Enfant à Gaza ou l’apprentissage de la survie
Un enfant à Gaza paie un prix fait de peur et de traumatisme incessant qui se reflète dans leurs comportements et leurs réactions.
Esraa Abo Qamar, 11 octobre 2024
Quand j’ai demandé à mon cousin Ahmed, qui a sept ans, si sa maison lui manquait, j’ai été passablement surprise qu’il me réponde « non ».
Depuis octobre 2023, il a été déplacé à maintes reprises par le génocide d’Israël, depuis sa maison dans le nord de Gaza jusque chez sa grand-mère à Rafah et, maintenant, il vit chez nous à Nuseirat, dans la partie centrale de Gaza.
« Je ne me souviens plus du tout de ma maison »,
m’a-t-il dit.
« Peut-être même qu’elle n’existe plus. La maison de grand-maman me manque, parce que je m’en souviens dans chaque détail. »
Toute une année de déplacements et il ne se souvient même plus de sa première maison. Il ne peut visualiser sa chambre, ses vêtements, ses jouets, ses livres à colorier. Mais je peux toujours me rappeler et, en fait, je me rappelle que sa maman cuisait le pain très tôt le matin pendant qu’il regardait ses dessins animés, Elmer Fudd chassant Bugs Bunny.
Il adorait également jouer dans la cour, derrière, avec son frère aîné Ibrahim, dix ans, et sa sœur Afnan, en dernière année d’études supérieures.
Voilà comment se déroulait sa vie quotidienne. Il allait dormir tôt le soir et se levait tôt le matin pour aller à l’école.
Afnan préparait ses examens finaux au moment où le génocide a débuté, en octobre 2023. Son objectif était d’étudier la psychologie de façon à pouvoir aider les enfants comme Ahmed à traiter le traumatisme de l’incessante violence d’Israël.
Mais l’invasion israélienne a privé Afnan de son quotidien fait d’étude et d’enseignement.
Les écoles d’Afnan et d’Ahmed sont aujourd’hui des refuges pour personnes déplacées. Elles sont régulièrement bombardées par Israël et sont le théâtre de nombreux massacres. Ces lieux de joie et de bonheur gardent désormais des souvenirs de sang et de mort.
Leur enfance leur a été refusée et elle est désormais remplacée par la dépression et l’épuisement.
Afnan et Ahmed se réveillent toujours très tôt, mais plus pour aller à l’école ni pour étudier. Désormais, ils doivent se mettre en quête de bois à brûler afin que leur mère puisse préparer les repas.
Chaque matin, Ahmed rassemble ses forces pour entamer la longue journée fatigante qui consiste à faire la file pour avoir de l’eau et du pain. Souvent tout ce qu’ils ont à manger pour la journée consiste en une boîte de vieux haricots. Les marchés sont vides et quand il y a des produits alimentaires dans les rayons, on ne peut s’en procurer parce qu’ils sont trop chers.
L’âme autrefois pleine d’entrain d’Ahmed semble diminuée. Aujourd’hui, il est bien plus calme.
Quand je lui ai apporté un peu de papier et des crayons pour qu’il puisse dessiner et que j’ai mis une de ses chansons favorites sur mon téléphone, il a eu l’air perdu. Il s’est assis par terre sans bouger.
Finalement, il ‘est mis à dessiner quelque chose, un dessin le représentant lui et ses amis dans un jardin, en train de jouer au foot. Un garçon passe le ballon à un autre, qui crie « Goal ! »
Comme l’écrivait mon professeur bien-aimé, désormais martyr, Refaat al-Areer :
« Ce sont les enfants qui paient le prix le plus lourd. Un prix fait de peur et de traumatisme incessant qui se reflète dans leurs comportements et leurs réactions. »
Ahmed est très aimé par sa famille, mais on dirait que cela ne suffit pas. Être jeune et devoir vivre avec une telle tristesse et de telles responsabilités, quand les besoins quotidiens en nourriture et en eau constituent un gros point d’interrogation. Ahmed assume les responsabilités d’une personne bien plus âgée et je ne crois pas qu’il soit possible du tout de lui rendre encore son enfance.
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Esraa Abo Qamar écrit et vit à Gaza. Elle est également étudiante en littérature anglaise.
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Publié le 11 octobre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Charleroi pour la Palestine