Gaza est désormais « en stade de mort massive »

Cette semaine, les forces israéliennes ont perpétré des massacres dans toute la bande de Gaza, tuant 497 Palestiniens et en blessant près de 2 100 entre le 5 et le 11 juin, le tout en ciblant des hommes, des femmes et des enfants dans des immeubles résidentiels, des écoles et des tentes servant de refuges ainsi qu’à des points de distribution d’aide humanitaire.

 

10 juin. Des Palestiniens pleurent des êtres chers tués par des attaques de drones israéliens contre des tentes de réfugiés à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : Moaz Abu Taha / APA images)

10 juin. Des Palestiniens pleurent des êtres chers tués par des attaques de drones israéliens contre des tentes de réfugiés à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : Moaz Abu Taha / APA images)

 

 

Nora Barrows-Friedman, 13 juin 2025

 

Le texte qui suit est un condensé des informations communiquées lors du livestream du 12 juin. Vous pouvez voir l’émission au complet ici.

 

Israël a tué au moins 123 Palestiniens uniquement entre mardi et mercredi, fait savoir le ministère palestinien de la Santé à Gaza.

Près de la moitié de ces morts violentes enregistrées au cours de ces 24 heures étaient des personnes tuées alors qu’elles tentaient de récupérer de minuscules colis d’aide aux points de distribution américano-israéliens.

Depuis que la très glauque Gaza Humanitarian Foundation (Fondation humanitaire pour Gaza – GHF) a entamé ses opérations il y a deux semaines, le ministère de la santé affirme que plus de 220 Palestiniens ont été tués et plus de 1 800 blessés en essayant d’obtenir des vivres.

Depuis le lancement du projet d’aide, l’hôpital de campagne de la Croix-Rouge à Rafah a dû rendre 12 fois plus active sa procédure en cas d’incidents avec pertes humaines massives. Il a reçu des nombres élevés de patients blessés par balles et par éclats d’obus et il a rapporté qu’une « écrasante majorité de patients provenant des incidents récents avaient déclaré avoir tenté de rallier les sites de distribution d’aide ».

Le 5 juin, Médecins sans frontières a déclaré que les médecins s’étaient mis à donner leur propre sang pour sauver leurs patients après que des dizaines de Palestiniens s’étaient fait tirer dessus en essayant de recevoir de l’aide alimentaire.

Cette semaine, dans le nord de Gaza, Israël a pilonné sans arrêt les zones de Jabaliya et de la ville de Gaza.

Samedi 7 juin, la défense civile palestinienne rapporte que 30 personnes ont été tuées par une frappe aérienne contre un immeuble résidentiel à Gaza même, alors que quatre nouvelles ordonnances de déplacement ont été émises pour des zones situées dans le nord de Gaza.

Selon le journaliste Ali Abu Harbid, des drones quadricoptères israéliens ciblaient toutes les personnes qui franchissaient les frontières arbitraires mises en place par les forces israéliennes pour empêcher les sauveteurs d’atteindre et d’évacuer tous ceux qui avaient été laissés à l’arrière.

Cette semaine, Israël a coupé la toute dernière ligne internet restante dans le nord de Gaza, plongeant ainsi la zone dans un black-out quasi total et empêchant les gens d’appeler des ambulances après les frappes aériennes massives.

Le jeudi 12 juin, suite à des frappes de l’aviation israélienne contre les infrastructures de télécommunication, une panne complète des communications a paralysé internet et tous les services téléphoniques dans le centre et le sud de la bande de Gaza, a déclaré l’Autorité palestinienne de régulation des télécommunications.

C’est le journaliste Al Hassan Selmi qui a fourni ces informations mercredi, depuis le nord en état de siège, après que les connexions internet ont été coupées.

Le 9 juin, à 3 heures du matin, le porte-parole de l’UNICEF, James Elder, qui se trouve à Gaza, s’est enregistré lui-même au milieu du vacarme incessant des frappes aériennes et des attaques de chars et de drones.

Le bureau gouvernemental des médias de Gaza a déclaré le 11 juin que l’occupation israélienne « créait délibérément le chaos dans la bande de Gaza en perpétuant une politique de famine et en ciblant et tuant délibérément les personnes affamées en quête de nourriture ».

Cette semaine, des images et des récits de Palestiniens qui ont été blessés à ces prétendus points d’aide particulièrement humiliants ont continué d’affluer, contredisant directement la campagne de relations publiques vantant le « succès » de la distribution d’aide par les autorités américaines et israéliennes, après la décision prise par Israël, voici plus de trois mois maintenant, d’empêcher l’aide internationale officielle d’entrer à Gaza.

Le bureau gouvernemental des médias de Gaza a mis en garde la communauté internationale en disant que le gouvernement israélien et ses partenaires mercenaires américains avaient transformé les centres d’aide en « abattoirs humains ».

Le bureau demandait au monde d’agir de façon à permettre au flux de l’aide réelle d’entrer à Gaza, puisque les gens meurent de faim ou risquent de perdre la vie en tentant d’obtenir de minuscules colis de nourriture absolument inadéquats pour couvrir les besoins élémentaires de 2 millions de personnes affamées, dont une moitié d’enfants.

« La communauté internationale doit mettre un terme à sa partialité, à cette tragédie morale et elle doit autoriser l’entrée de dizaines de milliers de camions des agences des Nations unies, qui travaillent depuis des décennies afin de fournir de l’aide aux réfugiés et aux civils, et qui sont efficaces et pleinement engagés envers les principes de l’action humanitaire ».

Cette semaine, des rapports émanant de l’un des quatre points de GFH dans le corridor de Netzarim, une zone militarisée au sud de la ville de Gaza, montrait des Palestiniens faisant la queue avant l’aube déjà et à qui on disait finalement qu’il ne restait pas d’aide à distribuer.

Une vidéo prise par des Palestiniens qui cherchaient de la nourriture à un point de distribution privée d’aide montre des foules de personnes affamées qui courent sous des tirs rapides d’armes automatiques. « Tout ce qui nous arrive, c’est pour la nourriture », dit un homme filmé par la vidéo.

Philippe Lazzarini, le commissaire général de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a déclaré le 10 juin :

« Ce système humiliant continue de forcer des milliers de gens affamés et désespérés à parcourir à pied des dizaines de milles, ce qui exclut les gens les plus vulnérables et ceux qui habitent trop loin. Ce système n’a aucunement l’intention de pallier la faim. »

« Nos entrepôts en dehors de Gaza sont remplis d’un volume d’aide équivalent à 6 000 camions. Laisser délibérément pourrir les vivres et expirer les médicaments constituerait ni plus ni moins qu’une obscénité »,

a déclaré Lazzarini.

Entre-temps, le Centre pour les droits constitutionnels, dont le siège est à New York, a notifié officiellement à la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) sa responsabilité juridique potentielle pour complicité dans les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide perpétrés par Israël à l’encontre des Palestiniens.

Dans une lettre de 40 pages adressée au nouveau CEO de la société privée, Johnnie Moore, un évangéliste chrétien sioniste qui a rejeté les assassinats quotidiens aux points d’aide comme étant des « massacres fictifs », l’organisation des droits civiques prévient que si la GHF

« ne met pas un terme à ses opérations à Gaza, elle pourrait faire face à des poursuites civiles ou pénales dans divers pays ainsi qu’à des actions juridiques devant certaines institutions internationales ».

Le Centre pour les droits constitutionnels déclare qu’elle se livre à cet avertissement du fait que le département d’État américain envisage d’allouer au GHF – dont le financement reste opaque – la somme de 500 millions de USD.

 

Meurtres de paramédicaux et de journalistes

Le lundi 9 juin, Israël a tué trois paramédicaux et un journaliste, lorsqu’une équipe médicale a répondu à un appel d’urgence dans la partie orientale de la ville de Gaza.

Drop Site News a rapporté que l’équipe avait été envoyée sur place pour venir en aide à des victimes d’une première frappe et qu’elle avait été elle-même ciblée alors qu’elle tentait d’effectuer le sauvetage. Une deuxième équipe qui tentait de rejoindre les paramédicaux s’est fait tirer dessus par des quadricoptères israéliens.

Les trois paramédicaux, Baraa Afana, qui venait d’avoir 18 ans, Wael al-Attar et Hussein Mohaisen, ont été tués tous les trois au cours de l’attaque.

 

 

 

Mohaisen, dit-on, était le paramédical qui, fin mai, avait héroïquement sauvé deux petites filles d’un incendie massif à l’intérieur d’un refuge dans une école de Gaza, dont la petite Hanin, quatre ans, qu’on voyait dans une vidéo se faufiler parmi les flammes. L’autre fillette, Ward, 7 ans, avait elle aussi échappé de justesse à cet enfer.

Le journaliste Moamen Abualouf a lui aussi été tué dans cette attaque du 9 juin, en même temps que les paramédicaux.

Il accompagnait l’équipe dans la même ambulance, afin de couvrir l’opération de secours. Dans ce qui devait être le dernier message adressé à ses collègues, il écrivait : « L’armée frappe tout près de moi (…) je ne crois pas qu’il me reste beaucoup de temps », a rapporté Drop Site.

Abualouf, qui n’avait que 19 ans, était le 227e journaliste et travailleur des médias tué depuis octobre 2023.

 

Moamen Abualouf

 

Le 11 juin, la défense civile palestinienne a déclaré :

« Alors que nous partageons le chagrin et la déchirure des familles de nos collègues martyrs et de tous les martyrs des services ambulanciers et humanitaires, nous affirmons la sincérité de la loyauté de ces héros, leur dévotion à leur devoir humanitaire et à la noble mission pour laquelle ils œuvraient. Nous sommes témoins de ce qu’ils n’ont jamais quitté leurs positions, tout au long de cette guerre, et ils ont continué jour et nuit de remplir leur devoir national et moral et de servir notre peuple. »

Le journaliste Anas al-Sharif a pris la parole lors des funérailles des paramédicaux et de son collègue, Moamen Abualouf, et il a posté une vidéo dans laquelle on le voit lui-même qui étreint Fares Afana, le père de Baraa Afana. Fares n’est autre que le directeur des services de secours et des ambulances dans le nord de la bande de Gaza.

« Nos cœurs sont brisés et notre douleur est grande »,

a écrit Anas al-Sharif.

« Puisse Dieu vous venir en aide, mon frère et bien-aimé Abu Hamza, Fares Afana. »

 

Les attaques contre les hôpitaux : une méthode de purge ethnique

Samedi 7 juin, parlant de la situation médicale catastrophique et des attaques continues contre les hôpitaux, le directeur général du ministère de la Santé à Gaza, le Dr Munir al-Bursh a déclaré ceci à Al Jazeera :

« L’occupation israélienne assiège les hôpitaux Al-Amal et Nasser à Khan Younis, empêchant toute entrée et sortie et démolissant les bâtiments avoisinants – une répétition du scénario appliqué dans le nord et qui avait commencé par la destruction de la zone autour de l’hôpital Al-Awda à Tal Al-Zaatar, de l’hôpital indonésien et de l’hôpital Kamal Adwan, tout cela dans le but de déplacer de force la population. »

« Ce qui se passe, c’est la mise en application d’un plan prémédité, systématique, visant à viser Khan Younis de ses habitants »,

a-t-il dit.

« L’occupation s’emploie délibérément à détruire la totalité du système des soins de santé dans le cadre de sa stratégie de contrôle et de déplacement. Nous approchons désormais le cinquième stade de la famine – le stade de la mort massive. Et le monde regarde tout cela en silence, en sirotant son café alors que des massacres sont perpétrés à Gaza. »

La 11 juin, le ministère a mis en garde :

« Les hôpitaux subissent actuellement un surpeuplement et une pénurie quasi totale des médicaments de base et autres essentiels. Tous les hôpitaux du nord de Gaza sont officiellement hors service. »

Les interventions d’urgence

« seront vaines puisque les indicateurs santé et humanitaires se dégradent à des niveaux et résultats qu’il est très difficile d’aborder »,

a ajouté le ministère.

 

Des maisons démolies en Cisjordanie

Mardi 9 juin, en Cisjordanie occupée, les forces israéliennes ont lancé une opération d’invasion et d’arrestations massives dans la Vieille Ville de Naplouse, dans le nord.

Le bureau humanitaire des Nations unies dit que les soldats israéliens ont imposé un couvre-feu, ont mené des perquisitions maison après maison et ont même utilisé une école comme centre d’interrogatoire. Au moins 20 maisons ont été perquisitionnées et il a généralement été question de dégâts aux biens palestiniens.

Lundi, à Jénine, l’armée israélienne a annoncé un plan imminent de destruction de près de 96 structures – la plupart résidentielles – dans le camp de réfugiés de Jénine. Plus de 280 familles sont affectées et il leur a été accordé 72 heures pour rassembler leurs affaires personnelles, a déclaré l’ONU.

Et, dans les camps de réfugiés de Tulkarem et de Nur Shams, raids et ordres de démolition israéliens se sont intensifiés, depuis le vendredi 6 juin. Une quarantaine de bâtiments ont été démolis jusqu’à présent, selon l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, et les destructions vont au-delà des ordres originaux émis au début du mois.

 

Mahmoud Khalil remporte une injonction préliminaire contre l’administration Trump

Aux EU, une importante victoire juridique a été remportée mercredi 11 juin, quand un juge fédéral a conclu que l’étudiant de l’Université de Columbia, Mahmoud Khalil, allait continuer de souffrir de torts irréparables s’il restait emprisonné, et il a donc accordé à Khalil sa demande d’injonction préliminaire.

Khalil est titulaire d’une « green card » et c’est un résident permanent des EU qui s’est retrouvé dans un site de détention de l’ICE voici plus de trois mois du fait qu’il défendait les droits palestiniens.

Cette injonction préliminaire bloque l’administration Trump en l’empêchant de recourir aux dispositions de la loi sur l’immigration et la nationalité (INA) invoquée par le secrétaire d’État Marco Rubio pour arrêter et tenter de déporter Khalil et d’autres étudiants et universitaires pour leurs discours, fait savoir le Centre pour les droits constitutionnels.

Le centre dit que c’est le tout premier tribunal fédéral qui décide que Khalil et d’autres non-citoyens ne peuvent être déportés en s’appuyant uniquement sur la prétendue « base de politique étrangère » de l’INA, et c’est un sale coup pour l’administration Trump et sa tentative de réprimer le discours des gens qui protestent et qui expriment leur soutien aux droits palestiniens.

 

Mise en exergue de la résilience

Finalement, conformément à notre habitude, nous avons voulu mettre en exergue des personnes qui expriment leur joie, leur détermination et leur résilience un peu partout en Palestine et dans le monde.

La semaine dernière, nous avons parlé de la Flottille de la Liberté pour Gaza et du navire « Madleen » qui avait à son bord 12 activistes internationaux et de l’aide humanitaire, dans une tentative en vue de rompre le siège de Gaza.

Au petit matin du 9 juin, le navire a été piraté par les forces israéliennes et, contre leur volonté, les activistes ont été emmenés de force en Israël. Certains ont été déportés ensuite. D’autres sont restés détenus dans les prisons israéliennes.

Thiago Avila, un activiste du Brésil, a été emprisonné et s’est lancé dans une grève de la faim et de la soif. Pour cette raison, il n’a pas tardé à être placé en confinement solitaire.

Mais cela n’a pas freiné l’élan des personnes de la région et du monde entier qui sont dégoûtées par l’inaction des pouvoirs politiques face à ce génocide et qui sont donc bien obligées d’intervenir personnellement.

Cette semaine, un convoi terrestre massif a démarré du Maroc, avec des milliers de personnes bien décidées à briser le siège. Une partie de la marche mondiale vers Gaza, le Convoi du Sumud – « détermination » – traverse l’Afrique du Nord et espère pouvoir atteindre Rafah ce week-end.

Au contraire des gouvernements et des sociétés qui se sont de plus en plus habitués au silence, ces participants empruntent la voie longue pour affirmer que Gaza n’est pas seule, affirment les activistes.

 

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Publié le 13 juin sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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