A quoi s’attendre, alors que la guerre s’intensifie
Pour Israël et les États-Unis, une trêve représente uniquement la poursuite de la guerre par d’autres moyens : Aucun accord ne pourrait faire cesser les tentatives israélo-américaines en vue d’un changement de régime via la subversion, les assassinats, le terrorisme et une reprise finale de l’offensive militaire directe.
Ali Abunimah, 23 juin 2025
Cet article a été mis à jour depuis sa première publication.
Lundi soir, l’Iran a effectué une frappe de représailles contre une base de l’armée américaine au Qatar et le reste des forces américaines dans la région se sont mises en alerte.
Bien que la réponse semble avoir été préparée de façon à éviter toute escalade directe avec les États-Unis, le danger n’est en aucune façon écarté.
Déjà, dans les heures qui ont suivi l’attaque américaine contre les sites nucléaires iraniens dimanche, l’Iran a répondu par une salve soutenue de missiles contre Israël.
Des vidéos montrant les destructions n’ont pas tardé à paraître – du moins celles qui ont échappé à la censure de l’armée israélienne.
L’Iran a envoyé une autre salve de missiles 24 heures plus tard, histoire de montrer que les bombardements israéliens n’avaient pas affaibli la capacité de l’Iran à faire fuir des millions d’Israéliens vers leurs abris.
Israël est paralysé. Moins visibles, ce sont les souffrances qu’il inflige aux Iraniens.
Samedi, les frappes israéliennes avaient tué 430 personnes et en avaient blessé plus de 3 500, selon le ministère iranien de la Santé.
En Israël, 24 personnes sont mortes et 500 autres blessées.
Les EU entrent en guerre
En dépit des craintes d’une nouvelle guerre sans fin, le vice-président américain J.D. Vance a insisté :
« Nous n’avons aucun intérêt dans un conflit de longue durée, nous n’avons aucun intérêt à envoyer nos hommes sur le terrain. »
Et de prétendre que l’attaque américaine était « chirurgicale », adaptée à « l’intérêt national américain ».
Mais l’administration Trump ment par défaut. Même si Vance est sincère, Washington ne contrôle pas tout.
« S’ils ont détruit le programme nucléaire, ils peuvent désormais mettre un terme aux hostilités contre l’Iran. Ils n’ont plus d’inquiétude à se faire »,
a déclaré Mohammad Marandi, qui parlait depuis Téhéran dimanche soir, dans le livestream géopolitique de Danny Haiphong.
« Les gens en Israël vont se mettre à demander à Netanyahou : ‘Dans ce cas, pourquoi l’Iran nous bombarde-t-il toujours ? Décidons un cessez-le-feu’ »,
a prédit Marandi.
Il doute que les EU aient infligé de véritables dégâts aux sites nucléaires iraniens, ou même que ç’ait été là leur but.
Je me suis joint à l’émission, comme l’a fait Sharmine Narwani, de The Cradle, et Greg Stoker, un analyste militaire de Mint Press News.
Vous pouvez voir la vidéo ICI.
Israël cessera-t-il jamais ?
Samedi, lors d’une conférence de presse, Benjamin Netanyahou a promis de continuer de bombarder l’Iran tout en prétendant que ce ne serait en aucun cas une « guerre d’usure ».
« Nous ne poursuivrons pas nos actions au-delà de ce qu’il est nécessaire d’atteindre (les buts), mais nous ne finirons pas trop tôt non plus »,
a déclaré le Premier ministre israélien.
Netanyahou dit des choses du même tonneau à propos de Gaza depuis près de deux ans, si bien que nous pouvons parfaitement nous attendre à ce qu’il ne cesse pas son offensive contre l’Iran, sauf si le prix à payer par Israël devient intolérable.
Israël pourrait bien en arriver là.
Quels sont les objectifs de Netanyahou ? Selon toute évidence, pas le programme nucléaire, depuis les allégations de l’armée disant qu’il a subi des dégâts significatifs, pour autant qu’il n’ait pas été anéanti.
Netanyahou a également cité les missiles balistiques de l’Iran. Mais qui croit sérieusement qu’Israël pourrait détruire en quelques jours un programme de missiles s’étalant sur des décennies ?
En lieu et place, Netanyahou a révélé son objectif réel avec ses bombes.
Lundi, Israël a attaqué ce que son ministre de la Défense Israel Katz a appelé « les cibles du régime et les corps gouvernementaux de répression » à Téhéran.
Ils comprenaient la porte de la prison d’Evin, à Téhéran, ce qui constituait sans aucun doute une tentative de présenter Israël comme un sauveur de l’opposition politique iranienne et de fomenter un soulèvement populaire.
C’est en fait une tentative en vue d’un changement de régime.
Israël va sans doute essayer – à un moment donné – d’assassiner le chef de l’Iran, l’ayatollah Khamenei, et les EU l’aideront vraisemblablement dans cette tentative.
Que peuvent bien signifier d’autre les promesses de Netanyahou de « changer le visage » et « redessiner la carte » du Moyen-Orient ?
Renverser la République islamique et mettre un terme à son soutien aux mouvements de résistance, en particulier en Palestine, tel est l’objectif.
Après le renversement, soutenu par l’Occident, du gouvernement syrien, l’assassinat par Israël du chef du Hezbollah Hasan Nasrallah et le génocide à Gaza, l’Iran suit sur la liste des frappes.
En mars, Trump n’est pas parvenu à anéantir le mouvement yéménite Ansarullah, mais cela n’a pas fait cesser cette guerre.
Dimanche soir, Trump revenait à la charge en menaçant d’un changement de régime en Iran.
Que vont faire la Chine et la Russie ?
Si Israël et les EU parviennent à imposer un changement de régime à l’Iran, ils ne s’arrêteront pas là. Washington va intensifier ses efforts contre la Russie et la Chine.
L’Iran et la Russie sont de proches voisins et des partenaires stratégiques.
L’Iran est également un lien clé dans l’ambitieuse « Initiative route et ceinture » (la nouvelle route de la soie) de la Chine, que les États-Unis voudraient à tout prix perturber.
Quant à savoir si l’attaque israélo-américaine contre l’Iran – qui pose une menace énorme pour leurs intérêts – va faire sortir Moscou et Beijing de leur apparente complaisance, cela reste à voir.
Les discours musclés au Conseil de sécurité des Nations ne changeront pas grand-chose à l’affaire.
Lundi, Khamenei a envoyé son ministre des Affaires étrangères à Moscou.
La Russie a déclaré que son partenariat avec l’Iran était « indissoluble » et a affirmé le droit de l’Iran à l’autodéfense. Mais rien n’a été dit sur la possibilité que cela se traduise par un soutien militaire.
Une implication directe de la Russie ou de la Chine risque de transformer le conflit initié par Israël en une confrontation directe entre superpuissances. Mais ne rien faire est exactement aussi dangereux alors que les États-Unis et Israël sont en train d’incendier la planète en échappant à tout contrôle.
Quels ont été les dégâts infligés par les bombes américaines ?
Trump se vante de ce que ses bombes ont causé des « dégâts monumentaux » aux sites nucléaires de l’Iran.
Mais l’ancien marine américain et inspecteur des armements pour l’ONU, Scott Ritter, a dit qu’il s’agissait d’« un acte de théâtre politique » et d’un échec militaire.
Les trois sites – à Ispahan, Natanz et Fordo – sont vides depuis très longtemps, a expliqué Ritter à Andrew Napolitano dans son émission Judging Freedom, dimanche.
Les frappes américaines n’ont eu « aucun impact », a déclaré Ritter, qui effectuait pour l’armée américaine les évaluations des dégâts causés par les bombes au cours de la guerre de 1991 avec l’Irak.
Greg Stoker a expliqué à Haiphong que « l’ensemble de la frappe aérienne » avait été mis au point et mis en pratique sous le président Joe Biden et il soulignait qu’il n’y avait « pas de différence entre la politique étrangère des démocrates et celle des républicains ».
Quel que soit le résultat, Stoker croit que cela va attiser la prolifération nucléaire.
« En gros, vous découragez tout le monde de ne pas avoir d’arme nucléaire »,
a déclaré Stoker.
Où et comment l’Iran va-t-il répondre ?
En fait, l’attaque de l’Iran contre la base américaine au Qatar a été calculée afin de résoudre un dilemme.
« Il est nécessaire que l’Iran fasse comprendre aux Américains que, s’ils attaquent l’Iran, ils vont devoir payer un prix élevé »,
a déclaré Marandi. Mais l’Iran ne veut pas être confronté à une guerre ouverte et totale avec les États-Unis.
« L’Iran a coordonné les attaques contre la base américaine au Qatar en compagnie de responsables qataris et a prévenu à l’avance que les attaques allaient avoir lieu afin de minimiser les pertes »,
a rapporté The New York Times, en citant des responsables iraniens.
« Ces responsables ont déclaré que, symboliquement, l’Iran devait riposter contre les EU mais, en même temps, le faire de manière à accorder à toutes les parties une rampe de sortie »,
a ajouté le NY Times.
Cela semble convenir à Washington. L’administration Trump anticipait que Téhéran allait riposter « et le président ne veut pas davantage d’engagement militaire dans la région », a rapporté CNN lundi, en citant un haut responsable de la Maison-Blanche.
J’ai dit à Haiphong que bien des gens dans la région, dont l’éminent analyste libanais Nasser Kandil, voient une logique dans le fait que l’Iran se concentre sur Israël, le plus dangereux atout américain dans la région.
Affaiblir la capacité d’Israël à perpétrer un génocide à Gaza peut être le recours le plus stratégique de l’Iran à la force.
Politiquement, cela complique également la poursuite par Trump d’une implication directe américaine. Un gros impact de frappe sur les bases américaines pourrait donner à Washington une couverture domestique afin d’entamer une désescalade.
Mais la dissuasion de l’Iran doit également être prise en compte par rapport au maintien du soutien mondial.
« L’Iran veut s’assurer que la communauté internationale, le Sud mondial et ses alliés dans le monde entier, le perçoive comme un acteur absolument responsable »,
a déclaré Marandi.
« Nous ne voulons pas détruire l’économie mondiale. »
Même les régimes arabes soutenus par les EU et traditionnellement hostiles à l’Iran ont fortement condamné la guerre d’agression d’Israël. L’Iran ne va pas s’empresser de se les aliéner en menaçant leurs routes pétrolières.
Pourtant, la décision de l’Iran de procéder par des attaques directes contre au moins une base américaine peut indiquer que Téhéran reconnaît la nature existentielle de la menace à laquelle il fait face et que le fait d’avoir modéré sa réponse dans le passé n’a fait qu’inviter plus d’attaques encore de la part des ses ennemis.
Même si cela s’arrête, ce n’est pas terminé
Puisque l’ONU et la « communauté internationale » sont incapables de mettre un terme au génocide d’Israël à Gaza et à ses agressions contre le Liban, la Syrie, le Yémen et, aujourd’hui l’Iran, Téhéran considère que sa seule véritable défense consiste à riposter très durement.
Les négociations constituent une impasse. Washington et ses vassaux européens recourent aux pourparlers comme à une couverture masquant leur perfidie et, quand ils parviennent à des accords, ils les rompent à volonté.
D’autre part, Israël peut être proche de son seuil de douleur : Il a, prétend-on, adressé des messages à l’Iran via les EU et les partenaires arabes disant qu’il voulait profiter du succès supposé des frappes américaines pour arrêter la guerre qu’il avait lancée voici quelques jours.
Si les frappes de représailles directes de l’Iran contre les EU restent limitées, on pourrait assister à une fin orchestrée de cette conflagration. Mais il ne faudrait pas se faire d’illusions en croyant que cela mettre un terme à la guerre. Et tout ceci pourrait constituer une nouvelle déception.
Pour Israël et les États-Unis, une trêve représente uniquement la poursuite de la guerre par d’autres moyens : Aucun accord ne pourrait faire cesser les tentatives israélo-américaines en vue d’un changement de régime via la subversion, les assassinats, le terrorisme et une reprise finale de l’offensive militaire directe.
Ainsi donc, la guerre d’usure de Netanyahou est déjà présente, à moins que l’Iran n’assène un coup suffisamment fort pour dissuader Israël et Washington.
En effet, selon l’analyste Justin Podur, nous nous trouvons aujourd’hui déjà dans une situation bien pire.
« Nous ne sommes pas au bord de la catastrophe, nous sommes en pleine catastrophe »,
disait Podur dans son dernier rapport de la situation.
« Nous ne sommes pas au bord d’un génocide à Gaza, nous sommes en plein génocide à Gaza. Nous ne sommes pas au bord de la Troisième Guerre mondiale, nous sommes en pleine Troisième Guerre mondiale et nous ne sommes pas au bord d’une guerre nucléaire, nous sommes en pleine guerre nucléaire. »
Quand des États dotés du nucléaire bombardent des sites nucléaires, a déclaré Podur, « c’est que l’on est dans une guerre nucléaire. »
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
Publié le 23 juin 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine