Michel Warschawski : Oslo est mort, tout le monde le reconnaît, alors pourquoi consacrer, vingt ans après, du temps et de l’énergie pour étudier son cadavre pourri ?
C’est qu’en fait le débat public et les initiatives diplomatiques régionales continuent à se servir de ses paramètres, y compris chez la plupart de ceux qui jurent dur comme fer qu’ils n’ont plus aucune pertinence.
Ce texte sera une espèce d’auto-critique combinée à une lecture du tournant global qu’a connu le monde au moment même où devaient être mises en œuvre les différentes clauses de ce qu’on a appelé « les accords d’Oslo ».
Au moment où le Premier Ministre norvégien annonçait, en septembre 1993, la signature par les représentants de l’OLP et de l’État d’Israël d’une « Déclaration de Principes » dans la capitale de son pays, rare ont été les indifférents : si la grande majorité du public, y compris palestinien, vivait ce moment comme une grande fête, ou en tout cas, comme le début de la fin d’un conflit centenaire, une minorité se déclarait dès le départ hostile à ce qu’elle considérait comme une trahison, à la fois chez les Palestiniens et chez les Israéliens.
Le Centre d’Information Alternative, organisation palestino-israélienne dont j’étais alors le directeur, a connu à ce moment là une de ses crises les plus aigües, frisant même la scission entre « pro-Oslo » et « anti-Oslo ».
Pro-Oslo – le mot est exagéré, car nous étions tous conscients qu’il s’agissait d’un mauvais compromis dans lequel les Palestiniens perdaient beaucoup. Mais que fallait-il faire, alors que le mouvement national palestinien se déclarait prêt à un compromis historique avec le mouvement colonial qui l’avait spolié de ses droits et de sa patrie ?
Pour les anti-Oslo, l’accord était un diktat que l’impérialisme américain pouvait imposer aux Palestiniens qui « avaient misé sur le mauvais cheval » (George W Bush) en s’alliant à Sadam Hussein, diktat qui les obligeait à renoncer à une grande partie de leurs droits (entre autre le droit au retour des refugiés) et de leur terre (plus de 70% de la Palestine mandataire où se trouve l’État d’Israël reconnu, et donc accepté par l’OLP).
Pour les dits pro-Oslo, au contraire, la « reconnaissance mutuelle » était un acquis pour les Palestiniens, et l’engagement pris par Israël de se retirer des territoires occupés en juin 1967, le résultat de la lutte héroïque des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza au cours de l’Intifada (1987-1990). En arrière-fond de ce débat, un moment historique très particulier, celui du basculement de l’ère de la décolonisation à celle de la guerre (globale permanente et préventive) de recolonisation du monde menée par les États-Unis et leurs alliés.
L’ouverture du processus d’Oslo se fait dans le cadre global de la décolonisation, mais il échoue sous les coups de boutoir de l’offensive recolonisatrice des USA et de leurs alliés dont le Moyen Orient est à la fois le laboratoire et la ligne de front.
Qu’attendaient la direction de l’OLP et ceux, dans le mouvement de solidarité qui se sont alignés sur sa position, de la Déclaration de Principes d’Oslo ? A la fois peu et beaucoup : la reconnaissance du fait national palestinien d’une part, et, de l’autre, l’ouverture d’un processus de retrait israélien des territoires occupés en 1967 qui, à terme, mènerait à la constitution d’un État palestinien indépendant sur 22% de la Palestine mandataire.
La reconnaissance a été obtenue, c’est incontestable. Quant à la décolonisation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, elle a effectivement débuté avec le retrait de Gaza et de Jéricho ainsi que le transfert progressif de l’administration des territoires occupés à une Autorité Nationale Palestinienne. Une force armée palestinienne s’est également mise en place avec le retrait des forces d’occupation israéliennes des villes de Cisjordanie et de la grande majorité de la Bande de Gaza.
Pourtant, dès le début, il y avait lieu de s’inquiéter des vraies intentions israéliennes : le calendrier n’a pas été respecté (Rabin : « il n’y a pas de dates sacrées ») et le passage garanti entre Gaza et las Cisjordanie n’a jamais vu le jour.
En outre, et c’est un cas unique dans des négociations de paix, des milliers de détenus politiques n’ont pas été libérés, et les organisations palestiniennes – y compris celles avec lesquelles Israël menait les négociations – sont restées illégales.
Le pire est l’absence de contrôle de l’Autorité Palestinienne sur ses frontières. Or, il ne saurait y avoir de souveraineté sans contrôle de ses propre frontières. Si on ne peut pas parler de souveraineté, on est alors obligé de reconnaître que l’issue du processus d’Oslo a été la mise en place d’un protectorat auto-administré mais pas indépendant, même si, depuis un an, l’immense majorité des pays du monde le reconnaissent comme État.
L’an 2000, est celui de la recolonisation, et de la reconquête par Barak et Sharon des maigres acquis matériels, territoriaux et symboliques d’Oslo. Le sort de Yasser Arafat en est le symbole, et ce n’est que grâce à Jacques Chirac qu’il n’a pas été assassiné dans son quartier général de Ramallah.
En ce sens, si, en 1993, Oslo a été le dernier avatar de la décolonisation, la reconquête de 2000 est à la fois le symbole de la recolonisation du monde et sa ligne de front. Les accords d’Oslo n’ont pas mis fin au processus de colonisation sioniste mais permis, au contraire, de l’accélérer, sans plus avoir à gérer le quotidien de près de quatre millions de Palestiniens et en délégant une partie de la politique sécuritaire à des milices indigènes.
La « lecture pessimiste » des Accords d’Oslo s’est avérée être la juste.
En ce sens, vingt ans après, Oslo, comme avancée vers une indépendance palestinienne est bel et bien mort. Le centre de gravité de la subversion au Moyen-Orient n’est plus en Palestine, mais au Caire et à Damas. A présent, c’est l’avenir de la Révolution Arabe, prise comme processus long, avec ses avancées et ses reculs, ses périodes de démocratisation et ses restaurations, qui déterminera non seulement le destin du Peuple Palestinien mais la pérennité du projet colonial israélien.
Michel Warschawski est un journaliste et militant de gauche israélien, il est cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC). Dernier ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est possible, les éditions de l’Atelier, 2012.
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