Un autre rapport d’expert conclut qu’Israël est en train de commettre un génocide et l’Occident se contente de bâiller
Amnesty, Human Rights Watch et Médecins sans frontières sont tous d’accord. Mais le génocide de Gaza n’est qu’une information de routine de plus, enfouie dans les pages intérieures.
Jonathan Cook, 24 décembre 2024
Trois rapports distincts publiés ce mois-ci par d’importantes organisations internationales de défense des droits humains et de médecins ont développé en détail la même histoire horrible : Israël avance bel et bien à grands pas dans son génocide de la population palestinienne de Gaza.
Pour être plus exact, disons qu’elles ont confirmé ce qui était déjà on ne peut plus clair : Ces 14 derniers mois, Israël a massacré des dizaines de milliers de Palestiniens à l’aide de munitions aveugles et, dans un même temps, affame progressivement les survivants jusqu’à ce que mort s’ensuive et leur refuse en outre tout accès à des soins médicaux.
Un génocide peut se produire en se servant de chambres à gaz. Ou de machettes. Ou de bombes de 2 000 livres et d’un blocus de l’aide. Deux génocides sont rarement semblables mais tous sont censés arriver à la même finalité : l’élimination d’un peuple.
Amnesty International, Human Rights Watch et Médecins sans frontières (MSF) sont bien d’accord : Israël vise l’extermination. Il n’a pas caché ses intentions et celles-ci ont été confirmées par ses actions sur le terrain.
Seuls les aveugles volontaires, dont les politiciens occidentaux et leurs médias, sont toujours dans le déni. Mais, pire encore que ce déni, ils continuent de s’associer activement à ces actions, à cet ultime crime contre l’humanité, en fournissant à Israël les armes, les renseignements et la couverture diplomatique dont il a besoin pour cette extermination.
La semaine dernière, MSF a donc publié son rapport, intitulé « Life in the Death Trap That is Gaza » (La vie dans le piège mortel qu’est Gaza), en concluant qu’Israël « détricote intentionnellement le tissu de la société ».
L’ONG médicale faisait remarquer :
« La violence déchaînée par les forces israéliennes a provoqué des dégâts physiques et mentaux à une échelle qui déborderait tout système de santé en état de fonctionnement et, à plus forte raison, un système déjà décimé par une offensive écrasante et un blocus [imposé par Israël] de 17 longues années. »
MSF ajoutait :
« Même si l’offensive se terminait aujourd’hui, son impact à long terme serait sans précédent, étant donné l’ampleur de la destruction. »
Reconstruire la société et traiter les retombées au niveau de la santé « s’étendra sur des générations ».
La preuve des intentions
Les conclusions de MSF suivaient de très près la publication du rapport de 185 pages de Human Rights Watch, qui concluait lui-même qu’Israël commettait « des actes de génocide ».
L’organisation limitait son attention à la seule politique israélienne : ses efforts systématiques en vue de priver la population de tout accès à l’eau – une mesure manifeste d’intentionnalité, le critère par excellence pour juger si une tuerie de masse a franchi le cap du génocide.
Lors d’une conférence d’information, Lama Fakih, la directrice de HRW pour le Moyen-Orient, a déclaré que leurs recherches avaient prouvé qu’Israël
« tuait intentionnellement des Palestiniens à Gaza en leur refusant l’accès à l’eau dont ils avaient besoin pour survivre ».
Israël avait agi de la sorte dans quatre démarches coordonnées. Il avait bloqué les pipelines acheminant de l’eau venue de l’extérieur de Gaza. Il avait alors coupé l’électricité destinée à actionner les pompes dont dépendait la distribution même de Gaza à partir des puits et des sites de désalinisation.
Ensuite, il avait détruit les panneaux solaires qui constituaient la sauvegarde permettant de gérer ces coupures de courant. Et, finalement, il avait tué les hommes des équipes qui tentaient de réparer le système d’approvisionnement et ceux du personnel de l’agence d’aide qui tentaient de faire entrer les livraisons d’eau.
« Il s’agit d’une politique complète visant à empêcher les gens d’accéder à la moindre goutte d’eau »,
concluait Bill Van Esveld, le directeur intérimaire de HWR pour Israël et la Palestine. Il ajoutait que l’organisation avait « conclu très clairement à l’extermination ».
« Une ligne de conduite »
HRW se faisait l’écho d’un rapport qui allait bien plus loin et rédigé par Amnesty International, la plus célèbre des organisations internationales des droits humains.
Dans son rapport de 296 pages publié début décembre, Amnesty concluait qu’Israël commettait « effrontément et sans arrêt » un génocide à Gaza – ou qu’il y « déchaînait l’enfer », pour reprendre la formulation plus graphique de l’organisation.
La période d’enquête d’Amnesty s’est terminée en juin, il y a cinq mois. Depuis lors, Israël a encore intensifié sa destruction du nord de Gaza afin d’en chasser la population.
Néanmoins, Amnesty a décrit une « ligne de conduite » selon laquelle Israël a délibérément empêché les fournitures d’aide et de marchandises et a déchaîné tant de puissance explosive sur la minuscule enclave – équivalente à plus de deux bombes nucléaires – que les systèmes de l’eau, du traitement des eaux, de l’alimentation, et des soins de santé se sont effondrés.
L’ampleur de l’attaque, faisait remarquer Amnesty, avait provoqué la mort et la destruction à un niveau jamais atteint au cours de tout autre conflit du 21e siècle.
Budour Hassan, enquêteur d’Amnesty pour Israël et les territoires palestiniens occupés, a déclaré que les actions d’Israël allaient au-delà des crimes de guerre individuels associés à des conflits :
Sur la même longueur d’onde que les principaux spécialistes de l’Holocauste et des génocides, Amnesty concluait que la hauteur de barre nécessaire pour prouver l’intention génocidaire selon les lois avait été dépassée en mai dernier quand Israël avait commencé à détruire Rafah, la région du sud de Gaza où il avait rassemblé des civils palestiniens dans une prétendue « zone sûre ».
Israël avait été prévenu de ne pas attaquer Rafah par la plus haute cour de la planète, la Cour internationale de Justice (CIJ), mais avait passé outre à cette injonction.
« Réfutation massive »
Depuis quelque temps, des éminents spécialistes de l’Holocauste et des génocides – dont des experts israéliens – prennent la parole pour avertir que non seulement un génocide a lieu, mais qu’il est en voie d’achèvement.
La semaine dernière, Omer Bartov est même parvenu à faire passer son message sur CNN. Il a déclaré à Christiane Amanpour qu’Israël menait « une guerre d’anéantissement » dans la bande de Gaza. « Ce que font là les FDI [l’armée israélienne], c’est détruire Gaza », a-t-il dit.
Amos Goldberg, un autre expert israélien de l’Holocauste, a fait remarquer que Raphael Lemkin, un intellectuel juif polonais qui avait inventé le terme « génocide », avait décrit ses deux phases.
« La première est la destruction du groupe annihilé et la seconde est ce qu’il appelait ‘le fait d’imposer le modèle national’ du perpétrateur. Nous assistons pour l’instant à la seconde phase durant laquelle Israël prépare des zones épurées ethniquement pour y installer des colonies israéliennes ».
Goldberg ajoutait :
« Comme dans tout autre cas de génocide dans l’histoire, en ce moment précis nous assistons à une réfutation massive. Tant ici en Israël qu’un peu partout dans le monde. »
L’invitation de Bartov par CNN s’avère avoir été provoquée par un article dans Haaretz, le journal le plus libéral d’Israël. La semaine dernière, il avait publié des témoignages de soldats israéliens au combat qui disaient avoir commis des crimes de guerre et y avoir assisté. Leur description est celle d’une oblitération systématique qui, même selon leur perspective limitée, évoque de façon sinistre un génocide.
Les soldats expliquent qu’ils abattent et tuent toutes les personnes, même les enfants, qui se déplacent à l’intérieur de ce que l’on appelle les « zones mortelles » (non déclarées), après quoi ils prétendent qu’il s’agit de « terroristes ». Les morts sont laissés sur place pour être dévorés par des bandes de chiens.
Les seuls mots qu’un réserviste israélien a trouvés pour décrire les tueries intentionnelles et répétées d’enfants de Gaza par Israël sont « mal absolu ».
Selon un commandant de réserve revenu récemment de l’enclave, l’armée israélienne a créé « un espace sans loi où la vie humaine n’a aucune valeur ».
Un autre déclare que les unités se font concurrence pour voir laquelle peut tuer le plus grand nombre de Palestiniens, dans l’indifférence totale de savoir s’ils sont des combattants du Hamas ou des civils.
D’autres encore disent de ces unités qu’elles opèrent comme des « milices indépendantes », sans être restreintes par les protocoles militaires.
« Tous sont des terroristes »
Dans l’article de Haaretz, il est fait allusion à la façon dont l’armée israélienne applique le génocide à Gaza. Après l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le haut commandement militaire a délégué sa prise de décision, normalement centralisée, aux commandants locaux sur le terrain.
Un grand nombre de ces commandants vivent dans les plus extrémistes, sur le plan religieux, des colonies juives illégales en Cisjordanie. Non seulement ce sont des suprémacistes juifs, mais ils suivent également des rabbins qui croient que tous les Palestiniens, même les bébés, posent une menace envers le peuple juif et doivent de ce fait être exterminés.
On sait qu’un groupe de rabbins influents parmi les colons ont officialisé leurs enseignements génocidaires sous forme d’un livre intitulé La Torah du Roi.
L’un de ces officiers supérieurs, identifié par Haaretz, est le brigadier général Yehuda Vach, un colon de Kiryat Arba, sans doute la plus extrémiste de toutes les colonies juives de Cisjordanie.
Depuis de nombreuses années, Vach dirige l’école de formation des officiers de l’armée et transmet ses conceptions extrémistes à une nouvelle génération d’officiers, dont certains sans doute font partie des actuels preneurs de décisions à Gaza.
Aujourd’hui, Vach dirige la 252e Division, dans laquelle ont servi de nombreux soldats qui se sont entretenus avec Haaretz.
L’un de ces officiers a raconté comment, après la mort en octobre du chef militaire du Hamas, Yahya Sinwar, Vach avait convoqué une réunion officielle pour déterminer ce qu’il convenait de faire de son corps. Il voulait mettre le corps de Sinwar à nu, l’exposer sur une place publique, le démembrer et verser des eaux usées sur ses restes.
On rapporte que, dans un discours adressé aux soldats, il s’était fait l’écho d’une conception génocidaire largement partagée en Israël et selon laquelle « il n’y a pas d’innocents à Gaza ». Même le président israélien Isaac Herzog, prétendument libéral, a affirmé la même chose.
Mais, selon un officier, Vach a fait de cette conception une « doctrine opérationnelle ».
La conception que se fait Vach des Palestiniens est que « tous sont des terroristes ». Et cela signifie, étant donné les actuels buts explicites d’Israël à Gaza, que tout le monde doit être tué.
Rien ne choque
Rien de tout cela ne devrait nous surprendre. Dès le début, les dirigeants israéliens ont annoncé leurs intentions génocidaires. Et, il y a plus d’un an, des soldats israéliens qui servaient à Gaza se sont mis à nous entretenir de la nature systématique des crimes de guerre israéliens.
Mais, comme tout ce qui concerne ce génocide, ces récits n’ont eu aucun impact sur le consensus politique et médiatique occidental. Rien ne choque, même quand ce sont les soldats eux-mêmes qui parlent de leurs atrocités, et même quand ce sont les spécialistes israéliens de l’Holocauste qui concluent que ces crimes équivalent à un génocide.
Voilà près d’un an que la CIJ, composée de plus d’une douzaine de juges internationalement respectés, a décidé qu’il était « plausible » de prétendre qu’Israël commettait un génocide à Gaza.
Le pouvoir judiciaire rassemble des professions parmi les plus conservatrices qui soient.
La situation à Gaza est incommensurablement pire qu’elle ne l’était en janvier dernier quand la cour a fait connaître sa décision.
Mais il est requis que les roues de la justice tournent lentement, même si Gaza n’a pas le temps de son côté.
Comment cette situation permanente de déni massif est-elle possible ? Il n’y a rien de normal ou de naturel à cela. Ce déni est manufacturé activement, avec frénésie.
Ce n’est que parce que nous vivons dans un monde où des milliardaires contrôlent nos hommes politiques et nos médias que nous avons besoin de tribunaux et d’organisations des droits humains pour confirmer ce que nous pouvons déjà voir très clairement sur les livestreams qui défilent sur nos équipements informatiques.
Ce n’est que parce que nous vivons dans un monde totalement contrôlé par des milliardaires que ces mêmes tribunaux et organisations juridiques passent de longs mois à peser et soupeser des preuves afin de se protéger de l’inévitable contrecoup des diffamations visant à discréditer leur travail.
Et ce n’est que parce que nous vivons dans un monde totalement contrôlé par des milliardaires qu’il est possible, même après tous ces retards, pour nos hommes politiques et nos médias d’ignorer les conclusions et de poursuivre leur chemin comme si de rien n’était.
Le système est truqué de façon à favoriser le centre impérial des États-Unis et de ses États clients.
Si vous êtes un dictateur africain ou un ennemi officiel de ce qu’on appelle l’Occident, la preuve la plus minime suffira à établir votre culpabilité.
Si vous êtes sous la protection du parrain américain, aucune quantité de preuves ne suffira jamais à vous envoyer derrière des barreaux.
C’est ce qu’on appelle la realpolitik.
Toujours bien une autre histoire
Depuis de nombreux mois, le rôle des médias occidentaux consiste à nous endormir en prétendant qu’un génocide, c’est tout autre chose.
Tout d’abord, la boucherie massive des Palestiniens a été présentée simplement comme un désir d’Israël d’éliminer le « terrorisme » du pas de sa porte, suite à l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023.
C’était surtout le discours de l’« autodéfense » israélienne qui, de façon commode, négligeait les décennies précédentes au cours desquelles Israël avait chassé les Palestiniens de leurs terres, soit en les expulsant totalement de leur patrie, soit en les parquant dans des ghettos, avant de coloniser illégalement les terres à l’aide de colonies juives de style apartheid et de soumettre les ghettos palestiniens à la brutalité du pouvoir militaire israélien.
Dans la couverture qui a suivi le 7 octobre, les Palestiniens – longtemps victimes d’une occupation illégale – ont été présentés comme étant carrément blâmables de leur propre souffrance. Suggérer autre chose – s’inquiéter qu’un génocide soit en train de se dérouler – était un signe certain d’antisémitisme.
Ensuite, quand le massacre s’est intensifié – avec le nivellement de Gaza, la destruction des hôpitaux, le châtiment collectif imposé à la population, via un blocus aérien – l’histoire officielle a vacillé.
Et c’est ainsi qu’on a avancé un nouveau discours : celui des efforts internationaux en vue de dégager un cessez-le-feu qui mettrait fin au « cycle de la violence », celui de la concentration sur la libération des otages et de l’intransigeance du Hamas.
Nous étions revenus dans le cadre familier d’un conflit insoluble, dans lequel il convenait de blâmer les deux camps – quoique davantage les Palestiniens, évidemment.
Aujourd’hui, comme il devient impossible de continuer de prétendre qu’Israël désire la paix, d’ignorer le fait qu’il amplifie le massacre sans vouloir le maîtriser, la stratégie des médias s’est modifiée une fois de plus.
Alors que le génocide atteint son « stade final » – conformément à la mise en garde des spécialistes israéliens de l’Holocauste Omer Bartov et Amos Goldberg – les médias ont grandement perdu leur intérêt. S’il n’y a pas de voie des deux côtés du génocide, c’est qu’il doit avoir disparu.
Et, dans l’univers des médias, il y a toujours bien l’une ou l’autre histoire dont on peut faire la promotion. Il y aura toujours une autre piste à la une plutôt que la plus dérangeante de toutes, dans laquelle les dirigeants et médias occidentaux sont des participants à part entière dans l’extermination en direct d’un peuple.
La BBC enterre les infos
Tel est le contexte si l’on veut comprendre le bâillement collectif des médias au moment où les trois rapports sur le génocide ont débarqué l’un après l’autre au cours de ce mois.
On s’attendait absolument aux accusations d’Israël prétendant que le rapport d’Amnesty était antisémite. Ce qui n’aurait pas dû se produire, c’est la réponse généralement indifférente des médias.
La BBC s’est révélée un exemple de la façon d’enterrer de mauvaises nouvelles. Son programme phare d’infos télévisées – la source d’information dominante des Britanniques – a ignoré complètement l’histoire.
Entre-temps, son parent pauvre, la chaîne d’information continue, qui attire une audience bien plus réduite, a bel et bien mentionné le rapport d’Amnesty, mais en le légendant :
« Israël rejette les allégations ‘fabriquées’ de génocide. »
En d’autres termes, lorsque la BBC a proposé une couverture très limitée, elle a escamoté le contenu informatif des conclusions d’Amnesty et a enclenché directement sur la réaction indignée, hautement prévisible, d’Israël.
Dans une enquête réalisée la semaine dernière pour Drop Site News, le journaliste du Guardian, Owen Jones, s’est entretenu avec 13 membres du personnel de la BBC sur le point de s’en aller ou qui l’ont fait récemment. Ils ont déclaré que la couverture de Gaza par la BBC était fortement biaisée en vue de présenter les actions d’Israël sous un éclairage favorable.
Dans un chat de WhatsApp réunissant d’importants rédacteurs, correspondants et producteurs de la BBC sur le Moyen-Orient, un participant – outré par les termes « allégations fabriquées » – a écrit :
« Mais m… alors ! Voilà un but grand ouvert pour ceux qui disent que nous craignons de choquer les Israéliens et que nous continuons de pondre nos histoires selon le modèle de narration ‘Israël dit que’ ! »
Le site de la BBC, de loin la source d’infos en ligne la plus influente dans la langue anglaise, a ignoré de façon inexplicable le rapport d’Amnesty pendant les 12 heures qui ont suivi la levée de l’embargo.
Même alors, il n’a été que le 7e sujet présenté. Dans la semaine qui a suivi, il n’a pas été repris dans l’index « Israël – Gaza » de la une du site internet, ce qui rendait peu probable qu’on puisse le trouver.
Ce modèle à très longtemps été la réalité dans la couverture par la BBC d’Israël et de la Palestine, mais il est devenu bien plus flagrant depuis que le génocide a fait grimper les enjeux pour Israël.
Comme le révèle l’enquête de Jones, la direction de la BBC a grandement resserré son contrôle sur la couverture de Gaza en la confiant à un petit nombre de journalistes passant pour être très proches de la perception israélienne des événements – et bien que leur rôle éditorial ait provoqué ce que Jones appelle une « guerre civile » dans la salle des infos de la BBC.
Il convient de remarquer que Jones n’a pas publié son enquête dans The Guardian, où il y a eu des rapports similaires de certains membres du personnel s’indignant de l’incapacité du journal à conférer son propre poids à la nature génocidaire des actions d’Israël.
Des algorithmes truqués
Ce qu’a fait la BBC n’a rien d’exceptionnel. Dès qu’une lueur apparaît dans les sombres recoins des médias aux mains de l’État et des milliardaires, c’est toujours la même image qui apparaît.
La semaine dernière, une enquête révélait qu’après l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, Meta, la société qui possède Facebook et Instagram, avait délibérément faussé ses algorithmes afin de supprimer les rapports émanant des principales sources palestiniennes d’information.
Les organes d’information palestiniens ont vu leurs points de vue sur les plates-formes de Meta retomber de façon significative après l’attaque – de 77 pour 100 en moyenne – alors qu’on se serait attendu à ce qu’ils rencontrent un intérêt bien plus grand. Par contre, les points de vue des organes d’information israéliens se sont considérablement multipliés.
Paradoxalement, l’enquête a été publiée par la BBC, bien qu’il convienne de remarquer que la recherche avait été initiée et effectuée par le personnel de son service d’information arabe.
La semaine dernière également, plus d’une douzaine de lanceurs d’alerte de la Deutsche Welle, l’équivalent de la BBC pour l’Allemagne, avaient révélé à Al Jazeera qu’une culture de la peur régnait dans la salle d’information une fois qu’on en arrivait à une couverture critique d’Israël.
Des rapports similaires du personnel lanceur d’alerte ont dénoncé la nature faussée de la couverture – toujours en faveur d’Israël – dans d’autres médias importants, de CNN au New York Times et à l’agence d’information Associated Press.
En réalité, on peut trouver le même agenda biaisé dans chaque salle de presse de chaque média institutionnel. Il faut tout simplement des lanceurs d’alerte pour progresser et pour trouver quelqu’un qui soit désireux de prêter l’oreille et en mesure de vouloir publier quelque chose.
Pourquoi ? Parce qu’un génocide qui se déroule à la vue de tous ne peut sembler normal sans qu’il y ait une énorme dépense d’efforts de la part des médias institutionnels afin de fermer les yeux de leur public. De l’hypnotiser jusqu’à l’indifférence.
Un état d’anxiété
Un trop grand nombre d’entre nous sont susceptibles d’être gagnés par ce processus – et ce, pour pas mal de raisons.
En partie, parce que nous faisons toujours confiance à ces institutions, même si leur principale fonction consiste à nous persuader qu’elles sont là à notre profit – alors qu’en réalité elles servent les intérêts des vastes structures d’entreprises auxquelles elles appartiennent.
Ces structures occidentales sont investies dans le vol de ressources, le dépouillement des actifs et la concentration des richesses – tout cela, bien sûr, s’effectue au détriment du sud mondial – et dans les industries de guerre nécessaires pour rendre ce pillage possible.
Mais cela fait également partie de notre constitution psychologique qui fait que nous ne pouvons fixer indéfiniment notre attention sur de mauvaises nouvelles.
Visionner un génocide qui se déroule semaine après semaine, mois après mois, et être incapable de faire quoi que ce soit pour y mettre un terme, prélève un tribut terrible sur notre santé mentale. Cela nous tient dans un état permanent d’anxiété.
Les structures d’entreprises qui contrôlent nos médias ne comprennent que trop bien la chose. C’est pourquoi elles cultivent un sentiment d’impuissance parmi leurs audiences.
Le monde est présenté comme un endroit déroutant, où gravitent d’inexplicables forces du mal qui agissent sans la moindre causalité compréhensible pour détruire tout ce qui est bon et sain.
Les médias suggèrent que les affaires internationales sont légèrement différentes du simple jeu de la taupe. Chaque fois que le preux Occident tente de résoudre un problème, une autre taupe maléfique pointe le museau, qu’il s’agisse des terroristes du Hamas, des terroristes du Hezbollah, de l’ancien dictateur syrien Bashar al-Assad, ou des mollahs cinglés de l’Iran.
Avec tout cela comme cadre du génocide de Gaza, on laisse les audiences estimer que ce qui arrive aux Palestiniens, tout horrifiant que ce puisse être, peut être mérité ou qu’investir trop de préoccupation est une perte d’énergie et de temps. Une autre crise va surgir à un moment ou un autre et elle requerra tout autant notre attention.
Et ce sera le cas, effectivement. Parce que c’est précisément de cette façon que travaillent les médias institutionnels. Ils fournissent toute une bande transporteuse de mauvaises nouvelles, un événement déconcertant puis un autre – qu’il s’agisse d’une célébrité tombée en disgrâce, d’une lycéenne assassinée ou du déclenchement d’une guerre.
Le rôle des médias – et c’est la raison pour laquelle les États et les entreprises les tiennent si fermement sous leur emprise – consiste à nous empêcher de nous faire une image plus large du monde, une image dans laquelle nos mains ont l’air d’être bien plus ensanglantées que celles des « terroristes » que nous jugeons. Une image sur laquelle une puissante élite occidentale, avec son empire d’entreprises qui a son siège aux États-Unis, gère la planète comme si elle n’était rien de plus qu’une machine à extraire de la richesse.
Et c’est ainsi que nous, les publics de l’Occident, haussons les épaules une fois de plus : sur « l’inhumanité de l’homme envers l’homme », sur « le cycle de la violence », sur « les barbares à nos portes », sur « le fardeau de l’homme blanc ».
En presque 15 mois, le génocide de Gaza est devenu tout à fait normal, il est devenu un autre élément d’information mineur, routinier que l’on va enterrer dans les pages intérieures.
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Jonathan Cook est l’auteur de trois livres sur le conflit israélo-palestinien et il s’est vu décerner le Prix spécial de Journalisme Martha Gellhorn. On peut trouver son site et son blog sur www.jonathan-cook.net
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Publié le 24 décembre 2024 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Participez à la manifestation contre le génocide en Palestine ce samedi 28 décembre !
Rassemblement et prises de parole à 13 h 30 Place Buisset. Départ de la manifestation à 14 h.
Parcours : Place Buisset, Rue du Collège, Rue du Comptoir, Rue de la Montagne, Boulevard Audent, Parc Reine Astrid.
Des prises de parole ainsi que des stands sont également prévu au kiosque dans le parc. La fin de l’évènement est prévue à 18h.
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