Gaza : Les proches des personnes manquantes supposées incinérées endurent des « pertes ambiguës »
Bien des personnes sont portées manquantes après des frappes aériennes, mais il est fréquent que même les recherches les plus acharnées ne permettent pas de retrouver les moindres restes.
Fedaa al-Qedra, 1er novembre 2024
Mahmoud Ahmad Salah, 12 ans, a survécu à une frappe aérienne qui, le 7 décembre, a oblitéré sa famille tout entière dans l’est de Khan Younis.
Des dizaines de ses proches ont été tués par l’attaque mais, au moment d’identifier les victimes, Mahmoud a remarqué que sa mère et son frère ne se trouvaient pas parmi les corps retrouvés.
« Ma mère était dans la cuisine lorsque le bombardement a eu lieu »,
rappelle Mahmoud d’une voix tremblante au cours d’une interview réalisée en octobre à proximité des ruines de sa maison familiale.
Son témoignage étaie les preuves croissantes que certaines victimes ont été complètement volatilisées lors de certaines frappes de l’aviation israélienne.
Des rapports émanant de travailleurs de la défense civile ainsi que d’hôpitaux indiquent que 1 760 corps ont été incinérés par l’intense chaleur engendrée par certaines bombes israéliennes.
L’agent de la défense civile Tamer Zourob explique à The Electronic Intifada que les scènes qu’il découvre sont « au-delà de toute description ».
« Même le béton fond et se transforme en cendres à cause de ces bombes. Imaginez alors ce qu’elles peuvent faire à un corps humain… »,
dit-il.
Bien des personnes sont portées manquantes, après des frappes aériennes, dit-il, mais il est fréquent que même les recherches les plus acharnées ne permettent pas de retrouver les moindres restes.
« C’est déchirant d’entendre des familles nous supplier de retrouver leurs êtres chers, ne serait-ce que le plus petit fragment. Mais, parfois, nous ne retrouvons rien »,
dit-il.
L’impossibilité de faire son deuil
Hidaya Sadiq n’a pas pu retrouver le corps de son fils Akram, 27 ans, qui a de toute évidence été tué le 22 octobre 2023 lors d’une frappe de l’aviation israélienne sur un café du centre de Khan Younis.
Akram était assis parmi des amis quand le missile a touché le café. Mais, malgré la confirmation par des témoins de sa présence sur les lieux au moment de l’attaque, aucun corps n’a été retrouvé.
Hidaya continue de vivre dans l’angoisse de l’incertitude quant au sort de son fils.
« Comment un être humain fait de chair et de sang peut-il disparaître comme cela ? »
a-t-elle demandé lors d’une interview réalisée en octobre.
« Je prenais bien soin de lui, je restais avec lui la nuit et voilà qu’il s’est volatilisé en une seconde. Qu’a-t-il fait pour mériter une mort aussi brutale ? »
La douleur de ne pas être en mesure de voir ou même d’enterrer son fils la laisse dans un état constant de chagrin et des questions sans réponse hantent sans arrêt son esprit.
Elle est loin d’être la seule.
Muhammad Rayan, responsable du département des urgences à l’hôpital des Martyrs d’al-Aqsa à Deir al-Balah, confirme des cas de « volatilisation de corps » dans les affaires qu’il a examinées ainsi que d’après les expériences de ses proches mêmes.
Dans certains cas, dit-il, la chaleur intense de certaines bombes n’a laissé que des fragments de corps, ou même rien du tout, ce qui fait qu’il est quasiment impossible d’identifier le moindre reste humain. Il se fait donc que certains corps sont recouverts par les décombres alors que d’autres disparaissent sans laisser de trace.
« La maison de ma tante a été bombardée et, à ce jour, nous n’avons toujours pas retrouvé les corps de sa fille et de son petit-fils, pas même une parcelle. C’est comme s’ils avaient disparu tout simplement »,
explique Rayan au cours d’une interview par téléphone réalisée par The Electronic Intifada.
La responsabilisation
L’organisation Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med) a réclamé une enquête internationale sur les types d’armes utilisées par Israël, ainsi que sur la possibilité qu’Israël utilise des bombes qui engendrent une chaleur si extrême que les victimes sont tout simplement incinérées sur-le-champ.
Selon Euro-Med, bien des cas semblables à ceux des membres de la famille de Hidaya et de Mahmoud ont été renseignés et suggèrent le recours possible à des bombes « thermobariques » ou à des bombes « à vide », du genre utilisé pour détruire des tunnels ou des abris souterrains.
Les conclusions de l’organisation ont été étayées par les autorités locales de la santé et par la défense civile de Gaza, qui enregistrent elles aussi des cas dans l’intention de soutenir toute plainte juridique qui pourrait être formulée.
L’horreur de perdre des êtres chers sans qu’ils laissent la moindre trace ajoute encore au désespoir des familles qui souffrent déjà de cette perte, mais sont dans l’impossibilité de faire leur deuil comme elles le voudraient.
Iman Abu Akar, une professionnelle de la santé mentale affiliée au Centre de développement Ma’an à Gaza, explique que l’absence de corps débouche sur un état de « perte ambiguë », ce qui fait qu’il est pour ainsi dire impossible de tourner la page et le processus de deuil s’en trouve donc prolongé.
Même une petite parcelle de la personne décédée peut aider des familles à trouver un peu de paix et à démarrer le processus de guérison, dit-elle à The Electronic Intifada.
Pour Hidaya et les autres mères en deuil, l’absence d’un corps signifie l’impossibilité de faire leur deuil, ce qui les laisse en proie à une douleur permanente et à des questions sans réponse.
« Je veux n’importe quoi de lui, ne serait-ce même qu’un minuscule fragment, pour être en mesure de croire qu’il est vraiment parti »,
dit-elle.
Mahmoud vit seul désormais, aux bons soins des adultes qui l’entourent. Sa mère lui manque, dit-il.
« J’aurais souhaité l’avoir vue une toute dernière fois pour lui dire au revoir. Si elle avait une tombe, je pourrais lui rendre visite chaque fois qu’elle me manque. »
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Fedaa al-Qedra est journaliste et elle vit à Gaza.
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Publié le 1er novembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine