Israël est en train de perpétrer un crime d’extermination — Enquête de l’ONU
Israël resserre son étau autour des civils de Gaza et du Liban, en décrétant samedi de nouveaux ordres d’évacuation dans les deux régions.
Maureen Clare Murphy, 12 octobre 2024
« Le conflit au Liban, associé à l’intensification des frappes en Syrie et à la violence qui fait rage à Gaza et en Cisjordanie occupée, montre une région prête à basculer dans une guerre totale » :
Telle est la mise en garde adressée jeudi par une haute responsable de l’ONU au Conseil de sécurité.
Rosemary DiCarlo, la secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, a fait ces remarques après que, mardi, une frappe de l’aviation israélienne a touché un immeuble résidentiel dans un faubourg de Damas, tuant sept civils, dont des femmes et des enfants.
Plus de 300 personnes ont été tuées au Liban durant la seule semaine écoulée, a déclaré DiCarlo au Conseil de sécurité, tout en le prévenant que le temps en vue d’une résolution diplomatique s’épuisait rapidement.
Vendredi, depuis le Liban, le Hezbollah a poursuivi ses tirs de roquettes et de drones vers Israël. Vendredi soir, un drone a frappé un immeuble résidentiel à Herzliya, sans faire de blessés.
Washington, annonce-t-on, a perçu la crise au Liban et la position prétendument affaiblie du Hezbollah après les assassinats de quelques-uns de ses principaux dirigeants comme une opportunité de rompre l’impasse politique dans ce pays, qui est sans président depuis près de deux ans.
Les EU cherchent à mettre sur la touche le Hezbollah, qu’ils ont désigné comme organisation terroriste, et à installer un nouveau président au Liban, de même qu’ils cherchent à déboussoler le Hamas en tant qu’autorité gouvernante de fait sur les affaires internes des Palestiniens à Gaza.
Apparemment, les principales parties, dont les EU, ont abandonné toute prétention de piste diplomatique en vue de mettre un terme à une année de violence meurtrière à Gaza, et aujourd’hui au Liban, qui s’est traduite en une catastrophe et un bain de sang sans précédent.
Amal Saad, une analyste spécialiste du Hezbollah, a déclaré que nous assistons non seulement à
« la fin du droit international, mais aussi à la disparition possible de la diplomatie même, qui lui est antérieure de quelques millénaires ».
Saad a ajouté que
« l’instrumentalisation par les EU des négociations de cessez-le-feu afin de ravager systématiquement Gaza et le Liban ont fait de la diplomatie américaine une arme de destruction massive ».
Israël assiège le nord de Gaza
Al Mezan, une éminente organisation palestinienne des droits humains, a fait savoir que, depuis samedi dernier, Israël avait
« déclenché une vague renouvelée de violence génocidaire contre les Palestiniens dans le nord de Gaza (…) dans l’intention manifeste d’éliminer toute présence palestinienne »
dans la région.
De ce fait, l’armée israélienne a largué de nouveaux ordres d’évacuation dans le nord de Gaza et a annoncé
« une nouvelle phase de la guerre ».
Samedi, l’armée israélienne a ordonné l’évacuation de deux quartiers du nord de la ville de Gaza.
Au moins 150 personnes ont été tuées lors de la nouvelle offensive qui a débuté voici une semaine dans le nord de Gaza.
Nulle nourriture n’est plus entrée dans le nord de Gaza depuis le début du mois, ce qui expose un million de personnes à un risque de famine, estime le Programme alimentaire mondial.
« Environ 400 000 Palestiniens dans le nord de Gaza sont confrontés à des menaces de déplacement ou de mort »,
a déclaré Al Mezan.
Mardi, Israël a ordonné l’évacuation de trois hôpitaux dans le nord de Gaza et il a assiégé le camp de réfugiés de Jabaliya – le plus grand camp de réfugiés du territoire, installé après le nettoyage ethnique des villes et villages palestiniens à l’époque de la création d’Israël en 1948.
Le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) a dit que, ce même jour, les avions de combat israéliens avaient attaqué des maisons et d’autres bâtiments à proximité de l’hôpital Kamal Adwan, à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza,
« infligeant des dégâts massifs et des blessures ».
Entre-temps, des drones israéliens
« ont ouvert le feu sur toute personne se déplaçant dans la rue principale et les rues latérales de la zone »,
en empêchant les victimes d’être transportées à l’hôpital et
« en semant la panique parmi les patients et les équipes médicales »,
a ajouté le CPDH.
Les forces israéliennes ont bombardé un groupe de personnes à l’extérieur d’une boulangerie du camp de réfugiés de Jabaliya, tuant 13 personnes, a ajouté l’organisation. L’attaque contre l’une des seules boulangeries encore opérationnelles dans la zone prouve
« l’intention délibérée d’Israël de détruire tous les sites indispensables à la survie de la population »,
estime le CPDH.
Un journaliste tué, un autre blessé et un troisième dans un état critique
Mercredi, Israël a lancé des frappes aériennes sur des tentes abritant des personnes déplacées dans la cour de l’hôpital al-Yemen al-Saeed, dans le camp de Jabaliya, tuant 17 Palestiniens.
Ce même jour, des avions de combat israéliens ont frappé un groupe de journalistes à un rond-point à l’ouest du camp, tuant Mohammad al-Tanani et blessant Tamer Lubbad. Un troisième journaliste, Fadi al-Wahidi, qui travaille pour Al Jazeera, a été touché à la poitrine et se trouve dans un état critique.
Les collègues d’al-Wahidi ont réclamé son évacuation urgente en dehors de Gaza, afin qu’il puisse recevoir un traitement médical à même de le maintenir en vie.
Plus de 10 000 patients nécessitant un traitement médical urgent à Gaza ont été empêchés d’évacuer, après la fermeture en mai du passage de Rafah vers l’Égypte, estime l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Israël prétend que la reprise de son siège contre Jabaliya et d’autres zones dans le nord de Gaza est destinée à semer la déroute dans les forces du Hamas qui se sont regroupées. Trois réservistes ont été tués jeudi lors des combats dans le nord de Gaza.
Des familles entières ont été anéanties dans leurs foyers à l’intérieur du camp, où des milliers de personnes sont piégées et meurent de faim.
« Personne n’a le droit d’entrer ou de sortir ; toute personne qui essaie est abattue »,
a expliqué Sarah Vuylsteke, coordinatrice de projet à Médecins sans frontières.
Le CPDH a déclaré que ses enquêteurs avaient
« reçu des rapports faisant état de plusieurs cadavres et personnes blessées éparpillés dans les rues et sous les décombres des maisons du fait qu’il était extrêmement malaisé pour les équipes de secours et la défense civile de se déplacer et de les retrouver ».
Israël a imposé un siège total au nord de Gaza, « empêchant l’entrée de vivres, d’eau et de médicaments », selon Al Mezan.
Le Dr Husam Abu Safieh, directeur de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, a mis en garde contre le fait que les hôpitaux dans le nord allaient être transformés en fosses communes s’ils étaient obligés d’évacuer. Il a ajouté que les patients en dialyse, dont des enfants, avaient passé huit jours sans traitement dialytique en raison du manque de carburant.
La Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP) et le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) ont déclaré vendredi que le personnel humanitaire était dans l’impossibilité d’atteindre l’hôpital depuis trois jours d’affilée.
L’OMS a dit que sept missions vers le nord de Gaza « avaient été refusées ou empêchées » au cours de la semaine écoulée et l’organisation a prié instamment Israël de
« mettre fin à ses ordres d’évacuation et de protéger les hôpitaux ».
« Il ne reste pour ainsi dire plus de services de santé, dans le nord de Gaza »,
a ajouté l’OMS.
Tedros Adhanom Ghebreyesus, son directeur, a appelé à un engagement en vue de respecter les pauses humanitaires, « surtout étant donné les ordres d’évacuation dans le nord de Gaza », afin de pouvoir mener à bien la seconde vague de vaccination contre la polio dont le début est normalement prévu le 14 octobre.
« Pour faire cesser la transmission, au moins 90 pour 100 des enfants ont besoin de deux doses »,
a dit Ghebreyesus.
Al Mezan, l’organisation des droits humains, a prévenu que les développements sur le terrain indiquent que l’armée israélienne applique le « plan général » mis au point par les commandants réservistes et les soldats en vue de dépeupler systématiquement le nord de Gaza
« via des atrocités incluant massacres, déportations et affamement ».
Les organisations d’aide ont dit mercredi
« qu’Israël a l’intention d’étendre le corridor de Netzarim afin de renforcer la séparation entre le nord et le sud [de Gaza], ce qui empêchera efficacement les gens de retourner vers le nord et continuera de restreindre l’afflux d’aide vers une population qui endure déjà une famine atteignant des niveaux catastrophiques ».
Des mères, des enfants, des travailleurs médicaux ont encore été tués
« Il n’y a pas d’endroit à Gaza qui soit sûr pour les civils »,
ont mis en garde un jour les organisations humanitaires.
Israël continue d’attaquer les écoles et autres sites utilisés comme abris pour les Palestiniens déplacés dans tout Gaza. Au moins 28 personnes ont été tuées et plus de 50 blessées jeudi, lors d’une attaque israélienne contre une école servant d’abri à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza.
Alors qu’Israël prétend avoir ciblé par une « frappe précise » un « centre de commandement et de contrôle » du Hamas – comme il l’a prétendu sans preuve lors d’innombrables autres attaques contre des refuges pour civils déplacés par son armée – des témoins ont dit à la BBC
« qu’il y avait eu deux frappes aériennes qui avaient touché deux locaux de l’école où de l’aide alimentaire était stockée et distribuée ».
« Bien des mères et des enfants faisant la file à un point de distribution » ont été tués et blessés, a déclaré Adele Khodr, une directrice régionale de l’UNICEF, l’agence de l’ONU pour les enfants. Deux travailleurs de la santé au service d’une organisation partenaire de l’UNICEF faisaient partie des morts, a ajouté Khodr.
L’aide qui entre à Gaza est à son niveau le plus bas depuis des mois, a mis en garde l’OCHA, l’agence de contrôle de l’ONU.
« Les gens n’ont plus aucun moyen de faire face, les systèmes alimentaires se sont effondrés et le risque de famine persiste »,
a déclaré l’agence.
Entre-temps, le quotidien israélien Haaretz a rapporté que les ministres d’extrême droite et violemment anti-palestiniens alliés au Premier ministre Benjamin Netanyahou s’emploient afin que l’armée israélienne
« assume la responsabilité à chaque stade » du processus de distribution de l’aide à Gaza – en se procurant l’aide, en la transportant et en la distribuant aux résidents de Gaza ».
Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, qui se plaignait récemment de ce que les pressions internationales empêchaient Israël d’affamer à mort les Palestiniens de Gaza, contrôle la COGAT, l’institution du ministère israélien de la défense qui superviserait et coordonnerait le processus de distribution de l’aide.
Comme l’a rapporté Haaretz, la COGAT a honteusement
« calculé le nombre de calories dont une personne a besoin pour éviter de mourir de faim » et, de là, « a calculé les quantités et types d’aliments qui pourraient entrer à Gaza »,
ainsi que le nombre de camions nécessaires pour apporter cette nourriture.
« Le chiffre a été fixé avec précision à 170,4 camions cinq jours par semaine, en excluant les 68,8 chargements de camion qui étaient équivalents à l’époque à la propre production de nourriture de Gaza qui, aujourd’hui, est devenue pratiquement inexistante »,
explique Haaretz.
« Il n’y a pas de raison de penser que le menu de calories établi en 2008 pourrait changer sous le régime de quasi-famine que Smotrich voudrait instaurer à Gaza »,
a ajouté le journal.
Attaque meurtrière contre Beyrouth
Entre-temps, jeudi, au Liban, un raid aérien d’Israël sur une zone résidentielle densément peuplée dans le centre de Beyrouth a tué 22 personnes – « ce qui en fait la troisième attaque significative contre la ville depuis le 23 septembre », fait savoir l’OCHA.
La cible apparente, Wafiq Safa, un haut responsable du Hezbollah, a survécu à l’attaque meurtrière, qui a été menée sans avertissement préalable, disent des rapports.
« Parmi les morts, il y avait une famille de huit personnes, dont trois enfants, qui avait dû quitter le sud »,
a rapporté Reuters, citant une source restée anonyme.
Vendredi, au Sud-Liban, une frappe israélienne a blessé deux soldats srilankais du maintien de la paix de l’ONU, ce qui a incité la France à convoquer l’ambassadeur d’Israël à Paris et a par ailleurs provoqué l’indignation en Russie.
Deux autres soldats indonésiens du maintien de la paix avaient déjà été blessés jeudi après être tombés d’un mirador qui avait subi des tirs de char israélien, a rapporté Reuters.
Vendredi de nouveau, un travailleur thaï a été tué par une munition dans le nord d’Israël.
Mercredi, deux personnes ont été tuées à Kiryat Shmona, une ville du nord d’Israël. Le Hezbollah a déclaré qu’il avait lancé au moins 360 missiles depuis le Liban vers Israël mercredi et jeudi.
Le fonds pour l’enfance de l’ONU, l’UNICEF, a déclaré dans un rapport sur la situation publié vendredi que, parmi les 2 110 personnes tuées au Liban entre octobre 2023 et le 8 octobre 2024, 127 étaient des enfants. Quelque 70 pour 100 des victimes sont tombées au cours des trois semaines écoulées.
Il y a eu plus de 9 400 frappes contre le Liban, au cours de l’année écoulée, selon des chiffres de l’ONU.
« L’escalade de la violence dans la semaine du 23 septembre 2024 a élargi la portée des attaques, causant ainsi la période la plus meurtrière et la plus importante vague de déportations que le Liban ait connue ces dernières décennies »,
a fait savoir l’UNICEF.
La nouvelle année scolaire a été reportée au Liban, puisque plus de la moitié des écoles du pays sont utilisées comme refuges pour personnes déplacées. Environ 40 pour 100 du 1,5 million d’enfants inscrits dans les écoles libanaises sont actuellement déplacés.
Environ 1,2 million de personnes – un cinquième de la population du pays – ont été déplacées au niveau interne, c’est-à-dire à l’intérieur même du Liban, estime Save the Children (Sauvez les enfants).
Samedi, l’armée israélienne a ordonné l’évacuation de 23 villages du Sud-Liban, instruisant les habitants de gagner le nord du fleuve Awali.
Entre le 23 septembre et le 9 octobre, plus de 310 000 Syriens et près de 110 000 Libanais ont fui le Liban en direction de la Syrie.
« Les frappes de l’aviation israélienne ne se sont pas seulement intensifiées mais elles se sont également étendues à des zones précédemment non affectées et ont ciblé de plus en plus de très importantes infrastructures civiles »,
a déclaré l’OCHA mercredi.
Au moins 12 sites gérés au Liban par l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, sont utilisés comme refuges. Trois camps de réfugiés palestiniens ont été « affectés par les frappes aériennes », selon l’UNICEF. L’agence a ajouté que quelque 24 500 Palestiniens avaient fui les camps de réfugiés « en raison des attaques récentes ».
« Destruction de générations d’enfants palestiniens »
Plus de 100 travailleurs médicaux et membres du personnel de secours ont été tués au Liban durant l’année écoulée, selon le bureau des droits de l’homme de l’ONU.
« Les hôpitaux du Sud-Liban ferment leurs portes en raison des dégâts subis lors des attaques et aussi en raison de la pénurie des fournitures, et au moins trois types d’opérations ont été suspendues »,
estime l’OCHA.
Selon Ghassan Abu Sitta, un chirurgien britannico-palestinien qui a travaillé à Gaza au cours des premières semaines du génocide et qui se trouve actuellement au Liban,
« nous assistons à un modèle semblable à ce qui se passait à Gaza, en ce sens que le système libanais de la santé est particulièrement visé. »
Un nouveau rapport d’une commission d’enquête indépendante de l’ONU a découvert, en s’appuyant sur ses investigations concernant les attaques subies par quatre hôpitaux à Gaza, que les forces israéliennes
« attaquaient ces sites de façon similaire, ce qui suggère l’existence de plans et procédures d’opération dans l’attaque des sites de soins de santé ».
La commission a ajouté que
« les attaques contre les sites de soins de santé constituent un élément intrinsèque » de l’offensive plus large d’Israël contre les Palestiniens de Gaza, contre les infrastructures physiques et démographiques de l’enclave, en même temps que des efforts an vue d’étendre l’occupation ».
Les attaques contre les sites de soins de santé et qui se traduisent directement par la mort de civils, y compris des personnes qui reçoivent un traitement médical ou qui cherchent un refuge, constituent « une violation du droit des Palestiniens à la vie », estime la commission.
« De tels actes constituent le crime contre l’humanité qu’est l’extermination »,
a ajouté la commission.
La commission a dit également que les attaques contre des sites médicaux fournissant des soins pédiatriques et néonatals
« ont débouché sur d’incalculables souffrances chez les petits patients, y compris les nouveau-nés ».
La commission a ajouté :
« Israël a violé le droit des enfants à la vie, a refusé à des enfants l’accès aux soins de santé élémentaires et a délibérément infligé des conditions de vie se traduisant par la destruction de générations d’enfants palestiniens et, potentiellement, du peuple palestinien en tant que groupe. »
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 12 octobre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine