Comment l’UE a conçu une nouvelle prison à Jénine lors d’une invasion israélienne
Avant, pendant et après les raids israéliens contre Jénine et Tulkarem d’août et de septembre, l’UE a consacré des semaines à aider l’Autorité palestinienne à aménager une nouvelle prison dans la périphérie de Jénine.
David Cronin, 14 novembre 2024
L’annexion est de nouveau à l’ordre du jour.
Bezalel Smotrich, un important ministre du gouvernement israélien, l’a annoncé d’un air menaçant : 2025 sera « l’année de la souveraineté en Judée et en Samarie ».
S’il est sérieux – et il n’y a aucune raison de soupçonner de bluff l’autoproclamé « homophobe fasciste » –, nous pouvons nous attendre à ce que d’ici peu Israël revendique officiellement la propriété de la terre palestinienne qu’il a volée en Cisjordanie.
Bien sûr, dans aucune annonce, Israël n’inclura un aveu de vol de terre. Baptiser la Cisjordanie « Judée et Samarie » est une façon d’affirmer un « droit » prétendument décrété par la Bible à un territoire qu’Israël occupe depuis 1967.
Aucune autre nation ne reconnaît ce « droit ». Mais Smotrich et ses collègues espèrent que les EU le feront également – une fois que Donald Trump aura été intronisé en tant que président en janvier prochain.
Mike Huckabee, le choix de Trump comme ambassadeur des EU en Israël, a déjà fait savoir que l’annexion pourrait avoir lieu.
L’Union européenne va-t-elle se montrer moins consentante que Trump ?
Il y a quatre ans, l’annexion officielle des blocs de peuplement israélien en Cisjordanie semblait imminente. À l’époque, l’UE avait mis en garde : Toute démarche de ce genre allait inévitablement entraîner des conséquences pour ses relations avec Israël.
Avec le bénéfice du recul, on peut raisonnablement douter que les responsables de Bruxelles aient considéré leurs propres mises en garde comme étant crédibles.
Le génocide devrait être une ligne rouge encore plus grande que l’annexion officielle. N’empêche que l’UE a continué de coopérer avec Israël alors que ce pays mène une guerre d’extermination contre Gaza.
Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’UE, a condamné la nouvelle menace de Smotrich en disant qu’elle mettait en danger « toute perspective » de solution à deux États.
L’interminable ressassage de la rengaine des deux États ne change rien à cette vérité gênante : L’Union européenne a préparé la voie à l’annexion.
Elle l’a fait en jouant un rôle important dans le découpage de la Cisjordanie.
Sous les accords d’Oslo – signés dans les années 1990 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) –, le territoire a été divisé en trois zones. La plus grande – la Zone C – comprend plus de 60 pour 100 de la Cisjordanie et recouvre les principales colonies israéliennes.
Du fait que, pour l’essentiel, la domination israélienne était garantie une fois les accords mis en pratique, les autorités israéliennes ont été facilement en mesure de les exploiter de façon que la colonisation puisse s’intensifier. La prochaine étape logique consistera précisément à faire ce que propose Smotrich : annexer la Zone C.
Le confinement solitaire
En faisant appliquer les accords d’Oslo, l’Union européenne a contribué à enfermer les Palestiniens dans une petite partie de leur patrie historique.
Depuis la majeure partie des deux décennies écoulées, l’UE assume la responsabilité d’entraîner les forces de police et le personnel carcéral de l’Autorité palestinienne.
Cette force est obligée de se tenir en dehors de la Zone C. Dans les autres parties de la Cisjordanie, elle est entièrement soumise à Israël.
Cette année, cette soumission a été soulignée chaque fois qu’Israël a envahi la Zone A de la Cisjordanie – les principales villes et localités palestiniennes. À toutes fins utiles, les forces de l’AP étaient absentes quand Israël tuait et blessait des Palestiniens, dont un grand nombre d’enfants.
Les raids israéliens contre Jénine et Tulkarem, en août et septembre, ont duré dix jours. Ç’a été la plus longue offensive en Cisjordanie depuis 2002 – à l’époque où le tristement célèbre va-t-en-guerre Sharon était Premier ministre d’Israël.
De façon grotesque, avant, pendant et après ces raids d’août et de septembre, l’UE a consacré des semaines à aider l’Autorité palestinienne à aménager une nouvelle prison dans la périphérie de Jénine.
Par le biais d’une requête s’appuyant sur la liberté d’information, j’ai obtenu concernant cette prison plusieurs rapports établis par la mission de police de l’UE en Cisjordanie.
Ces rapports disent entre autres que la prison – qui porte le nom de Centre Barghasa de correction et de réhabilitation – est dotée de huit cellules de confinement solitaire.
Les documents ayant été censurés, on ignore quels ont été les commentaires de l’équipe de l’UE à propos du confinement solitaire, bien qu’elle se soit engagée à faire part de ses inquiétudes quant à l’intimité des détenus.
J’ai contacté cette mission de police de l’UE en lui demandant si elle avait cherché d’éviter le recours au confinement solitaire en Palestine. La mission, qui est désignée par l’acronyme EUPOL COPPS, a refusé de répondre à ma question mais a prétendu par contre que son travail concernant la détention était « toujours calqué sur les normes internationales ».
L’Autorité palestinienne a un beau palmarès dans le recours du confinement solitaire associé à d’autres mesures cruelles à l’égard des prisonniers.
En 2022, un certain nombre de détenus ont entamé une grève de la faim après avoir été arrêtés par les forces de l’AP. Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains avaient décrit la façon dont ils avaient été placés en confinement solitaire ainsi que torturés physiquement.
EUPOL COPPS a publiquement fait l’éloge de la nouvelle prison de la périphérie de Jénine en la qualifiant de « modèle » de centre de réhabilitation.
Les documents internes que j’ai obtenus indiquent qu’il y a quelque chose d’assez trouble derrière ce « modèle ».
La nouvelle prison a été manifestement installée en vue de remédier au surpeuplement dans les autres prisons.
L’un des documents internes mentionne que l’équipe de l’UE a eu des discussions le 29 août – le lendemain du début de l’invasion de Jénine par Israël – avec un brigadier au service de l’Autorité palestinienne. Le document fait remarquer que « le brigadier demandera une coordination avec les autorités israéliennes pour le transfert » vers Jénine de prisonniers venant d’autres prisons.
Un autre document révèle qu’Israël va vérifier « l’équipement électrique » de la prison.
La façon essentiellement pratique dont sont traités cette « coordination » et les « vérifications » dément le fait qu’Israël mène la barque plus que jamais.
La destruction de Gaza et le regain de violence de la part des soldats et des colons israéliens en Cisjordanie ont pour but de chasser les Palestiniens de leur patrie.
Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Palestine, a déclaré le mois dernier que
« la dévastation infligée à Gaza métastase désormais en Cisjordanie, Jérusalem-Est y compris ».
Elle a fait remarquer qu’Israël était d’ailleurs un État « fondé sur l’objectif de l’oblitération des Palestiniens ».
Le fait d’inaugurer une prison « modèle » ne modifie pas par magie la façon dont Israël prive désormais les Palestiniens de leur liberté fondamentale en tentant de les balayer de la carte. Et la propagande de l’Union européenne ne peut masquer la façon dont elle aide Israël à faire avancer ses objectifs.
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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”.
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).
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Publié le 14 novembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine