Yahya Sinwar a été tué en combattant les forces israéliennes à Gaza
L’armée israélienne a annoncé jeudi qu’elle avait tué le chef du Hamas Yahya Sinwar à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
Il a été rapporté que Sinwar a été tué mercredi par des troupes terrestres qui n’ont pas compris qu’elles étaient engagées contre l’homme le plus recherché par Israël, n’ayant apparemment aucun renseignement important sur l’endroit où Sinwar se trouvait.
Maureen Clare Murphy, 17 octobre 2024
La police israélienne a prétendu que « les données dentaires et les empreintes digitales ont permis l’identification définitive des restes de Sinwar », a rapporté Reuters.
Des images graphiques et des vidéos montrant prétendument le corps de Sinwar ont été publiées par les médias israéliens.
Vendredi, le Hamas a confirmé la mort de Sinwar, largement considéré comme le cerveau de l’attaque surprise du 7 octobre 2023 qui a dévasté le commandement sud de l’armée israélienne et brisé à jamais le mythe de l’invincibilité militaire israélienne.
Dans une annonce faite par Khalil al-Hayya, chef du Hamas à Gaza, le groupe de résistance a déclaré que Sinwar
« a consacré sa vie à la Palestine et a sacrifié son âme pour l’amour de Dieu sur le chemin de sa libération ».
M. Al-Hayya a déclaré que M. Sinwar était le dernier d’une longue série de dirigeants du Hamas tués par Israël et a promis que la résistance se poursuivrait jusqu’à la libération complète de la Palestine.
Yahya Sinwar avait succédé à Ismail Haniyeh en tant que dirigeant du Hamas après l’assassinat de ce dernier en juillet dernier à Téhéran, où il avait été invité à l’occasion de l’intronisation du président iranien Masoud Pezeshkian.
Bien qu’il n’ait jamais confirmé ou nié sa responsabilité, on croit que c’est bien Israël qui a assassiné Haniyeh, qui était le principal interlocuteur palestinien dans les négociations en vue de libérer les otages détenus par le Hamas et d’autres organisations à Gaza et de mettre un terme à l’offensive dévastatrice d’Israël dans l’enclave.
Fin septembre, Israël avait assassiné Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, au cours d’un bombardement massif des quartiers sud de Beyrouth qui avait également tué plusieurs autres dirigeants fondateurs de l’organisation de la résistance libanaise.
Une pression maximale sur la résistance
Israël, avec le soutien total des EU, a poursuivi une stratégie de pression maximale afin de détruire et le Hamas et le Hezbollah, tuant au moins 42 000 Palestiniens à Gaza et plus de 2 400 personnes au Liban au cours de l’année écoulée.
Les EU ont bloqué les efforts en vue d’un cessez-le-feu à Gaza en recourant à maintes reprises à leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU et ils ont proposé en lieu et place des projets de résolution réclamant une trêve temporaire des combats à Gaza qui permettrait la libération des captifs israéliens et étrangers détenus dans le territoire.
Après s’être opposé début décembre 2023 à un projet de résolution demandant un cessez-le-feu, l’ambassadeur adjoint des EU, Robert Wood, a déclaré qu’un arrêt de l’offensive israélienne
« ne ferait que planter les graines de la prochaine guerre, parce que le Hamas n’a aucun désir de voir une paix durable ni de voir une solution à deux États ».
Ce qu’il voulait dire réellement, c’est que les EU ne soutiennent pas la moindre piste diplomatique qui permettrait au Hamas de rester l’autorité gouvernante de fait à Gaza.
De même, les EU ne semblent vouloir rien de moins qu’une capitulation totale du Hezbollah au Liban. L’organisation de résistance libanaise a répété cette semaine que seul un accord en vue de mettre un terme au génocide de Gaza ramènerait le calme sur le front nord d’Israël et permettrait aux colons des colonies évacuées de regagner leurs foyers.
Washington est si engagé dans l’éradication des organisations de résistance qu’il risque une confrontation militaire avec l’Iran et qu’il envoie des troupes afin de faire fonctionner un système de défense avancé par missiles destiné à compléter les défenses israéliennes inefficaces contre des missiles à longue portée.
Abbas Araqchi, le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, a mis en garde contre le fait que Washington mettait en danger la vie de ses soldats
« en les déployant pour qu’ils actionnent les systèmes américains de missiles en Israël ».
Le président américain Joe Biden a accueilli la mort de Sinwar en disant que c’était
« une bonne journée pour Israël, pour les États-Unis et pour le monde ».
Dans une déclaration, Biden a dit qu’il avait
« dirigé du personnel des Opérations spéciales et des professionnels de nos renseignements afin qu’ils travaillent côte à cote avec leurs homologues israéliens en vue de contribuer à localiser et repérer Sinwar et d’autres dirigeants du Hamas qui se cachaient à Gaza ».
Il a ajouté qu’avec l’aide des renseignements américains, l’armée israélienne « poursuivait sans relâche les dirigeants du Hamas, les débusquant de leurs cachettes et les forçant à s’enfuir ».
Des dizaines de civils ont été tués par des frappes au cours desquelles Israël a prétendu avoir ciblé d’importantes personnalités du Hamas.
En juillet, quelque 90 Palestiniens avaient été tués dans une frappe de l’aviation israélienne qui ciblait prétendument Muhammad Deif, le chef fantomatique de l’aile armée de l’organisation et ce, du côté d’al-Mawasi, une zone du sud-ouest de Gaza qu’Israël avait unilatéralement proclamée zone humanitaire.
Le lendemain ?
Biden a affirmé qu’avec l’élimination de Sinwar,
« il existait désormais une opportunité de ‘lendemain’ à Gaza sans le Hamas au pouvoir ».
Kamala Harris, la vice-présidente des EU et la candidate du Parti démocrate à la présidence, s’est faite l’écho de la déclaration de Biden. Aussi bien le président que sa vice-présidente ont faussement accusé le Hamas d’avoir perpétré des violences sexuelles massives le 7 octobre et ils ont gommé le contexte de la colonisation de peuplement dans lequel l’opération avait eu lieu en disant que c’était la pire attaque contre le peuple juif depuis l’Holocauste.
Ni l’un ni l’autre n’ont reconnu qu’Israël avait tué des centaines de ses propres ressortissants, ce 7 octobre 2023.
Harris a déclaré :
« Ce moment nous donne une opportunité d’enfin mettre un terme à la guerre à Gaza et elle doit finir de telle façon qu’Israël connaîtra la sécurité, que les otages seront relâchés, que la souffrance de Gaza se terminera et que le peuple palestinien pourra concrétiser son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l’autodétermination. »
Matthew Miller, le porte-parole du département d’État américain, a implicitement reconnu qu’il n’y aurait pas d’élimination du Hamas en tant qu’organisation. Blâmant le Hamas pour les souffrances du peuple palestinien tout au long de l’année écoulée, Miller a déclaré que Washington espérait que le successeur de Sinwar allait « suivre une voie différente vers l’avant ».
Mais Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien a fait clairement savoir que la guerre se poursuivrait et que la mort de Sinwar marquait « le début du jour qui viendrait après le Hamas ».
« Aujourd’hui, comme nous l’avions promis, nous avons réglé nos comptes avec lui. Aujourd’hui, le mal a subi un coup dur, mais notre mission n’est pas encore terminée »,
a expliqué Netanyahou dans une déclaration sur vidéo.
S’adressant aux familles des Israéliens toujours détenus à Gaza, Netanyahou a ajouté :
« C’est un moment important, dans cette guerre. Nous continuerons à pleine force jusqu’à ce que vos bien-aimés – nos bien-aimés ! – seront rentrés chez eux. »
Mais certaines familles des captifs détenus à Gaza ont dit qu’elles craignaient que le meurtre de Sinwar ne mette les existences de leurs êtres chers en plus grand danger encore. Orna et Ronen Neutra, les parents d’un captif à double nationalité israélienne et américaine, a demandé aux deux gouvernements
« d’agir rapidement et de faire tout ce qu’il fallait pour en arriver à un accord avec les ravisseurs ».
Benny Gantz, le dirigeant de l’opposition israélienne et ancien membre du cabinet de guerre de Netanyahou, a félicité les soldats qui ont tué Sinwar et a dit que l’armée
« allait continuer à opérer dans la bande de Gaza pendant les années à venir ».
Un statut de légende
Les propagandistes israéliens peuvent avoir pensé que publier des photos et des vidéos des derniers moments de Sinwar et de son corps sans vie allait instiller des sentiments de défaite et d’humiliation parmi les partisans de la résistance palestinienne.
Les images ont eu l’effet contraire et ne feront que cimenter son statut qui est déjà celui d’une légende. Elles montrent que Sinwar est mort au combat comme un simple combattant – dans ce qui n’était peut-être pas son premier engagement contre les troupes israéliennes – plutôt que d’accepter l’exil ou d’être tué en pleine retraite.
Suheib Alassa, un correspondant d’Al Jazeera, a dit que
« les renseignements israéliens et l’aviation américaine et britannique n’étaient pas parvenus à trouver une piste qui aurait pu les mener à Sinwar, que même les plus finauds des spécialistes de la guerre et des renseignements ne s’attendaient pas à voir participer directement aux combats ».
Le fait que Sinwar était sur la ligne de front signifiait que les combattants du Hamas étaient organisés et opéraient selon « des plans précis, qu’importe le nom du commandant et l’endroit où ils se trouvaient », estime Alassa.
L’analyste militaire Elijah J. Magnier a dit que
« la décision de Sinwar de rester à l’avant du front du conflit mettait en évidence sa volonté de partager les mêmes risques et sacrifices que les civils et combattants de Gaza, renforçant ainsi l’idée que les dirigeants du Hamas n’abandonneraient pas leur peuple en ces temps très pénibles ».
Magnier a ajouté que la nature de
« la mort de Sinwar communique aux gens de Gaza que leurs commandants sont aussi engagés qu’eux le sont et qu’eux aussi sont préparés à affronter le sacrifice ultime ».
Yahya Sinwar était né en 1962 au camp de réfugiés de Khan Younis, à Gaza. Sa famille provenait à l’origine de Majdal, rebaptisée Ashkelon après sa conquête par les forces sionistes en 1948.
Comme d’autres dirigeants de la résistance qui ont été tués avant lui, Sinwar avait déclaré que le martyre était le plus grand don que l’occupation pouvait lui accorder.
Il y a vingt ans environ, Cheikh Ahmed Yassin, l’un des fondateurs du Hamas, avait dit qu’il n’était pas effrayé par les menaces d’assassinat de la part d’Israël, ajoutant que
« si je vois la roquette venir, je sauterai pour l’étreindre » et que « s’ils tuent Ahmed Yassin, 100 autres Ahmed Yassin grandiront »
« Nous ne sommes pas effrayés par leurs menaces et, quand nous serons tués, ce sera le plus beau jour de notre vie »,
avait dit Yassin, quelques mois à peine avant d’être assassiné par une frappe de missile sur Gaza en 2004.
Yahya Sinwar avait été l’assistant personnel de Yassin et il avait passé un quart de siècle dans les prisons israéliennes, une période au cours de laquelle il avait appris l’hébreu et s’était consacré à l’étude de la politique et de la société israéliennes tout en produisant également plusieurs livres et traductions concernant Israël et la stratégie politique palestinienne.
En 2021, dans sa dernière interview – le seul entretien assis qu’il ait jamais donné à une publication en anglais – Sinwar avait dit qu’avec son armement dernier cri
« Israël bombarde et tue intentionnellement nos enfants et nos femmes »
« Vous ne pouvez comparer cela à ceux qui résistent et qui se défendent avec des armes qui semblent primitives, en comparaison »,
avait-il dit.
La résistance défendra son peuple avec tous les moyens dont elle dispose, selon Sinwar.
« Que sommes-nous censés faire ? Devrions-nous hisser le drapeau blanc ? »
avait-il demandé sans vraiment attendre de réponse.
« Cela n’arrivera pas »,
avait-il conclu. Il a tenu cette promesse.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 17 octobre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine