on le perd de nouveau. Et il n’y a pas de fin, pas de paix »,

a-t-il dit à The Electronic Intifada.

 

La dignité

Hisham Mehanna, un porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré que les lois internationales recommandent instamment que les personnes ayant perdu la vie au cours d’un conflit armé soient traitées avec dignité.

« Cela requiert de se mettre à la recherche des personnes décédées, de les rassembler et de les évacuer, d’enregistrer toutes les informations disponibles avant de pouvoir disposer de ces personnes décédées. Ceci permet de s’assurer que ces personnes ne seront pas portées manquantes »,

a-t-il expliqué à The Electronic Intifada.

Les organisations juridiques se sont également fait entendre. L’Euro-Mediterranean Human Rights Monitor (Euro-Med) a sévèrement condamné la façon dont les corps ont été livrés à Gaza, insistant sur le fait qu’Israël est tenu par les lois internationales et par les normes des droits humains de ne pas maltraiter les morts ou leurs restes.

« Israël doit entreprendre toutes les démarches nécessaires pour identifier les personnes décédées, ce qui inclut l’enregistrement d’autant d’informations que faire se peut et la garantie d’un traitement et d’un transfert des corps dans la dignité, sans interférence avec leur tombe »,

a déclaré l’organisation dans un communiqué de presse.

Pour les familles, chaque jour sans réponse est un autre jour de souffrance.

Amina Nasir, 52 ans, qui a perdu et son fils Nasir et son frère Muhammad ces derniers mois, a dit simplement :

« Il ne me reste rien. Pas de nouvelles, pas de corps, pas de tombe. C’est une torture que je ne puis décrire. »

Il y a également des implications plus larges. Au-delà de la souffrance immédiate, cette question met en évidence une lacune critique dans la façon dont la communauté internationale s’y prend avec les droits des morts dans les zones de conflit. La Convention de Genève dit explicitement que les parties en conflit doivent garder des registres des morts et faciliter l’identification des corps. Mais, sans mesure d’exécution, ces obligations légales sont trop facilement ignorées.

L’absence d’informations claires de la part d’Israël à propos des 88 corps a attisé la frustration croissante. Le ministère palestinien de la santé a fait entendre clairement qu’il ne reviendrait pas sur son exigence d’identifications claires.

« Nous le devons aux familles et nous le devons aux morts »,

a dit à The Electronic Intifada Ashraf al-Qedra, un porte-parole du ministère.

« Ce ne sont pas que des numéros ou des statistiques. Ce sont des êtres humains qui méritent d’être traités avec dignité, même dans la mort. »

Le silence de la communauté internationale autour de la question est assourdissant et les familles comme celle de Salah Kafarna sont laissées aux prises avec l’incertitude.

« Mon fils était un garçon gentil »,

a déclaré son père avec douceur, en exhibant une photographie usée.

« Il mérite de revenir à la maison, même si c’est juste pour y reposer. »

 

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Fedaa al-Qedra est journaliste et elle vit à Gaza.

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Publié le 1er octobre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

 

 

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