Pourquoi Trump fait-il pression sur Israël pour qu’il mette fin à sa guerre contre Gaza ?
Tout le monde, et surtout les dirigeants d’Israël, se montre surpris que Trump – qui était aussi résolument pro-israélien que possible lors de son premier mandat – mette la pression sur Netanyahou.
Ali Abunimah, 15 janvier 2025
Ce mercredi matin, en Palestine, les espoirs restaient grands qu’un accord fût imminent en vue de mettre un terme au génocide israélien à Gaza et de libérer les captifs palestiniens et israéliens.
À Doha, disait-on, les négociateurs peaufinaient les tout derniers détails d’un accord censé apporter un sursis à une population qui a enduré plus de 15 mois d’incessants bombardements israéliens et d’affamement ainsi que d’atrocités indicibles, faisant plusieurs dizaines de milliers de victimes et bouleversant les existences de millions de personnes.
S’il est accepté et appliqué, l’accord constituera également une importante défaite stratégique pour Israël.
Les grandes lignes de l’accord – disent les médias – représentent un processus en trois phases s’appuyant sur le cadre défini en mai dernier par le président américain Joe Biden et accepté par le Hamas.
Il se traduirait par un cessez-le-feu immédiat, un afflux massif d’aide humanitaire et un retrait israélien progressif de Gaza, accompagné d’échanges de prisonniers étalés sur plusieurs semaines.
Une importante question dont j’ai discuté avec la journaliste Rania Khalek dans son émission Dispatches (BreakThrough News) de mardi est de savoir pourquoi le même accord qui n’avait abouti à rien l’an dernier est apparemment sur le point d’être conclu, cette fois.
Vidéo de BreakThrough News, avec Rania Khalek (Dispatches) et Ali Abunimah : “Une nouvelle année, le même génocide.” (en anglais)
Lors de cette vaste discussion, nous avons également parlé de la chute du gouvernement syrien, de l’avenir de l’Axe de la résistance et de bien d’autres choses encore. Vous pouvez assister à toute la discussion dans la vidéo proposée ci-dessus.
La résistance est toujours forte
Comme je le disais à Rania Khalek, les deux facteurs clés sont (1) la force de la résistance et (2) Donald Trump qui, dans moins d’une semaine, va réintégrer la Maison-Blanche en tant que président des EU.
Contrairement à la sagesse habituellement de mise, Trump a exercé des pressions extraordinaires sur Israël au point que Tel-Aviv en a été ulcéré et que l’administration Biden a carrément refusé de les appliquer.
Au bout de quinze mois, les combattants de la résistance palestinienne attaquent toujours les forces d’occupation israéliennes dans chaque partie de Gaza où elles sont présentes, y compris dans les zones éloignées du nord où Israël a pénétré et dont on présume qu’il s’est assuré le contrôle dans les premières semaines de son invasion.
Depuis des mois, les lourdes pertes et une attrition permanente sapent le moral de l’armée israélienne et sa capacité à poursuivre un effort – inutile – en vue de mater une résistance qui se déplace via un vaste système de tunnels demeuré largement intact.
Dans ce contexte, une grande majorité d’Israéliens soutiennent aujourd’hui un accord global pour mettre fin à la guerre, et pas simplement une trêve temporaire jusqu’au moment où les captifs, quel que soit le nombre d’entre eux qui ont survécu aux bombardements aveugles, seront rentrés dans leurs foyers. C’est un changement radical parmi un public israélien dont la soif de revanche contre les Palestiniens de Gaza, suite à l’opération de la résistance, le 7 octobre 2023, avait semblé insatiable.
Où se situe réellement le pouvoir
L’autre facteur clé n’est autre que l’intervention de Trump. La semaine dernière, le président nouvellement élu a délégué en Israël son envoyé spécial au Moyen-Orient afin de remonter les bretelles aux dirigeants israéliens.
Vendredi dernier, dans une mise en scène symbolique des véritables relations de pouvoir entre Israël et les États-Unis, Steve Witkoff a informé le cabinet de Benjamin Netanyahou qu’il allait débarquer en Israël le lendemain et qu’il désirait le rencontrer.
Les assistants de Netanyahou
« ont expliqué poliment qu’on était en plein sabbat mais que le Premier ministre serait heureux de le rencontrer samedi soir »,
s’il faut en croire le quotidien israélien Haaretz.
« La réaction brutale de Witkoff les a pris par surprise »,
ajoutait Haaretz.
« Il leur a expliqué en un anglais des plus crus que le sabbat n’avait aucun intérêt à ses yeux. Son message était fort et clair. »
Netanyahou s’est plié aux ordres de l’envoyé de Trump et s’est présenté à son bureau en disant qu’il avait été convoqué
« à une rencontre officielle avec Witkoff, qui est ensuite retourné au Qatar pour conclure l’accord ».
Le résultat de cette rencontre, selon Haaretz, est que
« Witkoff a forcé Israël à accepter un plan que Netanyahou avait déjà rejeté à maintes reprises au cours des six derniers mois ».
Ce faisant, Netanyahou faisait de sérieuses concessions à un Hamas qui n’avait pas bougé de sa position, selon laquelle la libération des captifs israéliens devait dépendre de la libération des prisonniers palestiniens, de la fin de la guerre et d’un retrait israélien complet de Gaza – même par phases successives.
Cet acte seul pourrait faire éclater le mythe qui prétend que le lobby israélien exerce une influence décisive sur le gouvernement des EU.
Une défaite stratégique
Comment cela représenterait-il une défaite stratégique pour Israël et, en effet, une victoire pour la résistance palestinienne face au tribut horrible – et pas encore connu entièrement – du génocide en cours perpétré par Israël ?
Pour dire les choses simplement, Israël aura été totalement incapable de concrétiser la « victoire totale » si souvent promise par Netanyahou.
« La guerre à Gaza pourrait s’achever demain, si le Hamas capitulait, désarmait et restituait tous les otages »,
avait dit Netanyahou au Congrès américain en juin.
« Mais, s’il ne le fait pas, Israël se battra jusqu’au moment où nous aurons détruit les capacités militaires du Hamas et son pouvoir à Gaza et ramené tous nos otages dans leurs foyers. »
« Voilà ce que signifie la victoire totale, et nous ne nous contenterons de rien de moins »,
avait ajouté le Premier ministre.
Si cet accord se poursuit, Israël n’aura concrétisé aucun de ces buts : le Hamas n’aura été ni détruit ni désarmé. Il gardera toujours le contrôle de fait à l’intérieur de Gaza – quels que soient les arrangements d’après-guerre mis en place – et Israël ne sera pas parvenu à imposer sa volonté à un minuscule territoire assiégé, après quelque 500 jours d’extermination génocidaire et de destructions massives sans précédent.
Les désirs à peine cachés d’Israël en vue de nettoyer ethniquement la population de Gaza et de repeupler l’enclave de colons juifs auront échoué.
De plus, Israël ne recouvrera pas la place qu’il occupait naguère dans le monde. Plus que jamais, il sera un paria méprisé dont les dirigeants et les soldats sont aujourd’hui des criminels de guerre fugitifs incapables de voyager librement dans le monde.
Une pression inattendue
« La pression exercée aujourd’hui même par Trump n’est pas du genre de ce qu’Israël attendait de lui. La pression est l’essentiel de la question »,
avait dit récemment un délégué de Netanyahou.
Tout le monde, et surtout les dirigeants d’Israël, se montre surpris que Trump – qui était aussi résolument pro-israélien que possible lors de son premier mandat – mette la pression– sur Netanyahou.
Lors de la campagne électorale américaine, Trump avait émis l’idée de laisser Israël « finir le boulot » à Gaza – de la viande rouge, pour sa base et pour le gouvernement israélien.
Comme je l’ai fait remarquer, un signe intrigant que quelque chose d’autre se préparait, c’était qu’un peu plus tôt, ce mois-ci, Trump avait posté sur les médias sociaux une vidéo très critique à l’égard de Netanyahou.
Dans la vidéo, le professeur à l’Université de Columbia, Jeffrey Sachs, accuse Netanyahou d’avoir entraîné les États-Unis dans la guerre en Irak, tentant ainsi de fomenter une guerre des EU contre l’Iran, et il traite en outre le dirigeant israélien de « profond et sombre fils de pute ».
C’était un signe que, contrairement à celui de Biden, le soutien inconditionnel de Trump ne pouvait être considéré comme allant de soi.
Mais il y avait déjà eu des signes plus tôt : En juillet, avant même les élections américaines, Trump avait dit à Netanyahou qu’il voulait que la guerre à Gaza se termine avant même que lui, Trump, ne soit réélu.
Witkoff, l’envoyé de Trump, a paraît-il été ferme et cohérent à propos de ce délai.
Et, dans les derniers stades de la campagne, Trump avait courtisé les électeurs traditionnellement majoritairement démocratiques dégoûtés par le soutien implacable de l’administration Biden-Harris au génocide.
« Les électeurs musulmans et arabes du Michigan et de tout le pays veulent la fin de ces guerres interminables et un retour à la paix au Moyen-Orient. C’est tout ce qu’ils veulent »,
avait dit Trump lors d’un rassemblement dans le Michigan, un État où il avait fini par l’emporter, de même que dans chacun des autres swing states (États pivots, ou indécis, NdT).
Quelles sont les motivations de Trump ?
Comme Khalek et moi-même en avons discuté, il n’est pas nécessaire de percevoir Trump comme ayant le moindre atome de sympathie envers la lutte palestinienne pour comprendre ce qui pourrait se cacher derrière sa surprenante volonté de mettre Israël sous pression maintenant.
Alors que Trump est souvent imprévisible et d’humeur inégale, un aspect constant de sa conception du monde est qu’il ne perçoit les « alliés » traditionnels de l’Amérique que comme rien de plus que des États clients qui tirent profit de la générosité américaine.
Il s’avère qu’il n’a aucun attachement sentimental pour eux, pas plus qu’il ne les perçoit comme importants pour son agenda de « l’Amérique avant tout ».
Telle était sa perception de l’OTAN lors de son premier mandat, quand il avait accusé l’Allemagne, censée être le fondement de l’alliance sécuritaire atlantique, de « faire fortune » grâce aux troupes américaines stationnées sur son territoire.
Exigeant des milliards de ses alliés et partenaires présumés, il avait grondé :
« Pourquoi devrions-nous défendre des pays et ne pas nous faire rembourser ? »
Ici, il a surenchéri sur cette position.
Il s’est même retourné sur le Canada, le premier partenaire commercial des EU, en disant que les EU étaient exploités et qu’ils n’avaient nul besoin des marchandises canadiennes.
Il avait même invité les EU à absorber le Canada en tant que 51e État de l’Union.
Étant donné le mépris de Trump envers les pays qui sont depuis longtemps vénérés – quoique inféodés – en tant que partenaires par les classes dirigeantes transatlantiques, la question se pose : Pourquoi irait-il traiter Israël différemment ?
C’est particulièrement le cas quand on sait qu’Israël est depuis longtemps le plus important récipiendaire des largesses américaines.
À tout le moins, Trump semble susceptible d’adopter l’approche voulant que, si l’Amérique paie les factures d’Israël, c’est à l’Amérique qu’il revient de donner les ordres.
Alors que l’accord de Gaza n’est pas encore scellé, le progrès réalisé en quelques jours avec l’intervention de Trump souligne que Washington donnant les ordres représente et a toujours représenté la nature réelle des relations entre les EU et Israël.
Ces développements montrent bien, sans l’ombre d’un doute, que l’incapacité de l’administration Biden à concrétiser un cessez-le-feu a toujours été volontaire et que le gouvernement du Parti démocrate a définitivement choisi d’armer et de soutenir le génocide.
Il y a aura des comptes à rendre, pour cela.
Reste à voir quels seront les plans plus vastes de Trump pour la région.
Comme la chose a été largement remarquée, l’une des donatrices les plus généreuses de sa campagne a été la milliardaire fanatiquement pro-israélienne Miriam Adelson.
Elle a réfuté des rapports prétendant qu’elle avait fait dépendre son don de 100 millions de USD de soutien à Trump pour l’annexion par Israël de la Cisjordanie occupée.
Mais il ne fait pas de doute qu’elle et d’autres éléments de la base de Trump vont exercer des pressions et utiliser leurs positions à proximité ou au sein de l’administration pour faire appliquer des mesures anti-palestiniennes extrêmes, y compris même un surcroît de répression domestique du mouvement de solidarité avec la Palestine, et c’est quelque chose que Trump a personnellement promis.
Et personne ne devrait être surpris de voir Trump tenir ses promesses à un moment donné.
Mais Trump revient comme président d’un pays qui est considérablement plus faible en termes relatifs que lorsqu’il avait entamé son premier mandat, étant donné la constante montée de la Chine, de la Russie et les nouvelles formations multipolaires tel le BRICS.
Les États-Unis peuvent ne plus être à même d’imposer unilatéralement leur volonté au monde entier, mais ils peuvent toujours l’imposer à Israël, leur petit vassal génocidaire de l’Asie du Sud-Ouest.
Pour le bien des habitants palestiniens de Gaza, espérons que la pression exercée par Trump mettra un terme à l’horrible bain de sang le plus tôt possible.
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Publié le 15 janvier 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine