Grandes manœuvres autour du gaz naturel: la Grèce alliée d’Israël

Les grandes manœuvres pour l’exploitation et la commercialisation du gaz naturel de Méditerranée orientale se poursuivent.

La Grèce qui, du temps du Pasok, était un ferme soutien des Palestiniens n’est plus la même sous Syriza.

En effet s’est tenue à Thessalonique, seconde ville de Grèce, une réunion au sommet de la Grèce (Tsipras , premier ministre), de Chypre (Anastasiadies, Président de la République) et d’Israël, Netannyahou, Premier ministre). Le gaz naturel était un des principaux points à l’ordre du jour, si ce n’est le principal. L’objectif stratégique est inchangé : assurer la partie la plus large possible de l’approvisionnement futur de l’Union européenne dans ce qui sera l’énergie dominante dans le monde d’ici une trentaine d’années et dont l’UE est dépourvue.

Alexis Tsipras, un premier ministre grec très Netanyahou-compatible

L’UE soucieuse de diminuer sa dépendance au gaz russe est trop heureuse de soutenir deux de ses États membres et un État quasi membre (Israël) dans un grand projet de gazoduc sous-marin traversant les eaux territoriales de ces 3 États et aboutissant en Sicile ou en Italie du Sud.

Le premier gisement israélien (Tamar) commence à être exploité, le second, plus vaste (Léviathan) va suivre, les recherches bien entamées dans les eaux chypriotes sont très prometteuses et les eaux grecques pourraient l’être.

L’alliance bénie par Bruxelles se noue donc entre un vendeur sûr (Israël), un vendeur probable et en même temps transporteur percevant des droits de passage du gazoduc (Chypre) et un vendeur possible et certain de percevoir des droits de passage du gazoduc (Grèce). Le fait qu’Exxon, la principale multinationale US de l’énergie et d’où est issu l’actuel secrétaire d’État US, Tillerson, soit un des principaux acteurs des recherches dans les eaux chypriotes accentue le caractère de projet capitaliste euro-atlantique majeur du gazoduc.

Deux adversaires à ce grand jeu : l’adversaire permanent la Russie avec ses deux « bras armés énergétiques » : Gazprom et Rosneft et un autre plus inattendu la Turquie.

La Turquie ne produit aujourd’hui ni pétrole ni gaz naturel, mais il n’est pas impossible que si elle entreprenait des recherches au large de ses côtes méditerranéennes elle découvre, elle aussi, des gisements de gaz sous marin comme Israël, Chypre et l’Égypte en attendant le Liban la Palestine et la Syrie. Mais se pose alors un énorme problème de droit international, celui de la Turquie.

Pour deux raisons : la première est que depuis 1974 la Turquie occupe militairement la partie nord de Chypre où elle a installé un État fantoche reconnu par elle seule. Malgré cela et avec un entêtement et une brutalité dont le président Erdogan fait preuve sur tous les sujets, la Turquie, dés l’annonce de recherches gazières sous-marines prometteuses dans les eaux chypriotes, a annoncé qu’elle ne reconnaissait pas l’existence d’eaux de la ZEE [zone économique exclusive – NDLR] de la République de Chypre puisque la Turquie n’a pas signé la Convention internationale sur le droit de la mer. Joignant le geste à la parole elle n’a même pas hésité à envoyer un navire de guerre dans les eaux de la ZEE chypriote pour entraver les premiers travaux de forage sous-marin.

Résultat : la République de Chypre a couru se mettre sous la protection militaire d’un Israël qui, bien que lui aussi non-signataire de la Convention internationale sur le droit de la mer, est trop content de l’aubaine qui lui donne un droit concret de protection du futur gazoduc dans son parcours chypriote et concrétise l’imbrication des intérêts gaziers des deux pays que la rencontre de Thessalonique vient simplement de confirmer. 

La seconde raison concerne les relations de voisinage complexes de la Grèce et de la Turquie en matière de droit de la mer. Bien que signataire de la Convention internationale sur le droit de la mer la Grèce se trouve dans une impasse diplomatique et juridique vis-à-vis de la Turquie voisine puisque celle-ci n’est pas tenue d’accepter les procédures de règlement des différends entre États maritimes voisins établies par la Convention internationale. Elle a donc adopté une position très prudente limitant ses eaux territoriales à une distance de 6 miles marins et s’abstenant de définir sa Zone économique exclusive face à la Turquie.

Considérant qu’aucun consortium capitaliste international n’est prêt à prendre le risque d’investir plusieurs dizaines de milliards d’euros dans la pose d’un gazoduc sous-marin dont le statut serait contesté par la Turquie il faut s’attendre à ce que le projet ait de grandes difficultés à aboutir.

Ce blocage ne pourrait être levé que si la Turquie et Israël adhéraient tous les deux à la Convention sur le droit de la mer et se soumettaient ainsi au système de délimitation des eaux territoriales et des ZEE qu’elle a institué et garantit. Il s’agirait en fait d’un véritable bouleversement du droit international puisque la politique d’Israël en la matière est de s’aligner sur le maître impérialiste : les États-Unis qui, eux non plus, n’ont pas signé la Convention internationale sur le droit de la mer et continuent à considérer le droit international comme une entrave à leur liberté envahissante et à se comporter comme si la force allait continuer encore longtemps à en tenir lieu. Ils tiennent avec la Turquie et Israël deux émules bien encombrantes pour la communauté des nations et pour la paix du monde.

Pourtant il y a urgence. En effet, les dernières annonces officielles en provenance de Moscou et d’Ankara font état de l’accord définitif de la Turquie pour la construction  d’un second gazoduc sous-marin dans la Mer Noire – South Stream – approvisionnant au passage la Turquie et se prolongeant vers la Grèce et de là vers le reste de l’Union européenne.

Ce projet est beaucoup plus avancé que son concurrent et la pose du gazoduc pourrait commencer très rapidement. Aucun problème de droit de la mer : il y a accord entre les deux riverains de la mer Noire concernés : Russie et Turquie; et le court passage sous les détroits se ferait en territoire turc. La prolongation vers l’UE suppose l’accord de la Grèce qui se trouve ainsi face à un choix entre deux projets : le russo-turc d’un côté prêt à être réalisé, l’israélo-chypriote de l’autre face aux difficultés politico-juridiques évoquées. Nul doute que l’UE a des préférences pour le second et qu’elle pourrait interdire à la Grèce, qu’elle maltraite en permanence, de laisser passer le South Stream

Pour montrer la totalité des pièces sur cet échiquier énergétique international, il est notable que le nouveau secrétaire général de l’ONU montre beaucoup d’intérêt et consacre beaucoup de temps au dossier de réunification chypriote dont l’ONU ne se préoccupait plus depuis l’échec du plan Annan en 2004. Gageons que sa préoccupation première n’est pas la réunification de Chypre, mais bien le soutien des vendeurs de gaz non russes et la sécurité des poseurs de tuyaux sous-marins. 


Source : Comaguer, via Investig’Action.

Lisez également : BDS condamne le rapprochement de la Turquie avec Israël

Vous aimerez aussi...