Charlotte Kates lève le voile sur l’idéologie sioniste ; Dallas Brodie l’impose via les poursuites privées

Rima Najjar ,  23 août 2025

 

De la solidarité avec la Palestine au silence juridiquement imposé : la machinerie qui sous-tend la persécution appliquée par Brodie.
Dans le théâtre des tribunaux canadiens, Dallas Brodie applique la répression sous l’éclairage des institutions sionistes – alors que Charlotte Kates, bien campée dans la résistance, refuse de quitter la scène.

 

I-  Le rideau se lève sur la répression

En Colombie-Britannique (BC), une chambre de tribunal s’est muée en scène de théâtre – et le script a été rédigé, non en quête de justice, mais en défense d’une idéologie. Charlotte Kates, avocate de longue date des prisonniers palestiniens et coordinatrice internationale de Samidoun, est accusée, non de violence, mais de contestation. Son discours, sa solidarité, sa résistance sans réserve à la gouvernance sioniste en ont fait une cible.

Et, aujourd’hui, via le mécanisme rarement invoqué des poursuites privées, Dallas Brodie – dirigeante du parti OneBC et défenseure autoproclamée de la moralité publique – a précisément lancé une poursuite privée contre Charlotte Kates dans une mise en scène de répression, un acte calculé de guerre juridique idéologique destiné à criminaliser la contestation et à redéfinir la résistance en tant que terrorisme.

Dallas Brodie est une apologiste du colonialisme de peuplement. Son expulsion du Parti conservateur de Colombie-Britannique a été provoquée par ses moqueries envers les survivants des pensionnats indiens, y compris le fait d’avoir singé des témoignages concernant des violences sexuelles infligées à des enfants. Des dirigeants et des organisations autochtones, dont l’Union des Chefs indiens de Colombie-Britannique, ont condamné sa rhétorique en tant que négationnisme raciste et l’ont qualifiée de crime de haine.

Cette fois, Brodie a lancé une poursuite privée contre Charlotte Kates, l’accusant de terrorisme en raison d’un discours propalestinien qui avait encensé l’attaque du Hamas le 7 octobre et réclamé la libération de la Palestine.

L’action de Brodie n’est pas une application neutre de la loi. C’est un spectacle – mis en scène à l’extérieur du tribunal, amplifié par des conférences de presse et bénéficiant de l’échafaudage des infrastructures de promotion juive sioniste de Vancouver. La poursuite enclenchée par Brodie est soutenue par des dirigeants communautaires qui cherchent depuis longtemps à réduire Kates au silence, non pas pour une conduite délictueuse, mais pour sa solidarité sans réserve envers la résistance palestinienne. Son discours, son voyage [en Iran – NdT], ses affiliations – tout cela est recadré comme des menaces, non pas pour la sécurité publique, mais pour le confort idéologique du consensus colonial de peuplement du Canada.

Dans ce spectacle, Brodie n’agit pas seule. Elle est la face visible d’un appareil plus large – qui confond antisionisme et antisémitisme, résistance et extrémisme, justice et criminalité. La poursuite qu’elle organise ne constitue pas une déviation des normes canadiennes ; c’est leur extension logique. Elle révèle jusqu’où peut aller la machinerie étatique sioniste non seulement par le biais de la diplomatie et de la politique étrangère, mais aussi via les tribunaux locaux, les pressions communautaires et la manipulation stratégique des infrastructures juridiques.

Charlotte Kates se trouve au centre de cette tempête en tant qu’activiste fidèle à ses principes et dont le discours menace la fragile cohérence de la position impérialiste du Canada. Son engagement indéfectible envers la libération palestinienne dénonce la violence structurelle du peuple sioniste et de ses facilitateurs au niveau mondial. En refusant d’épurer le langage de la résistance, Kates défie non seulement l’apartheid israélien mais aussi la complicité étatique du Canada quand il réduit au silence la souveraineté autochtone en son propre pays.

La défendre, ce n’est pas simplement défendre la liberté d’expression. C’est également défendre la possibilité de justice dans un pays qui a oublié comment il devait qualifier sa complicité.

 

 

II- La guerre juridique de Brodie : Une mascarade idéologique de justice

La poursuite privée enclenchée par Dallas Brodie constitue un acte délibéré de guerre juridique idéologique. En invoquant l’Article 504 du Code pénal canadien, Brodie contourne la prudence institutionnelle du Service des poursuites de la Colombie-Britannique et elle porte elle-même plainte au criminel, transformant ainsi un mécanisme juridique rarement utilisé en un instrument de répression brutal. Sa cible est une dissidente politique dont le discours déstabilise le consensus colonial de peuplement.

Les charges que Brodie cherche à faire peser contre Kates – la promotion intentionnelle de la haine et de l’incitation publique – n’ont rien de neuf. La police de Vancouver les a recommandées voici plusieurs mois déjà en citant le discours de Charlotte Kates lors d’un rassemblement propalestinien où elle avait fait l’éloge de l’attaque du Hamas, le 7 octobre, en la qualifiant « d’héroïque et de brave ». Mais le Service des poursuites de la Colombie-Britannique avait retiré son autorisation en citant son évaluation du moment et le seuil élevé requis par les lois canadiennes concernant les discours haineux. L’intervention de Brodie n’est pas une réponse à un échec juridique – c’est un rejet d’une restriction juridique. Elle qualifie le pouvoir discrétionnaire du procureur de lâcheté et se positionne elle-même comme une correctrice morale.

Ce que Brodie propose, c’est un modèle de la façon dont la loi peut être manipulée afin de servir à des buts politiques, dont la contestation peut être qualifiée d’extrémisme et dont la machinerie de l’État peut être contournée lorsqu’elle refuse d’agir en exécutrice de l’idéologie. La poursuite qu’elle enclenche n’est pas une déviation des normes canadiennes – c’est leur extension logique et cela révèle comment opère la machinerie par le biais des tribunaux locaux, des pressions communautaires et de la manipulation stratégique des infrastructures juridiques plutôt que de la politique étrangère.

Charlotte Kates est poursuivie pour son radicalisme dans l’expression de la vérité, et non pour sa violence. Elle est poursuivie pour sa clarté – pour avoir cité par leur nom les structures de la violence coloniale que le Canada préfère occulter. La guerre juridique de Brodie, par ailleurs, vise à protéger ce discours et non le public.

 

III- Charlotte Kates : Une activiste fidèle à ses principes et en état de siège

 

Charlotte Kates, coordinatrice internationale de Samidoun, le Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens. (Photo : avec l’aimable autorisation de Charlotte Kates)

 

Charlotte Kates est une activiste fidèle à ses principes dont le travail couvre des décennies de défense des prisonniers palestiniens, de la résistance anticoloniale et des droits humains internationaux. Son rôle en tant que coordinatrice internationale de Samidoun est à la base d’un mouvement mondial qui insiste sur la dignité des gens emprisonnés, de ceux que l’on a dépossédés et que l’on a réduits au silence. Au Canada, cette insistance est devenue intolérable.

Le discours de Kates lors du rassemblement d’octobre 2024 – où elle avait encensé l’attaque du Hamas le 7 octobre en la qualifiant « d’héroïque et de brave » – était incendiaire, certes. Mais il était également lisible dans le cadre de la rhétorique de résistance, une tradition qui refuse d’épurer le langage de la lutte. Ses mots n’incitaient pas à la violence ; ils lui donnaient son nom. Ils nommaient la violence de l’occupation, du siège, de l’oblitération coloniale. Et, en le faisant, ils dénonçaient la fragilité de la position morale du Canada – une position qui prétend soutenir un État palestinien tout en protégeant la machinerie qui empêche son existence.

La criminalisation de Kates est une question d’endiguement idéologique. Son discours, son voyage en Iran, sa présence lors des funérailles de Hassan Nasrallah, ne sont pas des crimes. Ce sont des actes politiques ; des expressions de solidarité qui défient les limites de la contestation acceptable dans un État colonial de peuplement. Le persécution enclenchée par Brodie qualifie ces actes de menaces, non parce qu’ils mettent des vies en danger, mais parce qu’ils mettent des discours en danger.

Kates est punie pour ce qu’elle représente : un refus de jouer à la respectabilité libérale, un refus de diluer la résistance sous forme de slogans acceptables pour tous. Elle se situe en dehors de l’architecture de la diplomatie canadienne et c’est précisément la raison pour laquelle elle doit être réduite au silence. Son activisme révèle les contradictions que le Canada ne peut réconcilier – le fossé entre son engagement déclaré envers les droits humains et sa complicité matérielle avec la machinerie étatique sioniste.

Défendre Charlotte Kates, c’est défendre le droit de s’exprimer contre l’empire, contre l’occupation, contre la machinerie juridique et rhétorique qui fait de la vie palestinienne quelque chose de jetable. C’est défendre la possibilité d’une politique qui ne demande par la permission du colonisateur.

 

IV- Le silence au Canada : Pourquoi n’y a-t-il pas de résistance ?

Aux États-Unis, des organisations juives progressistes comme Jewish Voice for Peace (Voix juive pour la paix) ont mobilisé contre la guerre juridique sioniste, défendant la solidarité avec la Palestine comme étant un impératif moral. En Allemagne, des organisations comme Jüdische Stimme (Voix juive) ont défié la répression par l’État du discours propalestinien, même si le gouvernement interdit les slogans et les manifestations. Mais, au Canada, le silence est assourdissant. La poursuite enclenchée par Dallas Brodie contre Charlotte Kates a été accueillie, non pas avec indignation, mais avec des applaudissements – de la part des dirigeants des institutions juives, des médias et des acteurs politiques qui prétendent défendre les libertés civiques tout en criminalisant la contestation.

Ce silence est structurel. L’infrastructure canadienne de la défense du sionisme – dirigée par des organisations comme le CIJA (Centre pour Israël et les Affaires juives) et B’nai Brith – a consacré des décennies entières à consolider son influence sur le discours public, l’interprétation juridique et la légitimité communautaire. Sa dominance laisse peu d’espace aux voix juives dissidentes et encore moins aux alliés non juifs qui craignent des atteintes à leur réputation, des retombées professionnelles ou des accusations d’antisémitisme. Il en résulte un paysage où la guerre juridique sioniste n’est pas seulement tolérée – mais également normalisée.

Contrairement aux EU, où l’identité juive est contestée selon des lignes politiques, ou à l’Allemagne, où la culpabilité historique alimente en même temps la répression et la résistance, l’identité coloniale de peuplement canadienne s’aligne en toute transparence sur la machinerie étatique sioniste. Toutes deux sont des projets de dépossession, tous deux s’appuient sur l’oblitération juridique et tous deux exigent le silence de la part de ceux qui témoignent. Dans ce contexte, Charlotte Kates n’est pas seulement une menace pour l’idéologie sioniste – elle en est également une pour l’image qu’a de lui-même le Canada. Son discours force une reconnaissance que le Canada ne désire pas du tout affronter.

Cette absence de résistance est également un échec des infrastructures progressistes. Les organisations des libertés civiques, les spécialistes juridiques et les avocats des droits humains ont largement évité l’affaire, très peu désireux qu’ils étaient de défendre une personnalité dont la rhétorique défie la respectabilité libérale. Cette retraite révèle les limites de la progressivité canadienne – sa tendance à défendre les droits uniquement lorsqu’ils sont exprimés en langage poli, et à abandonner les principes lorsque la résistance devient inconfortable.

Brodie cible Kates parce que son discours dénonce l’infrastructure mondiale du colonialisme de peuplement – de la Palestine au Canada. Le palmarès même de Brodie révèle un modèle : elle défend l’oblitération du traumatisme autochtone dans son pays et elle criminalise la résistance palestinienne à l’étranger. Ses actions reflètent une logique de colon s’étendant par-delà les nations et dans laquelle la contestation est punie pour son refus de maintenir le consensus colonial.

Dénoncer la poursuite enclenchée par Brodie, c’est dénoncer ce silence. Cela revient à demander pourquoi le Canada, un pays qui s’enorgueillit de son pluralisme et de sa liberté d’expression, ne peut tolérer une voix qui fait état de sa complicité. C’est demander pourquoi la justice doit toujours être respectable et pourquoi la résistance doit toujours être silencieuse.

 

V- La machinerie étatique sioniste et l’héritage impérialiste du Canada

La politique étrangère du Canada n’est pas seulement complice – elle est généalogiquement imbriquée dans la logique impérialiste qui soutient le sionisme.

Le rôle du Canada dans le plan de partition de l’ONU, en 1947, n’a rien eu de périphérique, mais bel et bien de fondamental. Le juge de la Cour suprême Ivan Rand avait aidé à la rédaction du rapport majoritaire qui avait confirmé la partition, qualifiant Israël de force civilisatrice dans une région « autrement plongée dans les ténèbres ». Lester B. Pearson, plus tard Premier ministre, avait exercé des pressions agressives en faveur du plan, qualifiant à son tour Israël d’« avant-poste de l’Occident ». Il ne s’agissait pas d’évaluations neutres – mais bien d’approbations impérialistes, enracinées dans une conception du monde qui percevait les projets coloniaux européens comme légitimes et la résistance autochtone comme une source de chaos.

Cette logique persiste. Le Canada exporte des armes vers Israël, vote contre les résolutions propalestiniennes à l’ONU et protège les crimes de guerre israéliens contre toute forme de responsabilisation. Il désigne Samidoun comme entité terroriste tout en refusant de poursuivre les responsables israéliens pour leurs crimes contre l’humanité. Il célèbre les missions de maintien de la paix qui gèrent le conflit sans aborder ses racines coloniales. Le soutien du Canada au sionisme ne constitue pas une déviation de ses valeurs, mais bien une extension de ses valeurs réelles.

La machinerie étatique sioniste opère par le biais du contrôle du discours, de la guerre juridique et de l’enracinement diplomatique. Elle qualifie l’antisionisme d’antisémitisme, la résistance d’extrémisme et la solidarité d’incitation. La poursuite enclenchée par Brodie contre Kates est un exemple classique. Elle instrumentalise la loi pour réprimer la contestation, s’aligne sur les institutions communautaires qui réclament la conformité idéologique et qualifie une activiste fidèle à ses principes de menace nationale. Ce n’est pas un acte de malhonnêteté, mais bien un rituel.

L’héritage impérialiste du Canada vit dans les tribunaux, dans les conférences de presse, dans le silence des institutions qui prétendent défendre les droits mais reculent devant la résistance. La poursuite lancée par Brodie révèle l’architecture de la complicité – une structure construite non seulement pour protéger les intérêts sionistes, mais également pour sauvegarder la cohérence coloniale de peuplement du Canada lui-même.

Défier cette architecture, ce n’est pas simplement défendre Charlotte Kates. C’est exiger une reconnaissance de tout l’échafaudage impérialiste qui rend possibles les poursuites à son encontre.

 

VI- Conclusion : Vers une reconnaissance de la décolonisation

La poursuite de Dallas Brodie à l’encontre de Charlotte Kates reflète l’architecture de la complicité canadienne, l’échafaudage de la machinerie étatique sioniste et le silence des institutions qui prétendent défendre les droits tout en reculant devant la résistance. C’est un avertissement : La loi peut être instrumentalisée, non seulement pour punir le crime, mais pour réprimer la vérité. Et c’est une opportunité : nommer cette répression, défier sa légitimité et construire un contre-pouvoir enraciné dans la justice, et non dans une idéologie.

Défendre Charlotte Kates, ce n’est simplement défendre la liberté d’expression. C’est défendre le droit de s’exprimer contre l’empire, contre l’occupation, contre la machinerie juridique et rhétorique qui fait que la vie palestinienne est considérée comme jetable. C’est insister sur le fait que la résistance n’a pas besoin de se conformer à une politique de la respectabilité – elle n’a nul besoin d’être polie, partisane de l’ordre ou acceptable aux yeux des normes dominantes – pour être légitime. Et c’est affirmer que la justice n’a pas besoin de chuchoter, de chercher des compromis ou d’attendre son tour pour être bien réelle.

Le Canada doit reconnaître son héritage impérialiste – non par le biais d’excuses, mais via une rupture. Il doit affronter la logique coloniale de peuplement qui associe sa propre fondation à sa politique étrangère, son silence à sa complicité. Et il doit créer de l’espace pour des voix comme celle de Kates, non pas en tant que contestation tolérée, mais en tant que vérité nécessaire.

Ce message n’est pas une défense. C’est une déclaration qui dit que la guerre juridique sera nommée par son nom, que le silence sera rompu et que la justice n’attendra pas qu’on lui donne une autorisation.

 

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Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille du côté paternel vient du village de Lifta dans la banlieue ouest de Jérusalem, dont les habitants ont été expulsés. C’est une militante, chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise, Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée

 

Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille du côté paternel vient du village de Lifta dans la banlieue ouest de Jérusalem, dont les habitants ont été expulsés. C’est une militante, chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise, Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée

 

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Traduction pour Charleroi Pour la Palestine : Jean-Marie Flémal

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